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L’Affaire SK1: Adapté de faits réels, un excellent polar français sur vos écrans !

Synopsis : Paris, 1991. L’histoire vraie de Franck Magne, un jeune inspecteur qui fait ses premiers pas à la Police Judiciaire, 36 quai des Orfèvres, Brigade Criminelle. Son premier dossier porte sur l’assassinat d’une jeune fille. Son enquête l’amène à étudier des dossiers similaires qu’il est le seul à connecter ensemble. Il est vite confronté à la réalité du travail d’enquêteur : le manque de moyens, la bureaucratie… pendant 8 ans, obsédé par cette enquête, il traquera ce tueur en série auquel personne ne croit. Au fil d’une décennie, les victimes se multiplient. Les pistes se brouillent. Les meurtres sauvages se rapprochent. Franck Magne traque le monstre qui se dessine, pour le stopper. Le policier de la Brigade Criminelle devient l’architecte de l’enquête la plus complexe et la plus vaste qu’ait jamais connu la police judiciaire française. Il va croiser la route de Frédérique Pons, une avocate passionnée, décidée à comprendre le destin de l’homme qui se cache derrière cet assassin sans pitié. Une plongée au cœur de 10 ans d’enquête, au milieu de policiers opiniâtres, de juges déterminés, de policiers scientifiques consciencieux, d’avocats ardents qui, tous, resteront marqués par cette affaire devenue retentissante : « l’affaire Guy Georges, le tueur de l’est parisien ».

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La chasse est ouverte pour trouver le tueur de l'Est parisien (Marianne Denicourt sur la photo)

 

Critique : Tout d’abord belle année à toutes et tous, riche d’évènements culturels et cinématographiques bien sûr ! On commence 2015 sur les chapeaux de roue avec un film qu’on ne voyait pas forcément venir, mais qui risque bien de marquer les chanceux qui vont le découvrir : L’Affaire SK1 ! Cela fait des années qu’on nous promet le retour du grand polar ou film noir à la française dans la lignée de  Corneau, Verneuil, Deray, …

Et pourtant, mis à part quelques épiphénomènes (Marchal qui relance le genre au détour des années 2000, Jacques Audiard qui le met à sa sauce), le miracle n’a pas lieu. On peut essayer d’analyser ce retour manqué d’un cinéma qui fut longtemps une spécificité hexagonale -souvenez-vous de Melville- au point de parfois damner le pion aux productions US : longtemps, les cinéastes de genre français (souvent marqués à gauche) font du polar pour « attaquer » le pouvoir en place. C’est l’époque de De Gaulle, Pompidou, Giscard, …

Mais en 1981, la gauche arrive au pouvoir avec Mitterrand. Et tout se dégonfle comme une baudruche. Les revendications des cinéastes, leurs colères, leurs révoltes s’éteignent petit à petit avec l’arrivée des socialistes à L’Elysée. De plus, le public commence à se lasser des pirouettes mégalomanes de plus en plus grotesques des deux super-stars de l’époque : Delon et Belmondo. C’est l’arrivée d’un nouveau cinéma américain mêlant action et policier : Les Armes Fatales, Die Hard, Le Dernier Samaritain et consorts…

Surtout, la TV française propose désormais des téléfilms policiers sur les petits écrans avec des séries hexagonales souvent mauvaises, pitoyables même, mais suivies par des millions de téléspectateurs. Pourquoi payer pour voir au cinéma le genre policier qu’on a toutes les semaines sur TF1 et ailleurs ? C’est l'arrêt de mort d’un genre qui fit les belles heures de notre cinéphilie.

Pourtant, après le récent et très réussi La prochaine fois je viserai le coeur de Cédric Anger (adapté lui aussi d'un fait divers), un film pourrait bien changer la donne et redonner au public le goût du polar français. Ce film, c’est L’Affaire SK1 de Frédéric Tellier qui signe son premier long-métrage de cinéma avec cette reconstitution de l’enquête qui monopolisa durant sept ans tout le Quai des Orfèvres, à la recherche d’un serial killer « œuvrant » dans l’Est parisien. Tellier vient lui aussi de la télévision, mais on sent que ses influences sont davantage à chercher du côté d'excellentes séries françaises comme Engrenages plutôt que chez nos productions à haut pouvoir narcoleptique (Navarro , Julie Lescaut et consorts: L'Enfer !) .

