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Denis Robert – L’Enquête

Denis Robert – L’Enquête

Denis Robert L'Enquête Style : Cinéma Date de l’événement : 11/02/2015

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Vous n’avez jamais rien compris aux affaires Clearstream ? On va vous avouer quelque chose : nous non plus ! Heureusement L’Enquête qui sort le 11 février, fait le point sur le plus gros scandale politico-financier de ces cinquante dernières années (de tous les temps ?).

Ce film n’est pas un documentaire mais un long-métrage de fiction qui revient sur le parcours cauchemardesque et semé d’embûches du journaliste-écrivain Denis Robert pour faire éclater la vérité ! Porté par une mise en scène nerveuse de Vincent Garenq (Présumé Coupable, sur l’affaire d’Outreau), soutenu par les belles interprétations de Gilles Lellouche, Charles Berling, Laurent Capelluto et Florence Loiret-Caille, L’Enquête est digne des meilleurs thrillers américains et français des seventies. C’est aussi un film sur la liberté nécessaire des journalistes et de la presse.

Synopsis : 2001. Le journaliste Denis Robert met le feu aux poudres dans le monde de la finance en dénonçant le fonctionnement opaque de la société bancaire Clearstream. Sa quête de vérité pour tenter de révéler "l'Affaire des affaires" va rejoindre celle du juge Renaud Van Ruymbeke, très engagé contre la corruption. Leurs chemins vont les conduire au cœur d'une machination politico-financière baptisée "l'affaire Clearstream" qui va secouer la Vème République.

Lille La Nuit a voulu en savoir davantage sur cette histoire nébuleuse et le film passionnant qui en est inspiré en compagnie de Denis Robert. Ce fut l’occasion également d’évoquer le documentaire qu’il a coréalisé avec sa fille Nina : Cavanna même pas Mort. Consacré au fondateur de Hara-Kiri et Charlie Hebdo, ce film vient d’être présenté au tout dernier festival de la Bande Dessinée d’Angoulême. Rencontre avec un homme courageux et qui n’a pas sa langue dans sa poche : Denis Robert !

Quelle est la part de faits réels et d’invention du film? (Denis Robert est coauteur du scénario)

J’écris plus de romans que d’essais donc je connais les règles. Je suis un grand lecteur de gonzos américains, comme Hunter S. Thompson. Une de ses phrases cultes est de dire « la fiction est le meilleur chemin pour dire le réel », et je crois beaucoup à ça. Par exemple, j’ai un livre qui s’appelle La domination du monde, et je trouve que, des ouvrages que j’ai pu écrire sur cette affaire quand elle m’est tombée dessus, c’est le plus juste, et pourtant j’ai inventé beaucoup de choses. Quand on vit et qu’on traverse des tempêtes comme celles que j’ai traversées, quand on rencontre des centaines de personnes, ce qui était le cas de l’enquête, il y a évidemment des choses qu’on ne peut pas dire mais qu’on ressent. Et la fiction nous permet de le dire. Par exemple, sur Clearstream : pourquoi y a-t-il ces comptes publiés ? Qui dirige tout ça ? Y a-t-il une organisation derrière ? Est-ce que c’est pyramidal ? Comment fabriquent-ils cette double comptabilité ? Y a-t-il un marionnettiste ? Ce sont des questions qu’on peut se poser en tant que journaliste, mais auxquelles on ne peut pas répondre. Des gens nous expliquent des choses mais si on les écrit, il y a diffamation ou atteinte à la personne, on n’a pas de preuve, c’est très difficile d’avoir des documents. J’ai mon idée assez précise de comment tout ça fonctionne, et dans La domination du monde, j’ai pu me permettre d’en faire un vrai thriller. Mais c’est sans doute le film qui raconte le mieux cette histoire, et qui d’ailleurs a inspiré pas mal Vincent Garenq.

