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Réalité : L’étonnant Jonathan Lambert dans la dernière folie de Quentin Dupieux !

Synopsis : Jason, un cameraman placide, rêve de réaliser son premier film d’horreur. Bob Marshal, un riche producteur, accepte de financer son film à une seule condition : Jason a 48h pour trouver le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma…

Réalité: Ce n'est pas le cri de Munch, c'est le cri de Chabat !

Réalité : Ce n'est pas Le Cri de Munch, c'est le cri de Chabat !

 

Critique : On avait quitté Quentin Dupieux avec Wrong Cops, sa comédie trash qui tordait les clichés du polar. Avec ce film, il nous avait semblé que le réalisateur signait une œuvre légèrement plus grand public que ses précédents longs-métrages et faisait un bon qualitativement parlant en terme de cinéma. Ce que nous avait confirmé l’analyse très lucide que Dupieux faisait de son travail lors de l’entretien qu’il avait accordé à Lille La Nuit en mars 2014.

Avec Réalité, Dupieux livre aujourd’hui ce qui nous paraît être son meilleur film. Tenter l’expérience proposée par le cinéaste, c’est accepter de laisser au placard ses repères, les figures imposées d’un cinéma balisé. Réalité est-il pour autant incompréhensible ? Certes non ! Bien sûr, c'est un objet filmique totalement absurde mais qui a l’élégance de laisser une porte ouverte pour chacun de ses spectateurs. Chacun peut se faire sa propre lecture de ce cauchemar burlesque angoissant, construit comme une succession de poupées russes qui s'emboîtent (les fameuses matriochkas).

Sommes-nous dans la réalité ? Voyageons-nous dans différents espaces-temps ? Vivons-nous un rêve éveillé ? Evoluons-nous d’un film à un autre ? Tout cela à la fois, sans doute. Toujours est-il qu’en plus d’être une œuvre cinématographique réjouissante, Réalité est aussi, et avant tout, un film ludique qui stimule constamment l’imaginaire du spectateur.

C’est presque l’histoire de l’art. Tous les artistes se nourrissent des précédents, qui eux-mêmes se sont nourris des précédents. Mais Quentin Dupieux se les approprie.

Jonathan Lambert

Bien sûr, Quentin Dupieux, tel un petit poucet dépose tout le long du métrage des indices, autant de références à Twin Peaks, Poltergeist, The Twilight Zone, Videodrome, L’Antre de la Folie (via la présence de l’acteur John Glover), aux dingueries de Spike Jonze, films Bis et séries Z -ah cet incroyable film dans le film, Waves, qu'on rêve de découvrir en version longue-. Autant d’allusions à des œuvres passionnantes du cinéma fantastique, certaines légèrement cérébrales. Dupieux se fait autant plaisir qu’il fait plaisir aux cinéphiles/cinéphages. Pour autant, si vous ne connaissez pas les œuvres citées, cela ne vous empêchera pas d’apprécier le mets qui vous est proposé. Car la force de Dupieux est d’avoir su totalement digérer ses références, de les transformer et les faire siennes.

Ce qu’a confirmé Jonathan Lambert -qui incarne le rôle du producteur de cinéma Bob Marshal- à Lille la Nuit lors de sa venue pour la promotion de Réalité :

«Les réalisateurs ont une culture. Des images qui sont devenus des références et de l’imaginaire collectif (…) Parfois on dit « Oui, oh, machin l’avait déjà fait ». Ben oui mais ce n’est pas grave. Et ce machin qui l’avait fait s’est aussi inspiré d’autres réalisateurs avant lui. C’est presque l’histoire de l’art. Tous les artistes se nourrissent des précédents, qui eux-mêmes se sont nourris des précédents. Mais Quentin Dupieux se les approprie. Ce n’est pas gratuit.»*

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Jonathan Lambert à Lille, dans la réalité ! Photo © Alexandre Marouzé/AMview

 

Et quand on titille davantage Jonathan Lambert sur l’empreinte du cinéma fantastique très présente dans Réalité, il tient à donner sa propre lecture des films de Dupieux :

