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Tony Allen au Grand Mix

Quand on arrive au Grand Mix ce 19 novembre et qu’on voit le "vrai" Tony Allen, on mesure immédiatement son héritage incroyable. De nombreux batteurs d’afrobeat, dont celui d’Ebo Taylor, jouent sur une batterie réglée et montée comme celle du compagnon de route de Damon Albarn, les toms inclinés, sans oublier la paire de lunettes de soleil réglementaire. Si le titre décerné par Brian Eno et d’autres de Meilleur batteur du monde fait sourire tant il y a de batteurs qui pourraient y prétendre, on est quand même face à une vraie légende, face au tambour major et majeur de Fela en personne, au créateur de ce son que l’on vit débarquer en France avec les premiers disques que l’on trouvait enfin facilement, ceux de l’injustement oublié King Sunny Adé et ses African Beats par exemple. Ce son étonnant, celui des jeunes intellectuels africains qui mixaient James Brown et les structures polyrythmiques du Nigeria. De près, en vrai, c’est extraordinaire. C’est étourdissant, on monte dans un train puissant qui roule de plus en plus vite, sans jamais dérailler.

Le public est assez nombreux, sacrée victoire. On sait qu’il est toujours difficile de faire venir un public pour de la musique essentiellement instrumentale quand il ne s’agit pas de jazz. Le triple sold out du Grand Mix a aussi sans doute pesé dans la balance du choix des habitués. Sold out pour Chet Faker, même s’il a reporté, Le festival des Inrocks, et Royal Blood. Le coup du chapeau. Énorme.  Les premiers rangs sont tout de suite extrêmement chauds et on danse en souriant, heureux, on se laisse totalement porter par la Wah-Wah occasionnelle du guitariste, Claude Dibongue, qui tient un rythme fou et hypnotique, tout le reste du temps, la fameuse guitare-cocotte, qu'on trouvait beaucoup chez James Brown justement. On décline sans cesse le même motif rythmique et on ne peut pas tenir, le groove s'insinue en nous et on se surprend, pour les plus raides, à ... danser. Les musiciens sont en arc de cercle autour du maître qui organise tout tranquillement, laissant chacun prendre un solo occasionnel d’un clignement des yeux. Tony Allen ne fracasse pas ses peaux, il les caresse autant que ses cymbales, il tient ses baguettes au milieu, une à l’endroit, pour la précision, une à l’envers pour l’impact. Ses poignets sont incroyablement déliés, il joue de manière extrêmement économique, tranquille et souverain, comme beaucoup de grands batteurs de jazz, Roy Haynes par exemple. Il suffit qu’il touche une cymbale, qu’il ouvre la charleston, c’est chantant et magique, sans en rajouter. On est très au-delà de la batterie qui garde le temps…On mesure aussi à quel point ce fabuleux instrument est mésestimé. De plus, Tony est extraordinairement relayé par un percussionniste fantastique, il joue du triangle, il a monté un Shékéré sur une pédale, c'est un vrai renfort.

Loin des clichés du joyeux foutoir qu’on accole parfois à la musique africaine, c’est terriblement précis, implacable, chirurgical. Le groove est infernal, on avance comme une armée en marche et si on rate le train, impossible de remonter dedans. Le trompettiste en fait gentiment les frais. Excellent et superbement sonore toute la soirée, il rate manifestement un créneau et il a un mal fou à se recaler. On s’amuse de le voir assumer tranquillement ce petit ratage, malicieusement chambré par les autres musiciens qui ne lui font pas vraiment de place artificiellement pour qu’il se recale. César Anot reste à un mètre de Tony Allen et met tout le monde sur orbite d’une basse funky, groovy, sensuelle, en ne quittant que rarement son batteur et maître des yeux. Audrey Gbaguidi vient prêter sa voix sur quelques titres, c’est merveilleux. Tony a prévenu un peu plus tôt, certes, c’est de l’Afro beat, c’est ce qu’il a joué toute sa vie mais n’attendons pas de lui qu’il joue sans prendre de nouvelles directions, Move on. Ça change des remasterisations  qu'on essaie de nous fourguer chaque semaine parce que cette fois, ça y est, c'est le vrai son.

C’était fantastique. On se quitte sur le titre qui résume bien ce mix inouï entre toutes les cultures que Tony réunit, Afro disco beat. Tout le monde vient saluer et comme Tony Allen s'avance tranquillement en bord de scène, on a presque tous l’occasion d’aller serrer la main du…meilleur batteur du monde.

 

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