La part du vrai et du faux aujourd’hui, c’est difficile pour moi de le dire. Dans le film, il n’y a pas de scène qui ait été inventée, tout a été inspiré du réel. La censure du début de mes articles, ma voiture qui explose dans un fossé… Il y a des choses qui me sont arrivées en vrai qui sont infiniment plus dures et plus compliquées que ce que raconte le film, mais il y a la tension, l’absolue vérité des sentiments, des sensations et des gens. Après sur la factualité, évidemment, Vincent a compressé le temps. Là où il ne vient pas à Gif-sur-Yvette, il vient à Metz, je pourrais multiplier les exemples. Mais ce qui compte, et c’est pour ça que le film est universel, c’est qu’il parle au plus grand nombre. Il faut qu’un japonais, un chinois et un italien qui voient L’Enquête soient captivés comme moi je l’ai été quand je regardais Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon (Thriller politique réalisé par Elio Petri en 1970) ou les films avec Gian Maria Volontè qui étaient des films italiens… Main basse sur la ville, ça vous parle d’affaires de corruption en Italie et pourtant vous êtes scotché. Et là aussi, je pense que ça fonctionne comme ça, et donc ça parle aux étrangers mais ça va parler encore mieux et plus aux français qui évidemment vont reconnaître Lahoud, Gergorin, de Villepin… Tous les seconds rôles sont très bien travaillés. Mais sans doute, pour conclure, la réalité était encore plus violente et dingue que ce que montre le film.

PHOTO 4denisrobert2Y a-t-il une sorte de vertige à voir son clone à l’écran ?

Non parce que j’ai assez de recul, mais c’est étrange au début, notamment quand j’ai vu la bande annonce et que ça commence avec « Denis Robert » et que le mec dit « oui ? ». En plus ils ont reconstitué ma maison quasi à l’identique. Ils sont venus photographier mon bureau, mes panneaux, mes bouquins, mon bordel, et ils l’ont refait comme ça. La scène du début ou Gilles Lellouche tombe, c’est ma fille qui l’a raconté à Vincent parce que c’était compliqué pour moi, j’avais eu un problème de santé à la hanche et j’en ai eu vraiment marre. Il y a des moments où je craquais un peu, ce n’était pas permanent mais cette scène-là était aussi vécue. Mais ça ne s’est pas passé au moment de la perquisition. Il y a aussi un moment où ils font des recherches ADN en me mettant un coton sur le visage, ils ont aussi piqué mes ordinateurs. D’ailleurs, dans la vraie vie, ils ont cassé un de mes ordinateurs, qu’ils ne m’ont jamais remboursé !

A un moment, puisqu’on parle des journalistes et de leur importance, le rédac chef de Libé dit « tu ne peux pas dire que la France est complètement corrompue », plus loin il dit « c’est ce qu’on lit entre les lignes », et vous démissionnez. Quel est votre regard aujourd'hui sur l’indépendance de la presse en France, en Europe ?

C’est une question compliquée. D’un certain point de vue c’est pire, d’un autre point de vue c’est mieux. Il faudrait faire des colonnes. Par exemple WikiLeaks, c’est mieux. Vous savez, il y a des études qui ont été faites aux Etats-Unis sur les pires métiers en terme d’image. Des sites de petites annonces d’offres d’emplois ont pris soixante professions : les plus aimées et les plus détestées. La profession de journaliste est la 29e profession, devant des métiers comme « ouvrier pétrolier ». Vous voyez à quel point le métier est décrié. J’ai fait des documentaires là-dessus, comme Les nouveaux journalistes où j’ai suivi des web-reporters pour France 4, donc je suis allé dans des écoles de journalisme, et il y a de plus en plus de jeunes qui veulent être journalistes mais c’est aussi de plus en plus difficile. Les citoyens, sur internet peuvent diffuser de l’information mais la recouper, la travailler, la présenter, tout ça prend du temps. Et du temps, c’est de l’argent, il faut les payer. On est dans une période où tout ça est en mouvement, en perte de repères. Personne n’a trouvé de modèle économique, sauf peut-être Médiapart et encore, ils arrivent à stagner au niveau des abonnements. Les journaux sont en perte de vitesse, même si Charlie Hebdo va gagner beaucoup d’argent, mais j’espère que ça ne sera pas là pour cacher la forêt des désastres alentours.