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Le réalisateur de L'Affaire SK1, Frédéric Tellier (à droite), dirige Raphaël Personnaz

 

De grands cinéastes français semblent aussi avoir inspiré Tellier dans sa description méticuleuse des milieux policiers et criminels. On pense à Bertrand Tavernier et ses remarquables L.627 et L’Appat (Tavernier apprécie d'ailleurs grandement SK1). On songe parfois aussi à ce qu’a pu faire David Fincher avec l'immense Zodiac, pour le côté labyrinthique de l’histoire que retrace Tellier, aidé à l’écriture par David Oelhoffen. Mais jamais on a l’impression que le réalisateur ne regarde dans le rétroviseur et nous sert un polar Canada Dry (ça a le goût du polar, l’aspect du polar, la couleur du polar mais ça n’est pas) comme on a pu le découvrir il y a peu avec le franchement raté et involontairement parodique La French.

Tellier a son propre univers, s’attache aux petits détails, ne réalise des scènes d’action que lorsque cela est nécessaire (toutes plus réussies les unes que les autres). Il installe d’abord une ambiance, filme avec minutie les décors variés, insolites et réels de l’histoire (bravo à la direction artistique), laisse vivre ses personnages, leur donne une épaisseur. On est happé par cette histoire d’autant plus terrifiante qu’elle est vraie.

Mais pourquoi le réalisateur s’est-il intéressé à l’histoire de Guy Georges ? A-t-il eu l’envie de la raconter au cinéma alors que les faits divers se comptent par centaines ? C’est ce que Lille La Nuit a demandé à Frédéric Tellier :

On connaît le terme "Guy Georges, tueur de l’Est parisien", "la Bête de la Bastille", etc… Mais c’est vrai qu’on connaît très peu l’histoire parce qu’il y a beaucoup de pudeur autour d’elle.
Frédéric Tellier

« C’est un projet personnel. Pourquoi pas Patrice Allègre ? Il y en a plein d’autres. J’ai des petits éléments de réponse : J’ai connu une amie qui a été violée dans les années Guy Georges. Ça m’a beaucoup marqué à l’époque et je pense que cette histoire, je l’ai fortement enregistré dans ma personne. Après, il y a d’autres raisons : c’est vrai qu’elle est totalement incroyable cette histoire. Probablement plus qu’une autre. C’est l’une des histoires qui a vraiment marqué le 36, avec les ancêtres Landru etc… C’est l’une des grandes affaires de la Crime. La place était libre parce qu’on n’en avait pas parlé et au-delà de cette place laissée libre, on en a peu parlé parce qu’on connaît peu l’affaire. On connaît le terme "Guy Georges, tueur de l’Est parisien", "la Bête de la Bastille", etc… Mais c’est vrai qu’on connaît très peu l’histoire parce qu’il y a beaucoup de pudeur autour d’elle. Elle a été très longue. Les flics ont peu communiqué dessus à cause de tout ce qu’on découvre dans le film. Au moment du procès, on en a un peu parlé mais il y avait l’émotion des familles de victimes qu’on a laissées tranquille. Résultat : très peu de gens connaissent cette histoire. Même moi qui la connaissais, quand je suis rentré dans l’écriture, j’ai découvert des trucs qu’on n’oserait pas écrire dans une fiction. Mis bout à bout, un jour j’ai décidé d’en discuter avec un producteur qui a décidé d’en faire un film. » *

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L'Affaire SK1 montre que les flics sont aussi des hommes avec leurs doutes, échecs et peurs.

 

On ne dira jamais assez à quel point le cinéma français manque souvent cruellement de producteurs aventureux. On peut donc saluer Julien Madon (épaulé par Julien Leclercq) qui a eu le courage et l’envie de partir dans l’aventure proposée par Tellier. L’Affaire SK1 a le bon goût de rester un film très pudique (on ne voit pas les scènes de meurtres), jamais putassier sur un sujet qui aurait pu être traité de mille manières, y compris les moins nobles.

On sent que toute l’équipe -des scénaristes aux producteurs, en passant par le cinéaste, les techniciens et la maison de distribution- a travaillé en bonne intelligence, conjointement, pour livrer le meilleur film possible. C’est ce qui fait peut-être la différence avec de récents mauvais polars français. Mais si SK1 fait montre d’une véritable pudeur quant à la douleur des victimes, il aborde tout de même l’horreur des situations, la violence de manière frontale, sans détourner le regard. La violence de notre société doit être désignée, critiquée, dénoncée au cinéma. On doit la pointer du doigt ou du bout de la caméra comme le fait Tellier.

Mais dans le cas d’un film comme L’Affaire SK1, il fallait évidemment trouver le ton juste car les auteurs jouent tout de même avec de la « matière vivante », une histoire réelle qui met en jeu des êtres humains, des victimes et des familles. Quand on s’attaque à un sujet pareil, on peut facilement imaginer qu’on marche sur des œufs. SK1 fait un parcours sans faute. Jamais on est fasciné par les atrocités commises par Guy Georges. Tellier ne nous prend jamais en otage.

