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La Cambiale di matrimonio de Rossini au Théâtre Raymond Devos de Tourcoing

Dépassées les histoires du début du XIXème siècle ? Que nenni, spécialement quand on utilise les ressorts de la farce, transposables sans peine à notre époque. Ce soir, on joue le premier opéra de Rossini à avoir été joué, La Cambiale di matrimonio, la "lettre de change." Si on rit beaucoup grâce à un comique de situation évident, le fond de la pièce n'a pourtant pas tant changé, le décalage étant produit par les pays évoqués, peu ou plus concernés par les situations des personnages. L'histoire n'est au fond pas très compliquée et met en scène un motif classique du théâtre : la tyrannie d'un père, une recette qui ne se limite pas aux Montaigu et aux Capulet. L'Italien Tobia Mill, vulgaire à souhait dans cette adaptation jouée au Théâtre Raymond Devos de Tourcoing, pense pouvoir faire une bonne affaire. Son but : ni plus ni moins que vendre sa fille à l'Américain Slook, dont le nom est d'autant plus cocasse en 2017 qu'il existe en argot de nos jours et concerne la prostitution. La moralité des deux protagonistes est quelque peu douteuse : Slook contacte Mill pour lui annoncer qu'il cherche une épouse, récompense à l'appui si le "produit" lui plaît, et a une bonne réputation, une qualité essentielle pour toute femme selon les normes du XIXème siècle. Tobia Mill a comme intention de lui proposer sa fille Fannì, sans prendre la peine d'avoir son accord. Fanny, cependant, est amoureuse du nouveau salarié de l'entreprise, Edoardo, qui partage ses sentiments. Norton, le caissier, ayant pris en pitié les jeunes gens, fait comprendre à Slook à son arrivée que la jeune fille a été "hypothéquée", ce qui provoque la reconfiguration du contrat de mariage au profit d'Edoardo. Mill provoque Slook en duel mais l'Américain prend le père à son propre jeu et lui reproche même d'avoir traité sa fille comme une marchandise, même si lui-même avait peu de temps avant la même vision de la jeune fille.

Sur un plan musical, les références aux compositeurs italiens contemporains de Rossini sont nombreuses, l'opéra-bouffe se voulant entre autres un hommage au répertoire en vogue du début de siècle. Si cette intertextualité essentiellement musicale échappe plus facilement au spectateur du XXIème siècle, la résonance politique est bien plus évidente, la farce étant aussi grinçante qu'elle l'était en 1810, la question des mariages forcés étant loin d'être écartée de l'humanité. La critique d'un certain capitalisme américain n'est pas non plus étrangère à l'Europe de l'ouest actuelle. La forme, elle, est très plaisante, et la fin heureuse : même si elle est grinçante, nous sommes bien dans une comédie, ou plutôt une farsa comica. On redécouvre ce soir une oeuvre méconnue de Rossini dans de très bonnes conditions. La précision de jeu de l'orchestre permet d'apprécier la délicatesse du style de Rossini, dont le rythme suit l'histoire écrite par Gaetono Rossi de manière savoureuse. Les ressorts théâtraux diffèrent évidemment des conditions originales vénitiennes, mais la qualité est au rendez-vous, avec la Grande Écurie et la Chambre du Roy définitivement très en forme cette année, et une interprétation excellente - mention spéciale au baryton Nicolas Rivenq, connu des amateurs de baroque, qui ce soir interprète Slook avec une fausse froideur très appropriée au rôle, et à Clémence Tilquin, qui apporte à Fannì une profondeur appréciable. N'oublions d'ailleurs pas de souligner la malice de certaines mises en scène et de certaines utilisations fort judicieuses de la lumière. La jeunesse et l'amour des personnages triomphent sous des salves d'applaudissements très méritées.

 

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