Comment fait-on pour tenir quand on a 60 à 70 procès, quand on a Clearstream, les gens et sociétés qui sont derrière, qui s’acharnent contre vous ? Comment fait-on pour se reconstruire ? Ça touche aussi à l’intime, on le voit dans le film, ça a des répercussions terribles sur l’entourage.

J’ai toujours pensé que la vraie vie était ailleurs que dans les affaires. J’ai de bons copains qui ne sont absolument pas journalistes, j’habite en province, à la Châtel-Saint-Germain à côté de Metz. J’ai une famille, et surtout, contrairement aux portraits qu’on fait de moi, je ne suis pas une sorte de modèle d’indépendance de journalisme. Je sais qu’avant tout je suis d’abord écrivain, j’ai écrit vingt bouquins. Avant l’affaire Clearstream, j’ai fait la une de Lire  pour un livre érotique que j’ai écrit qui s’appelle Le Bonheur. Pendant l’affaire Clearstream, j’ai écrit un roman d’anticipation qui s’appelle Dunk sur la recherche sur le cerveau qui va être adapté au cinéma. J’écris aussi deux pièces de théâtre… Ce n’est pas pour aligner un CV, mais c’est pour vous montrer que si j’ai réussi à sortir cette histoire, c’est parce que je n’ai pas le même rapport à l’information que 90% de mes collègues qui sont journalistes d’investigation, qui en mangent tous les jours, qui veulent absolument sortir des scoops etc. Ce qui me motivait, c’était d’expliquer l’intérieur d’un système et de tenir bon avec tout ça. Ce qui est compliqué à comprendre, c’est que quand je fais du journalisme, je sais le faire puisque j’ai été presque 15 ans à Libération. Je suis journaliste jusqu’au bout des ongles. Mais quand j’écris un roman, j’oublie le journalisme.

Ce qui est devenu très important pour moi depuis une dizaine d’années, c’est la peinture, ou plutôt l’art plastique car je ne suis pas du tout un peintre figuratif. Quand je suis dans mon atelier, je peux rester trois jours sans dormir, devant mes toiles, à faire des choses, et puis après j’arrête. J’essaie de créer, je sais que le temps est court. Ma vie est compliquée de toute manière, mais si j’arrive à m’en sortir avec Clearstream, c’est parce que j’ai toutes ces activités-là. Vous savez, quand il y a avait les perquisitions et que j’étais mis en cause, au moment où Sarkozy voulait me coller sous un croc de boucher, j’étais en Belgique à Bruxelles et à Anvers avec des danseuses et des chorégraphes pour créer un spectacle de danse avec un de mes copains qui s’appelle Thierry Lahaye.

J’essaie de garder de l’humour et de la distance, même si ça a souvent été compliqué parce qu’il y a des moments où je me suis dit que c’était cauchemardesque.