Le film a aussi le bon goût de ne pas faire du tueur de l’Est parisien un monstre, un personnage diabolique. Non, Guy Georges est bel et bien un être humain dans toute sa complexité, sa richesse, ses faiblesses. Guy Georges n’est pas un croque-mitaine. C’est une personne, au parcours particulier, singulier, étonnant, abominable bien sûr, mais aussi avec ses fragilités. Ce qui fait que le personnage est d’autant plus terrifiant. Oui, Guy Georges est un homme ! Et ça, jamais les auteurs du film ne l’oublient. En refusant le manichéisme et les facilités qu’on voit trop souvent sur les tueurs au cinéma, ils respectent tous les protagonistes de l’histoire, aussi bien les flics, que les victimes ou leurs proches.

Mais si Guy Georges nous effraie autant qu’il peut aussi, paradoxalement, nous émouvoir (et sans jamais qu’on n’oublie les atrocités qu’il a commises), c’est surtout grâce à un acteur exceptionnel : Adama Niane, connu jusqu’à présent par le grand public principalement pour sa participation à la série Plus Belle La Vie. Niane est la grande révélation d’un film soutenu par un casting des plus ébouriffants :Michel Vuillermoz, Nathalie Baye, Raphaël Personnaz, Olivier Gourmet, Thierry Neuvic, Marianne Denicourt, Christa Théret …

Mais Niane, Niane !!! Sa façon de se mouvoir, ses regards, la manière qu’il a de poser sa voix. On tient sans doute avec lui, l’un des futurs grands acteurs du cinéma français. Il n’en fait jamais trop, incarne Guy Georges sans se livrer à une performance. Constamment juste, il impressionne, écœure, apitoie, déroute, dégoûte… Il fait passer une impressionnante palette d’émotions et retourne le spectateur comme une crêpe. Il imprime l’image numérique.

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Constamment juste en Guy Georges, Adama Niane impressionne, écœure, apitoie, déroute.             Un grand acteur !

 

Voilà un acteur absolument fascinant, digne de grands modèles américains tels Tony Curtis dans L’Etrangleur de Boston. En voyant Niane jouer Guy Georges, on se pose fatalement quelques questions : Comment peut-on incarner une telle personne au cinéma ? Que devait-on à tout prix éviter et réussir pour jouer Guy Georges à l’écran ? Il nous a répondu, avec sa belle voix, douce, basse,  posée et son regard d'ange :

« Du point de vue de l’acteur, ce n’est pas tout à fait le cas mais c’est un peu comme si on éteignait le cerveau. (…) J’ai eu des sensations. C’est vrai que pour moi, elles tournaient autour d’une forme de fragilité et un certain rapport à l’enfance. Mais ça, c’est la cuisine d’acteur. Je ne sais même pas si j’étais dans le vrai ou dans le juste. C’est plus des choses qu’on a envie de jouer que des choses qu’on n’a pas envie de jouer. Il y a une forme d’inconscience. Je pense que c’est plus Frédéric (Tellier) qui a évité des choses en choisissant un thème plutôt qu’un autre. Moi j’y suis allé presque naïvement. Alors c’est vrai que c’est compliqué parce que le rapport à la pudeur, par exemple, c’est pas un truc d’acteur. (…) Après, il y a une chimie mystérieuse du spectacle qui fait qu’on est à la bonne limite. J’ai pas encore tout analysé pour être honnête. » *

On vous recommande L’Affaire SK1 car ce film traite de l’un des faits divers les plus marquants et impressionnants de toute notre histoire, avec une vraie justesse et un réel point de vue de cinéaste. Tout à la fois polar, drame humain et film de procès réussi, SK1 alterne moments de tension, scènes d’action et morceaux de bravoure (ah, la scène de l’arrivée de Guy Georges au 36 !). L'Affaire SK1 est notre premier grand coup de cœur de l’année. Espérons que d'autres films français de cette trempe suivront. Car le polar, plus que tout autre genre cinématographique, se doit d'être collectif pour exister !

* Propos recueillis à Lille, le 18 décembre 2014. 

L'Affaire SK1 de : Frédéric Tellier - Scénario : Frédéric Tellier, David Oelhoffen Avec : Raphaël Personnaz, Olivier Gourmet, Nathalie Baye, Michel Vuillermoz, Adama Niane, Thierry Neuvic, Marianne Denicourt, Christa Théret, ...

Genre : Drame, Policier - Durée : 2h00. Date de sortie France : 07 janvier 2015

Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

Film-annonce et affiche  © SND

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