Aujourd’hui19 événements

Quentin Dupieux – Wrong Cops

Quentin Dupieux – Wrong Cops

Quentin Dupieux Style : cinéma Date de l’événement : 19/03/2014

Quentin Dupieux alias Mr. Oizo était de passage à Lille il y a quelques semaines pour nous parler de son dernier « méfait » cinématographique, le déjanté Wrong Cops, à l’affiche à partir du 19 mars. Sympathique, affable, sans langue de bois et sans fausse modestie, Mr. Dupieux a parlé à Lille La Nuit de ses films, méthodes de travail et de pas mal d’autres choses. Evidemment, nous étions tout ouïe…

En voyant Wrong Cops, j’ai pensé au cinéma policier américain des années 70, notamment à certains films de Sidney Lumet comme Le prince de New York. Dans votre film, on trouve des flics qui sont vraiment corrompus, ce sont des gens clairement pas bons. Vous jouez sur les clichés, que vous détournez. Pourquoi détourner ce genre que j’imagine, vous aimez ?

C’est vrai, mais en même temps ce n’est pas vrai. L’esthétique flic est un gadget, on ne les voit pas travailler dans le film. Il y a l’esthétique années 70, un peu crade, avec le côté ringard des séries Z de ces années-là, mais je ne suis pas un grand fan des séries policières. C’est plus une source d’inspiration esthétique. C’était un terrain de jeux. Ce film, on aurait pu le faire avec des docteurs. On aurait pu faire Wrong « Doctors » avec les mêmes gags et les mêmes scènes …

On voit quand même des flics qui vendent de la came. Ca n’aurait pas été le même message…

Non, c’est sûr, mais je réfléchis rarement beaucoup quand j’écris un film (rires). Le seul film un peu cérébral est celui que je viens de finir avec Alain Chabat : Réalité. Les autres films, c’est de l’écriture automatique. Je ne pense pas vraiment au message derrière, mais on retrouve l’uniforme. Je n’avais pas envie de parler des flics. Des films marrants avec des flics, il y en a eu plein, c’est un registre cool mais pas vraiment intéressant au fond. Je fais les choses de manière organique, ça me vient comme ça. Les influences présentes sont inconscientes, c’est intéressant de voir qu’on ne les choisit pas. Ce qui m’intéresse est la mécanique du génie de celui qui réalise, ce qui fait que le film est génial ou pas. On est influencé par tout, même ce qui est mauvais.

Vous écrivez vos scripts, vous réalisez, vous faites la photo, la musique et le montage. Comment faites-vous pour avoir le recul nécessaire, si vous cherchez ce recul, et comment fait-on pour ne pas se perdre, pour garder le contrôle ?

Il suffit d’être conscient de tout ça et de connaître ses limites. Si je n’avais aucun interlocuteur de A à Z du script jusqu’à la fin du montage, je ferai des films moins ouverts vers les gens. Mais j’ai des interlocuteurs : l’absence de monteur choque en général, mais ce qu’apporte un bon monteur en réalité, c’est un avis logique. J’ai mon producteur, ma femme, des amis fiables qui me conseillent. Je n’ai jamais fait un film entièrement tout seul. J’écoute les gens fiables autour de moi. Le problème, c’est qu’il est impossible de satisfaire tout le monde. C’est pourquoi il faut connaître ses limites et celles des gens que l’on consulte.

Comment se passe le processus de création avec votre producteur, Grégory Bernard ? Parce qu’on a l’impression qu’il y a une vraie collaboration entre vous.

Lui me suit quand j’ai une pulsion comme pour ce film. Il me dit ce qu’il en est et on en discute. Quand je lui dis que j’ai besoin de faire Wrong Cops avant Réalité, il comprend que ce n’est pas du chantage, que c’est important que je fasse ça avant pour que l’autre film soit mieux. Au moment où j’ai envie de faire ça, je sais que je ne suis pas prêt à faire mon film cérébral et il comprend ce que ça importe. Il sait prendre les bonnes décisions pour qu’on continue à avancer. Il est très bon pour les « green light », c'est-à-dire le « feu vert, on y va ». Greg est très intelligent sur la lecture d’un film. Tous les gens qui lisent un script se font un film et c’est le problème. Ils n’ont pas vécu le film que tu as écrit et ils sont déçus en le voyant. Greg a cette qualité : il comprend mes intentions, ne se fait pas son film à lui. Il m’aide et fait partie des gens que je consulte en montage.

Le film est relativement transgressif. Sans dévoiler ce qu’il se passe dans le long métrage, il y a des séquences qu’on ne verrait pas dans un film de ce type dans une production américaine.

Sur des tous petits films comme ça, mon seul interlocuteur est mon producteur, encore plus avec celui-là parce qu’on n’a pas eu de financement. Personne ne m’embête avec ce type de problématique. Cela dit, je n’ai jamais été confronté à la censure. Effectivement, ce script-là sur le bureau d’une Major, c’est une catastrophe. Il n’y a pas d’interdiction d’âge ou quoi que ce soit et je sais pourquoi : sous ses aspects trashs, rien n’est choquant. C’est hyper léger, parce que c’est hors de la réalité.

Cette idée de la transgression est-elle nécessaire au moteur de votre cinéma ?

Non. Le seul moteur de mon cinéma est que je suis rêveur. J’ai besoin d’avoir envie de filmer ce que je filme, pas simplement d’exécuter un script. Quand je fais un film, je rêve. Je refuse de devenir un professionnel. C’est mon cinquième film et on dirait un film d’amateur, et j’en suis vraiment heureux. Je ne suis pas en route vers une professionnalisation. Mon moteur, c’est une connexion avec l’enfance, je suis comme un gamin... Je ne veux pas me poser la question de la perfection, que je trouve abjecte. Ça ne m’intéresse pas du tout. J’aime ce genre de films travaillés comme les films Pixar, avec tout ce professionnalisme au service de l’ « Entertainment », mais ce n’est pas ce que je veux faire. Mon seul moteur est de continuer à fabriquer, de décrocher de la réalité. Je fais des films comme je fais de la musique.

On retrouve ici trois acteurs issus du cinéma de Lynch : Grace Zabriskie, Ray Wise et Marilyn Manson. Pouvez nous en dire quelques mots ?

J’ai commencé avec Grace pour ce fameux premier chapitre, c’est parti d’une proposition assez folle de ma directrice de casting. C’était génial mais elle est un peu perchée. Comme sa vie a été marquée par son expérience avec Lynch, elle pense que tout le monde l’appelle pour faire du Lynch. Malheureusement, j’ai dû me séparer de 70 % de ses scènes. J’étais content de pouvoir travailler avec la mère de Laura Palmer, mais il n’y a pas eu de vraie fusion comme avec Manson, avec qui on a accroché tout de suite. Quant à l’autre bonhomme, Ray Wise, qui a débarqué sur le tournage pour faire 4h sans que je ne l’aie rencontré avant, il nous a étonnés ! Rien que sa présence, c’était dingue. Tous les comédiens étaient là et le regardaient, la bouche ouverte.


Affiche et film-annonce © UFO Distribution

Wrong Cops de Quentin Dupieux
avec Mark Burnham, Eric Judor, Marilyn Manson, Steve Little, Eric Wareheim, Arden Myrin… France / 1h25

> Retrouvez aussi l'Actu Cinéma de Lille La Nuit sur Wrong Cops de Quentin Dupieux !

MAJ : Les spectateurs se rendant à une projection de Wrong Cops recevront 10 cms de pellicule de Rubber (dans la limite de la quantité disponible).

Revenir au Mag Interviews
À lire aussi
206 queries in 0,376 seconds.