Denis Robert

J’étais en train de me préoccuper de costumes, de danseurs et de danseuses, je regardais la télé et je voyais qu’on parlait de moi mais j’étais en train de faire vraiment autre chose. Ce qui fait que ça m’oxygénait vraiment la tête. J’essaie de garder de l’humour et de la distance, même si ça a souvent été compliqué parce qu’il y a des moments où je me suis dit que c’était cauchemardesque. Qu’est-ce que j’ai fait d’autre que des livres et d’essayer d’écrire ce que j’avais vécu ou ressenti ? Les livres ne sont pas des objets de guerre, ce sont des objets de culture. La morale de tout ça, c’est qu’avec un livre, qui est une économie très légère, aux alentours de 50 000€, vous arrivez à faire trembler et à virer un état-major  d’une multinationale qui brasse 11 trillions d’euros. Vous êtes tout petit face à des montagnes, et ces montagnes vous les faites trembler. Elles ont réellement tremblé puisque tout l’état-major de Clearstream a été viré, on le voit dans le film. Trois mois après la sortie du livre, tout l’état-major dégageait, et on a fait la une du Washington Post, du Financial Times quand André Lussi a été viré. C’est un des banquiers les plus puissants de la planète, tous les banquiers venaient manger dans sa main, et il a dégagé comme une femme de ménage. Je n’ai rien contre les femmes de ménage, mais j’ai contre ce genre d’individus. Il était la femme de ménage du système. Comme il le dit dans un de mes documentaires, « les gens ont de l’argent dans les banques, et les banques ont de l’argent chez moi », et il sortait ses billets, c’était le banquier des banquiers. Au début, il est allé à l’affrontement en disant que j’avais écrit n’importe quoi : « ce petit Denis Robert, journaliste gauchiste, drogué et pornographe ». Il m’avait dénommé pornographe parce que j’avais écrit un livre érotique des années plus tôt. Il avait pris ça très à la légère et puis trois mois après, grâce à Vincent Peillon et Arnaud Montebourg qui avaient créé la mission sur le blanchiment que je ne connaissais pas. Et grâce au Figaro qui avait fait cet article, il y a eu une pression étrange qui est montée contre le Luxembourg qui les a obligés à ouvrir une information judiciaire. Et il est parti avec 8 ou 10 millions d’euros qui est le prix du silence. Maintenant il doit se rouler les pouces, mais doit rester très discret. C’est une belle enquête, d’ailleurs, « que devient André Lussi ? ».

Vous êtes réalisateur, vous attachez beaucoup d’importance à la forme. Dans le film de Vincent Garenq, il y a une écriture particulière comme dans vos livres. Il y a des flashbacks. Le film est tourné en écran large alors que le personnage principal passe souvent de son temps à faire des enquêtes, dans des bureaux. Pourquoi utiliser l’écran large ? Et surtout, Vincent Garenq réalise un thriller alors que le film aurait pu être vraiment différent. D’ailleurs, L’Enquête peut effectivement faire penser à certains films politiques de Petri, de Verneuil, aux films de Pakula, de Lumet dans les années 70 aux Etats-Unis…

Vincent est quelqu’un de modeste, il est son plus mauvais vendeur, c’est ce qui est le plus formidable chez lui. Mais je sais à quel point c’est un super cinéaste qui n’a pas du tout le profil de faire la une des Cahiers du Cinéma. On verra avec ce film-là, mais je vois bien les Inrocks et Libé traiter ce film à la légère parce Garenq, ce n’est pas Assayas, ni Arnaud Desplechin. Mais c’est un très bon cinéaste, qui fait son job sans la ramener, et qui a des idées très précises, très intransigeantes, et avant tout, il se saisit du réel et veut le comprendre à fond. Il va tout regarder, poser mille questions, il va voir les gens… Mais je pense qu’il a été influencé par ce cinéma-là. Il se retrouve très peu dans le cinéma et ne fait que des films qu’il aime, et je pense que les cinéastes que vous avez cités sont importants pour lui, j’y ajouterais Martin Scorsese. Ça ne l’intéresse pas de faire des œuvres de fiction qui n’ont pas de rapport avec le réel. On peut trouver que c’est une faiblesse, parce qu’il pourrait inventer plus, se libérer plus par rapport à ça. Il le fera peut-être dans d’autres films, mais pour l’instant il n’est pas sur cette idée-là.

