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Abd Al Malik – Qu’Allah bénisse la France

Abd Al Malik – Qu’Allah bénisse la France

Abd Al Malik Qu'Allah bénisse la France Style : Comédie dramatique Date de l’événement : 10/12/2014

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Lille La Nuit avait rendez-vous le 2 décembre dernier dans un grand hôtel lillois pour rencontrer Abd Al Malik. Non pas le musicien mais le cinéaste, pour la réalisation de son premier long-métrage Qu’Allah Bénisse la France, l'adaptation de son récit autobiographique au titre éponyme, paru aux éditions Albin Michel.

Nous arrivons avec quelques autres chroniqueurs web et radios de la région, prenons l’ascenseur afin de rejoindre le rappeur-slammeur confirmé mais tout jeune réalisateur. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent, nous tombons nez à nez avec Abd Al Malik - sacré gaillard au passage - et nous apprenons que la dite conférence va se tenir dans sa chambre. Tout le monde reste un peu interdit (une conférence dans la chambre d’un artiste, c’est tout de même devenu assez rare). Tout le monde sauf Abd Al Malik qui nous dit tout de go : « Aucun problème, vous êtes les bienvenus chez moi ».

Nous nous installons et c’est parti pour un entretien passionnant avec un garçon brillant, affable, au parcours exemplaire, qui dégage une vraie sérénité mais qui aurait pu très mal tourner comme le montre Qu’Allah Bénisse la France. Le film, très intéressant, qui bénéficie de choix de mise en scène affirmés, est porté par un jeune acteur épatant Marc Zinga - dans le rôle d’Abd Al Malik -. La musique est présente bien sûr, mais aussi le malaise des banlieues (sans angélisme), la came, la violence, tout comme la camaraderie, l’amitié, la religion et l’amour…

Synopsis : Adapté du livre autobiographique de Abd Al Malik, « QU’ALLAH BÉNISSE LA FRANCE » raconte le parcours de Régis, enfant d’immigrés, noir, surdoué, élevé par sa mère catholique avec ses deux frères, dans une cité de Strasbourg. Entre délinquance, rap et islam, il va découvrir l’amour et trouver sa voie.

Pour quelles raisons avez-vous décidé d’adapter votre roman autobiographique ? Et comment vous avez fait pour trouver des équivalents cinématographiques à ce que vous aviez écrit ?

Pendant que j’écrivais le livre, je me disais qu’en terme de cinéma il y avait des choses à explorer. Ce n’était pas une pensée précise, organisée avec un timing, mais il y avait déjà cette idée là. Je suis à la fois un passionné de littérature, de musique et de cinéma. Je savais que j’allais écrire pour le cinéma, réaliser. D’une certaine manière, il y avait cette question qui revenait tout le temps en moi, qui tournait : comment transposer le langage littéraire en langage cinématographique ? C’était une question qui me travaillait depuis longtemps. J’ai commencé à y répondre en chansons, en écrivant des textes qui amenaient des images d’entrée. Qu’on puisse écouter, et que des images apparaissent. Il y a de nombreux cinéastes que j’aime, qui pour moi sont l’équivalent des grands romanciers du siècle précédent. D’entrée, il y a quelque chose de très littéraire dans le cinéma, mais en même temps, c’est un langage autre que celui de la littérature, et au fond c’est ça qui est passionnant. Dans le cinéma il y a de la poésie, de l’art pictural, il y a toutes sortes de langages. Intellectuellement c’est très excitant. Il y a aussi cette idée générale que j’ai par rapport à l’Art, c’est la réflexion sur la notion de patrimoine. Qu’est-ce que le patrimoine artistique ? A partir du moment où on a la prétention de l’Art, on se dit « est-ce qu’on va laisser quelque chose véritablement qui fait sens, hors de nous, hors de notre personne » ?

abd-al-malik ITWGamin, j’ai vu l’impact qu’avait eu Scarface sur des proches, littéralement, puisqu’ils en sont morts. Parce qu’ils avaient vu ce film. Ça aussi, ça a participé à me dire que le cinéma était quelque chose d’important, en tout cas que ça pouvait être impactant sur les êtres. Réellement, concrètement pour le coup. D’une certaine manière, dès l’écriture du livre, il y avait cette idée que si jamais j’allais plus loin et que ça devenait un film, je voulais que cela soit un anti-Scarface. Si je peux avoir cette influence là ce serait merveilleux. Bien évidemment, tout cela se mélange dans le temps et dans la pensée, dans la réflexion, mais au moment où j’ai eu l’opportunité de faire cette adaptation quelqu’un m’a dit « tu devrais vraiment le réaliser toi-même ». C’était Mathieu Kassovitz. Il m’a poussé énormément dans ce sens-là.