« Moi, ce que je retiens surtout -et c’est valable pour tous les films de Quentin- c’est que ses films sont tous des comédies. Et l’intention de Quentin c’est de faire de la comédie. C’est ça qui est génial, c’est de faire une proposition différente de comédie. C’est à dire faire une comédie qui a une vraie esthétique. Il y a une lumière qui est à chaque fois extraordinaire. Vous savez, moi j’adore la comédie populaire (et lui aussi). Mais dans la comédie ce qu’on privilégie souvent ce sont les dialogues, les bons mots, un montage cut rapide, de la musique… Lui, c’est tout le contraire ! C’est quelque chose de lent, c’est plus des situations que des dialogues, du visuel plus qu’autre chose. Pour moi, c’est ce qui est intéressant. Il y a 36000 façons de faire de la comédie. Et lui, ce qu’il apporte de nouveau c’est  comment faire rire mais de façon différente ? A chaque fois que je vois ses films, je me marre ! ».*

Ce que je retiens surtout, c’est que ses films sont tous des comédies. Et l’intention de Quentin c’est de faire de la comédie. C’est ça qui est génial, c’est de faire une proposition différente de comédie

Jonathan Lambert

Ce qui frappe aussi dans Réalité, c’est la distribution impeccable du film : Si Elodie Bouchez est convaincante mais étonne peu dans son rôle de psychanalyste, Alain Chabat fait une composition détonante dans celui de Jason Tantra (quel nom !), futur (?) cinéaste torturé dans tous les sens du terme. En se frottant à l’univers de Dupieux, l’ex-Nul a clairement trouvé un nouveau terrain d’expérimentations

Mais la grande révélation de Réalité, c’est Jonathan Lambert ! Il est époustouflant dans le rôle du producteur pervers Bob Marshal. Celui qui avait déjà pratiqué le cinéma de Dupieux en jouant dans Steak, invente sous nos yeux un comique qu’on ose qualifier d’inédit. Et pratique avec beaucoup de talent l’art délicat de l’exercice de style, en rejouant à plusieurs reprises -mais de manière à chaque fois différente- les mêmes situations. Sacrée mise en abyme de l’art du comédien !  Et quand on lui dit qu’on a trouvé son personnage attachant, il se marre :

« Ah bon ? Ben on vous retrouvera dans les faits divers (rires dans la salle). Oui… Attachant… Oui, moi c’est ce que j’aime. Je suis très heureux que vous me disiez ça car moi ce que j’adore, c’est interpréter des personnages qui sont à priori plutôt monstrueux mais pour lesquels on a toujours une empathie. Et si vous le trouvez attachant : c’est réussi ! C’est toujours intéressant. Et déjà quand on fait rire, on devient attachant ».*

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Jonathan Lambert ou l'acteur qui invente un comique inédit !

 

Dernier détail qui n’en est pas un : la musique du film ! On le sait, Quentin Dupieux c’est aussi Mr. Oizo, le créateur du tube interstellaire Flat Beat. D’habitude, il compose lui-même ses B.O.; mais cette fois-ci il utilise durant tout le film les cinq premières minutes d’une musique préexistante : Music With Changing Parts de Philip Glass.

Jonathan Lambert : « Il avait trouvé ce thème, cette boucle de Glass, et il s’est dit que ce serait intéressant (puisque le film est tout de même une espèce de structure en boucle infinie) d’avoir un seul thème musical qui serait une boucle qui vient, qui repart, qui vient, qui repart à l’image du film. »*

Lille la Nuit a un vrai coup de cœur pour Réalité et a très envie de vous le faire découvrir. Et si nos arguments ne suffisent pas pour vous convaincre, que vous craignez de vous perdre dans les méandres de l'esprit de Dupieux et de son scénario légèrement tarabiscoté, le mieux est que nous laissions les derniers mots à Jonathan Lambert :

« Ah pour moi, c’est très simple ! C’est un réalisateur qui veut faire un film d’horreur ; Il trouve un producteur qui accepte de le financer à condition qu’il trouve le bon gémissement des victimes ».*

Vous voyez : il est très simple, au fond, le cinéma de Mr. Oizo !

Réalité - Réalisation, scénario, image, montage Quentin Dupieux - Avec : Alain Chabat, Elodie Bouchez, Jonathan Lambert
Durée 1h27. Sortie salle : 18.02.2015.
Film-annonce, affiche, photos du film: © Diaphana Distribution.
*Propos recueillis le 9 février 2015.

  1. Julien Nevot

    Wow !! J'attend ce film depuis 5 ,6 mois et je tombe sur votre ..."écrit"(je ne sais pas comment le désigner). Imaginer vous ma stupéfaction de m'appercvoir que l'on pouvais rendre un accro de Mr. Oizo plus accro !!
    Plus sérieusement vos "écrits" sont magique " On en veut plus !! " et tous ça parce que vous avez l'art des mots et des tournures. J'èspere que vous continueriez votre travail lomgtemps. Merci.

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