Le fait que Garenq utilise l’écran large est intéressant. Il filme les bâtiments, ces grands sièges, de telle manière qu’ils prennent une importance incroyable, on est écrasé par eux. Ça donne vraiment cette impression que la société est en train de s’écrouler et qu’on est au bord du gouffre. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’il avait en tête Mille milliards de dollars  de Verneuil et aussi Le Dossier 51  de Michel Deville, avec ces plans larges, ces immeubles, le côté kafkaïen. Une des images fortes du film, c’est ce plan du personnage devant le siège Clearstream la nuit. Après les affaires, Clearstream avait un siège au centre-ville à Luxembourg, et ils sont allés s’établir près de l’aéroport sur le plateau où ils ont un immeuble tout en verre. Ça m’est arrivé, quand j’y allais, de passer devant, mais je ne m’arrêtais pas pour le regarder comme ça, mais c’est vrai que j’étais seul face à tout ça. Durant l’enquête j’avais mon éditeur Laurent Beccaria qui était très présent, mon copain Pascal Laurent, qui est le réalisateur et le caméraman avec qui j’ai fait mes deux documentaires, était là aussi. Quand  on était dans la voiture à écouter de la musique, après avoir récupéré les documents, on était deux. C’est aussi un immense plaisir, c’est l’adrénaline, c’est tout ça quand on fait des enquêtes.

On avait compris, nous humbles journalistes, la mécanique qui fabriquait l’évasion fiscale

Denis Robert

Quand Hempel a  commencé à nous expliquer comment il effaçait les traces de transaction et les systèmes informatiques, et qu’on commence à comprendre la folie totale de tout ça, on a eu l’impression d’avoir trouvé le Graal. Ce talon d’Achille du capitalisme était de cet ordre-là parce qu’on avait compris, nous humbles journalistes, la mécanique qui fabriquait l’évasion fiscale et c’était formidable parce que dans toutes ces révélations, celle-là est la plus importante. On a un responsable de l’informatique qui vous explique comment le service de clients l’appelait et lui disait « for get it». Il faisait des systèmes et l’argent partait. Ça signifie qu’il y a une double comptabilité, ça signifie beaucoup de choses, et personne n’a été mettre son nez dedans. Quand ils ont fait une perquisition, c’est montré dans le film, ils ont tout fait pour la casser. Et Régis Hempel a été persécuté, c’est sans doute l’un des plus courageux de toute cette histoire, et Vincent l’a vu. C’est en cela que le film est aussi fort, Vincent n’est pas resté à Paris. Il est allé à Luxembourg, on a passé du temps ensemble, on a bu et mangé ensemble, ils se sont un peu frottés. Hempel s’est livré, et je pense qu’il s’est passé quelque chose. Vincent a compris la puissance et la force de l’histoire quand il a vu ce type-là. Il y avait des intonations chez lui qui me faisaient penser aux miennes 10 ans plus tôt.

Le fait que le film est fort, c’est aussi parce que vous n’y êtes pas glorifié. On vous montre comme quelqu’un de courageux, mais on ne vous montre pas comme un Robin des Bois et on échappe au manichéisme. Il y a quand même quelques moments dans le film – et on comprend pourquoi – où vous avez des côtés déplaisants.