Pour moi, la démarche artistique c’est le fait de questionner notre époque, questionner nos contemporains et de se dire : est-ce que l’œuvre est impactante ?
Abd Al Malik

Il y a ce qu’on laisse, et l’impact que ça a. Il y a eu très vite l’idée que le héros, c’est le film lui-même. Evidemment il y a l’histoire dans le fond et la forme, évidemment il y a la personne qui est à la base de ça, à savoir moi. Mais tout ça est accessoire. Ma personne n’est pas importante. Mais symboliquement le fait de se trouver dans des questionnements, c’est-à-dire le fait qu’on fantasme sur la banlieue, moi je parle de ça de l’intérieur, on fantasme sur l’Islam, moi je parle de ça de l’intérieur, le fait qu’on fantasme sur le rap et les cultures urbaines, on parle de ça de l’intérieur… C’était ça qui était intéressant. Pour moi, la démarche artistique c’est le fait de questionner notre époque, questionner nos contemporains et de se dire « est-ce que l’œuvre est impactante » ? Tout ça c’est ma démarche, à la fois en tant qu’artiste, et en même temps en tant que cinéaste.

J’aimerais bien parler de la forme du film. Franchement, au départ, j’ai été dérangé et heurté par des effets de mise en scène et de montage qui étaient pour moi trop présents, conscients ou inconscients. Je caricature, mais presque clipés. Et en fait, j’ai eu l’impression qu’au fur et à mesure vous vous débarrassiez de ça et que ça correspondait à la progression du personnage. C'est-à-dire, qu’à un moment, il canalise une sorte de rage, il se trouve, il fabrique des choses, il se construit. Et à partir de là vous partez dans une certaine épure de la mise en scène qui n’est pas du tout ce qu’était le film au départ.

Tout ça était totalement conscient. Mon idée était de poser le cliché. Qu’es-ce que ça veut dire ? Qu’on part de quelque part – La Haine de Kassovitz – mais c’est vrai qu’on part aussi d’un certain langage médiatique. Le langage du fait divers, le langage du documentaire, des reportages quand on voit ces jeunes qu’on arrête dans des fourgons de police, vous savez où on suit tel policier, dans les boîtes de strip-tease, ce genre d’émissions : Infrarouge, etc. Je voulais partir sur tous ces clichés là. Aussi MTV, MCM, Trace TV, tous ces trucs liés à la musique et à la culture urbaine. Une fois qu’on a posé ça, c’était comme la partie visible de l’iceberg. C’est comme quand vous voyez quelqu’un pour la première fois, la première chose qu’on voit c’est ce qu’il présente, c’est-à-dire que c’est le stéréotype, le cliché. Vous voyez, là je suis avec mon bonnet, ou je peux être avec ma casquette et mes Timberland, et ça n’empêche pas que derrière on peut parler de philosophie, d’art contemporain…

Allah3Si on me préjuge, d’entrée on va se dire « c’est peut-être pas de ça qu’on va parler aux premiers abords ». C’est ça qui m’intéresse. Le regard de l’autre. Puisqu’au final c’est le regard de l’autre qui détermine le regard qu’on porte sur nous-même. Et en métaphore, j’étais en train d’expliquer ce que vit le personnage, et ce que vivent les gens des cités. Ils sont préjugés, ils sont tribalisés. On ne les individualise pas, c’est une espèce de groupe plus ou moins homogène – alors que ce sont souvent des gens très différents. Il y a aussi une idée de sauvagerie, d’inculture.

