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Hugh Coltman – Shadows : Songs of Nat King Cole à l’Aéronef

Quand on reçoit un gentleman tel que Hugh Coltman, on se pare de ses plus beaux atours. Scène du club ouverte sur la grande salle, lumières tamisées, banquettes, fauteuils, petites tables et même un coin détente dans lequel il était possible de s’allonger sur de confortables coussins de sol, L’Aéronef n’a pas lésiné sur les moyens pour créer l’ambiance et reconstituer l’atmosphère d’une boîte de Jazz à l’ancienne.

Car après avoir exploré le Blues, avec son groupe The Hoax, et la Pop, en collaborant avec des artistes comme Nouvelle Vague, Babet ou Mayrade Andrade et en signant deux petites merveilles d’albums, c’est en Jazzman que le plus francophile des Anglais revient fouler les contrées lilloises. Un virage musical entamé il y a quatre ans au contact du talentueux pianiste belge Eric Legnini qui l’avait invité sur son album ‘Sing Twice’. Une rencontre décisive pour celui qui ne s’était alors jamais considéré comme un véritable chanteur de Jazz et qui a depuis renforcé ce statut en enregistrant un album de reprises de Nat King Cole : ‘Shadows : Songs Of Nat King Cole’, sorti l’année dernière. Un disque sensible et personnel, car outre l’hommage rendu à l’artiste de l’immédiate après-guerre, le britannique y célèbre pudiquement la mémoire de sa mère, grande fan du crooner, disparue quand il était enfant.

Costumé, cravaté, le sourire en coin, Hugh Coltman s’amuse à faire revivre sur scène l’élégance du Jazz d’après-guerre. Sans désuétude et sans mièvrerie. En évitant de tomber dans le cliché des arrangements mielleux ou de la nostalgie. Le grand mérite du chanteur est de ne jamais s’arrêter à la surface de ces vieilles compositions. Il se les réapproprie afin de mettre à jour leurs sens cachés et leur douce noirceur ; explorant de cette manière les facettes les plus sombres et les plus méconnues de King Cole. Les grands standards du crooner et pianiste de Jazz, les célèbres ‘Mona Lisa’ et ‘Nature Boy’ en tête, sont donc là. Mais interprétées de manière mystérieuse et inquiétante. Presque spectrale. Plus rares, des titres comme ‘Smile’, ‘Shadows’ ou ‘Pretend’ jouent sur la corde sensible du « rire pour ne pas pleurer ». La façon dont Hugh Coltman parcourt la vaste palette sonore dont sa voix dispose est impressionnante. Pourtant ce qui brille avant tout est son art d'illuminer dans leurs plus infimes nuances les propos des chansons.

Le chant, plein de nuances, est à la fois caressant et puissant. Laisse deviner les non-dits, les fêlures et les blessures intimes d’un artiste populaire mais néanmoins confronté au rejet, à la ségrégation et forcé de jouer les sourires de façades; son époque lui interdisant de développer des textes aux thématiques politiques ou idéologiques, sous peine de censure pure et simple, voire d'emprisonnement. Pourtant, Nat King Cole aurait tant eu à dire, comme l'évoque Hugh Coltman dans ses intermèdes. Rappelant que le crooner afro-américain, malgré son succès, était obligé d'entrer par la porte de service quand il se produisait dans une grande salle. Qu'il fût victime d'une tentative d'enlèvement dans une ville conservatrice du sud des États-Unis. Ou que le Ku Klux Klan vint brûler une croix dans son jardin quand il s'installa, dans les années 50, à Beverly Hills.

L'attention constamment sollicitée, on s'émeut et on s'amuse le long d'un set qui palpite. Où le Jazz, pour renforcer le propos, ne craint pas de puiser loin dans ses racines Blues pour replacer l'humour au centre du débat. Plein de gouaille, Hugh Coltman se la joue Howlin' Wolf sur certains titres, s'autorise quelques morsures bien senties avec une voix qui se fait d'un coup plus rauque. Aidé avec beaucoup d' à-propos par le quatuor alerte qui l'accompagne: Thomas Naim à la guitare, Raphaël Chassin à la batterie, Christophe Minck à la basse et Gaël Rakotondrabe au piano. Sur la route depuis des mois, le show est parfaitement rôdé. Mais ne se montre nullement mécanique. La complicité entre les musiciens est palpable à chaque instant. Leur jeu est élégant et naturel, jamais précieux. Et c'est d'ailleurs avec des yeux plein de fierté et d'admiration que l'on peut voir le chanteur britannique se mettre à l'écart, lors de leurs solos, pour les observer.

Entre ombres et lumière, une touchante et magnifique soirée. Rappelant à quel point le Jazz pouvait être une musique populaire. Au sens noble du terme.

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