Oui, j’oublie ma fille au supermarché, je suis à deux doigts de frapper ma femme, j’oublie la cassette dans la caméra… Ce sont des scènes un peu inventées. L’histoire de la cassette s’est passée comme ça, mais en vrai j’en ai retrouvé une après. Ça fait partie des choses que je n’ai pas vraiment vécues mais ce n’est absolument pas gênant pour moi que ce soit comme ça. Ce qui m’est arrivé, c’est de faire mes courses en ayant un ministre au téléphone, en discutant avec un banquier en prenant des boites de raviolis ou des trucs comme ça. Ma femme et mes filles ont vécu ça, elles me voyaient discuter avec des juges et des gens comme ça, et j’étais à Atac ou à Cora ! Mais il faut se mettre à ma place deux secondes : quand la deuxième affaire sort, que le corbeau commence à écrire et qu’il s’inspire de tous mes bouquins, on le sait maintenant avec le procès, le corbeau c’était Lahoud et Gergorin, et les lettres anonymes qu’ils envoient, on a l’impression que c’est moi qui les ai écrites. Mais je n’étais pas au courant des lettres anonymes, et je les lis dans la presse ! Et on a l’impression au début de l’histoire que le corbeau met en application des choses que j’avais non seulement écrites mais aussi envisagées et prévues. Les choses se passent. C’est Florian Bourges, le deuxième outsider et moi, qui avons empêché Van Ruymbeke de faire des conneries et d’aller plus loin, la scène du film est complètement réaliste ! Ce qui est compliqué, c’est que chacun garde un secret, je ne dis pas ma relation à Van Ruymbeke, Van Ruymbeke ne dit pas sa relation à Gergorin, Florian Bourge ne dit pas sa relation à Lahoud… Chacun reste fidèle à sa parole, ce qui fait qu’on est embarqué dans une histoire qui va devenir folle.

PHOTO 1denis robertIl y a une chose que j’ai trouvée complètement dingue, je ne sais pas si c’est vrai. Vous oubliez votre fille, soit. Mais vous êtes journaliste, vous êtes un professionnel, et vous ne faites pas de copies de vos dossiers  (NDR : dans le film Denis Robert se fait hacker son ordinateur et perd tous ses dossiers) ?

Evidemment que j’avais fait des copies, même des copies papier. Mais quand Lahoud m’envoie les fichiers Word, il y a une fonction dans les propriétés où l’on peut voir d’où le fichier a été fabriqué et qui l’a fait. Comme lui m’envoie des choses de chez EADS, il y avait EADS Quarter et il y avait Gergorin, c’est une preuve implacable. Mais Lahoud était méfiant, l’envoie chez un copain à moi, qui me le renvoie. Mais quand il me le renvoie, le document est réenregistré sur son ordinateur et la propriété n’est plus la même. Et quand Lahoud m’envoie tous ces hackers qui détruisent mon système informatique, il détruit tous ces documents dont j’ai une copie, mais il pense aussi détruire tous les fichiers etc, et là il commet une erreur. A ce moment-là, je pense que c’est foutu, mais je sais que mon ami Jean-François Diana a les documents. Il regarde sur son ordinateur et me dit qu’il a tout effacé, qu’il n’a plus rien. Trois jours après, il m’appelle en me disant que ces documents étaient sur un ordinateur portable qu’il a laissé chez sa mère. Il me le ramène le soir, on regarde et on retrouve tout. Là, je sais que je gagne contre eux parce que j’ai un élément de preuve. Ça fait partie des éléments de preuves que j’ai recopiés et que j’ai planqués chez mes voisins, parce qu’après j’ai été suivi. On est dans un vrai polar ! On ne peut pas l’inventer, c’est comme ça que ça s’est passé. Si on m’avait piqué ces documents, si je n’avais pas eu ça, si ça se trouve aujourd’hui on aurait Villepin comme président. Je n’exagère pas, puisque la mécanique était quand même fabriquée pour abattre Sarkozy dans cette histoire. C’est pour ça que quand mon livre Clearstream, L’Enquête sort, ils l’interdisent à la vente. Tout ça, je le raconte dans un livre que j’écris en cachette, dans des hôtels, je change d’adresse… Le livre sort, et le lendemain il est interdit à la vente, et retiré des librairies. Ce n’était plus arrivé depuis Henri Alleg et son livre sur la question de la guerre d’Algérie, jamais en France un livre n’a été retiré des librairies. La justice a été incroyablement rapide sur ce coup-là, et j’en garde de l’amertume parce que je me demande comment c’est possible en France d’interdire un livre, et que ça se fasse dans le silence.

Est-ce que vous pouvez nous parler du film documentaire sur François Cavanna ?