C’est ça qui m’intéresse. Le regard de l’autre. Puisqu’au final c’est le regard de l’autre qui détermine le regard qu’on porte sur nous-même.
Abd Al Malik

Je voulais partir de ça. Donc je pars en images, et petit à petit dans ma mise en scène j’arrive sur quelque chose de beaucoup plus classique. On avance, et on arrive dans des choses plus simples, et ça participe à la progression du personnage. C’est-à-dire ce personnage à la personnalité un peu morcelée, au fur et à mesure il travaille à recoller les morceaux. Et en les recollant, on reste plus longtemps sur le personnage, alors qu’au début ça allait très vite, c’était un peu chaotique.La caméra se pose, on est dans quelque chose qui s’apaise en fait. Et après on arrive à cette espèce de climax avec l’union, où les deux personnages qui sont soit disant opposés se rencontrent et amènent cette image que j’ai voulu, où on voit Marianne et derrière elle, Nawel (ndr : personnage féminin du film, inspiré de la propre épouse de Abd Al Malik) qui est juste là. Ils vont se marier. Il y a donc aussi cette idée de réconciliation avec la République. J’aime énormément travailler sur le symbole. C’est un film très écrit.

Ce que j’aime dans le film, c’est qu’on y trouve de l’humour. Il y a un dialogue que j’aime beaucoup : quand Régis (le vrai prénom de Abd Al Malik) veut se choisir un nouveau nom après s’être converti à l’Islam. L’un des deux témoins de la conversion le pousse très fortement à changer de nom. MC Jean Gabin, qui incarne le second témoin de la conversion, dit alors à Régis : « Heureusement que t’as découvert l’Islam avant les musulmans ». Et j’ai trouvé ça très intéressant parce que déjà c’est drôle, et en plus ça amène beaucoup de réflexions sur le libre-arbitre, sur le fait que le personnage de MC Jean Gabin a du recul par rapport à la religion, et par rapport peut-être aussi à ce qu’on pense de cette religion. J’aimerais bien savoir ce que vous avez voulu dire sur la religion musulmane, sur tout ce qu’on peut entendre comme clichés dans les médias ou ailleurs…

En toute humilité ce film se veut un antidote réel. Il se propose de parler au plus grand nombre, de parler à leur cerveau, à leur cœur. A leur intelligence en fait. Et pas à l’espèce d’organe surexcité par les médias qui vont mettre de l’huile sur le feu, qui vont faire la polémique sensationnaliste, le cliché. Le film dit « Voilà le cliché, et regardez comment on peut et on doit le déconstruire ». Et en même temps, on doit quand même aussi passer un bon moment de cinéma. Un bon moment de cinéma c’est aussi cette idée que ça peut être drôle, où il y a de l’action, les choses bougent, où il se passe des choses véritablement. Donc il faut à la fois déconstruire, à une époque où on ne s’adresse pas tellement aux intelligences de manière générale, de complexifier, à une époque où on est dans une démarche binaire, et aussi de nous mettre nous même face à nos propres contradictions.

Lorsque par exemple il y a eu le scandale des prêtres pédophiles, on n’a pas dit que tout le christianisme était pédophile. C’est pareil pour l’Islam. Il y a une minorité de personnes se réclamant de l’Islam qui font des horreurs absolues, ça ne veut pas dire que l’Islam dans son entièreté est comme cela. C’est donc ça aussi : nous ramener nous-mêmes aux réflexes qu’on peut avoir quand on va juger et condamner des gens avant même de les connaître. Ce film se veut aussi déconstructeur de clichés et de stéréotypes, et surtout une certaine vision triste, malheureuse, apportée par certains médias et beaucoup de politiques.

Qu’Allah Bénisse la France
Réalisateur : ABD AL MALIK
Scénario : ABD AL MALIK D’après le roman « QU’ALLAH BENISSE LA FRANCE ! » de ABD AL MALIK - Éditions ALBIN MICHEL
Avec Régis / Abd Al Malik : Marc ZINGA, Nawel : Sabrina OUAZANI, Samir : Larouci DIDI, Mike : Mickaël NAGENRAFT, Pascal : Matteo FALKONE, Bilal : Stéphane FAYETTE-MIKANO, Mlle Schaeffer : Mireille PERRIER
Durée : 1h35
Sortie le 10 décembre 2014

© Film-annonce, affiche et photos film Ad Vitam
© Photo interview : Alexandre Marouzé AMview

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