J’ai eu envie de faire ce film il y a 4 ou 5 ans, parce que dans les écoles de journalistes ou à Sciences Po où j’intervenais, il est absolument oublié donc je me suis dit qu’il fallait faire un film sur lui. Je n’ai pas trop de problèmes quand je présente des documentaires à des producteurs, j’arrive à trouver des financements. Mais pour Cavanna personne n’en voulait. Moi j’ai vécu biberonné aux livres de Cavanna quand j’avais 20 ans, je sais l’importance qu’il a en matière de liberté de presse et sans doute si un homme mérite l’hommage de la nation c’est lui. Il a ouvert des portes au moment où la censure était terrible. C’est lui qui a créé avec le professeur Choron Hara-Kiri et Charlie Hebdo, et c’est aussi un écrivain merveilleux qui a écrit plus de 60 livres. Quand je l’ai revu, il avait 85 ans et il continuait à écrire tous les jours, à faire sa chronique dans Charlie, et j’ai eu envie de le filmer et de faire des entretiens avec lui. J’en ai faits plusieurs à partir de 1987, en me disant que j’en ferai un film. Ensuite j’ai écrit le film de son vivant, il est mort l’année dernière, c’est donc devenu urgent de le faire. J’ai réécrit toute l’histoire et le film s’appelle Cavanna, même pas mort. Je voulais faire un documentaire de cinéma, mais je n’ai pas trouvé de financement pour ça. En revanche j’ai trouvé deux petites chaines, Toute l’histoire  et France 3 Poitou-Charentes  pour faire le film sur Cavanna. C’est à la fois un portrait de lui très émouvant car c’est comme si il nous parlait d’outre-tombe. Ça parle de liberté, ça parle d’écriture, ça parle beaucoup de Charlie, et de ce que c’est qu’un journal. La dernière personne qui me manquait pour boucler l’enquête, c’était Georges Wolinski. Je l’avais vu la dernière fois en septembre. Je devais le voir, mais il repoussait toujours le rendez-vous parce qu’il ne se sentait pas en forme, et finalement je devais le voir cette semaine. C’est incroyable, je ne le verrai pas. Le film va faire l’ouverture du Festival de BD d’Angoulême, et il prend une dimension, une énergie incroyable au vu des évènements, parce que tout le monde parle de Charlie Hebdo mais personne ne sait ce que c’est vraiment. Et le film va dire qui est Charlie, ce n’est pas du tout ce que l’on croit ni ce que l’on dit, parce qu’on a oublié Choron et Cavanna, et on a mis en avant des gens qui ne méritent absolument pas de l’être.

"l'Enquête", un film de Vincent Garenq.
Scénario : Vincent Garenq, Stéphane Cabel et
Denis Robert d'après L’AFFAIRE DES AFFAIRES DE DENIS ROBERT, YAN
LINDINGRE ET LAURENT ASTIER © DARGAUD ET LA BOITE NOIRE DE DENIS
ROBERT © LES ARÈNES
Avec : Gilles Lellouche, Charles Berling, Laurent Capelluto, Florence Loiret Caille
Sortie le 11 février 2015
Durée 1h46
Film Annonce et affiche © Mars Distribution

  1. Yann

    Et bien sûr, il a été accusé d'être un conspirationniste pour éviter d'avoir à répondre à son enquête.

  2. amar

    Vous pourrez vous intéresser aussi au scandales des ventes à cycle court (dites "one shot"), par certaines sociétés comme Ekinoxe Origin ou Domaine Libre Productions, par exemples (elles ont coulé toutes les deux).

    Un lanceur d'alerte avait dénoncé les méthodes de quelques agence de création de site web, dont une célèbre lilloise Cxxxxxk Team de la Rue d'Angleterre, connue pour se présenter comme 'éthique'. Elle a poursuivi sans relâche un blogueur ayant publié un témoignage, un seul témoignage -réel et non contredit- de client insatisfait des modalités de vente, dont le prix total (sur 48 mensualités).

    Lire son blog: affaireeo.wordpress.com

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