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3 questions à Mia Hansen-Løve sur le film « Eden »

Eden, le dernier film de Mia Hansen-Løve sort ce mercredi 19 novembre dans les salles. Davantage qu’un film sur la French Touch, il est le portrait d’une génération plus désenchantée qu’il n’y paraît. Inspiré de la jeunesse de Sven Løve - co-auteur du scénario avec la réalisatrice -, Eden évoque son travail en tant que DJ et organisateur de soirées Garage dans les années 90 à 2000. C’est Félix de Givry - lui-même organisateur de soirées avec son collectif Pain Surprises -, qui incarne Paul, le personnage inspiré du frère de Mia Hansen-Løve.

Lille La Nuit ne pouvait décidément pas passer à côté d’un long-métrage qui retrace le parcours d’une génération fan de musique et filme le monde de la nuit. Eden devrait rappeler de nombreux souvenirs aux amateurs de musique électro et intéresser ceux qui aiment le bon cinéma, tout simplement. Rencontre avec Mia Hansen-Løve pour quelques questions autour du film.

Eden 1Synopsis : Dans les années 90, Paul fait ses premiers pas dans le milieu de la nuit parisienne. Passionné de musique, il créé avec son meilleur ami le duo de DJ’s « Cheers ». Ils trouveront rapidement leur public et vivront une ascension vertigineuse, euphorique, dangereuse et éphémère. Aspiré par sa passion, Paul en oubliera de construire sa vie.

Sur cette histoire de la French Touch, vous auriez pu faire un film qui se rapprocherait plutôt d'un biopic, et au contraire, vous lui donnez une forme romanesque, voire presque une fresque, puisque le film se raconte sur une vingtaine d'années, pourquoi avez-vous eu l'idée de prendre cette structure ?

C'est ce qui a rendu le film difficile à produire. Ça a été mon choix dès le départ de ne pas être prisonnière d'un genre, même si je savais que c'était ce qu'on attendait de moi. Le sujet de la French Touch, appelait une certaine logique, un certain type de récit, une certaine imagerie, à laquelle je n'ai pas souhaité adhérer, parce que ce n'était pas l'histoire que je voulais raconter.

Eden est avant tout un hommage à quelqu'un qui m'est cher, et cette personne se trouve être un des acteurs de la French Touch.
Mia Hansen-Løve

Le point de départ du film était de faire un portrait de mon frère, un portrait de ma génération à travers lui. Mais la structure, le cœur du film, ce qui lui donne son sens, c'est toute cette affection que j'ai envers lui, ce qui nous lie. C'est ce qui est essentiel pour moi dans ce film. Ce n'est pas le fait de raconter l'histoire de la French touch. Oui, le film est un hommage à la musique, à ceux qui l'ont fait découvrir, qui l'ont pratiquée, inventée, qui me l'ont transmise. Mais c'est avant tout un hommage à quelqu'un qui m'est cher, et cette personne se trouve être un des acteurs de la French Touch, et une des personnes qui a transmis ou du moins essayé de transmettre sa passion pour une certaine musique.

Ce qui est étonnant aussi, c'est que vous prenez un personnage - votre frère - considéré comme un outsider, alors qu'on croise à plusieurs reprises dans le film les Daft Punk... Et le film montre aussi le côté moins solaire, moins festif de la fête, jusqu'à montrer des choses très dures, notamment liées à la drogue. Il y a un côté très sombre dans le film. J'aimerais donc savoir pourquoi vous avez voulu aller vers ce côté dark, vers cette noirceur ?

Pour une raison extrêmement simple : mon goût pour la vérité. Elle ne prétend pas être absolue ou objective, c'est ma vérité, en tout cas d'être fidèle aux sentiments qui m'ont inspiré le film, et fidèle à la perception que j'ai de mon frère et de son parcours. Les sentiments contradictoires que véhicule le film, c'est-à-dire d'un côté son énergie : ce qu'il peut y avoir de joyeux, d'euphorique dans ce groupe, dans ces moments qu'ils vivent collectivement, importants dans l'histoire de la musique ; et de l'autre côté, il y a des choses beaucoup plus sombres : la fragilité, l'échec, la souffrance, de ne pas arriver à construire une vie de famille, qui sont liées à l'observation que j'ai faite du parcours de mon frère.

Eden3Ça m'a toujours plus intéressé quand je fais des films de me rapprocher d'une forme de vérité humaine telle que je l'observe autour de moi, plutôt que de coller à des stéréotypes, même si c'est cela que l'on attend, et même si j'ai conscience que de déjouer ces stéréotypes peut aussi produire une forme de déception dans une partie du public qui attend, et du coup se sent frustré parfois de pas trouver certains schémas.

Toutes les scènes de set, de boîtes, les scènes musicales en général sont très réussies. ça m'a frappé parce que je trouve que dans le cinéma c'est rarement le cas. Quand on filme des concerts, des groupes, souvent, c'est plutôt raté. Comment avez-vous fait ?  Quels ont été vos choix ? Qu'est-ce que vous vouliez absolument éviter pour pouvoir réussir à imprimer une image de cette musique ?

C'est vraiment un sujet passionnant après trois ans de travail et de réflexion. Et j'appréhende toujours de répondre à cette question, parce que j'ai envie de bien y répondre et j'ai du mal à y mettre des mots. Il y a un texte qu'on a lu - c'est anecdotique mais tout de même important - de Didier Lestrade. Il a écrit Chroniques du Dancefloor, un livre que j'ai lu pour le film. C'était un texte satirique pour se moquer des boîtes de nuit dans les films. Il expliquait pourquoi les scènes de boîtes de nuit étaient constamment ratées au cinéma. Je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'il dit, là n'est pas la question, mais en tout cas je me retrouvais quand même dans beaucoup des écueils qu'il évoquait sur tous les clichés de la scène de club dans les films.

Le point de départ pour nous a aussi été de faire table rase de tout ce qu'on avait pu voir, y compris dans des films qu'on aimait. Ce n''était pas un rejet de toutes les scènes de club de tous les films, il y a plein de films dans lesquels il y a de très bonnes scènes. Mais en tout cas je ne peux pas citer un seul film qui aurait constitué pour nous une référence artistique dans le thème de ce qu'on voulait faire. C'est d'ailleurs ce qui nous stimulait. Ce qu'on avait envie de rendre en terme de son, la manière dont on allait faire vivre la musique, l'authenticité, le réalisme qu'on visait, personne ne l'avait atteint, et peut-être même personne ne l'avait recherché. Ça rendait le projet pour nous d'autant plus excitant.

Réalisation : Mia Hansen-Løve Scénario : Mia et Sven Hansen-Løve
Avec : Félix de Givry, Hugo Conzelmann, Roman Kolinka, Pauline Etienne...
Durée : 2h11
Sortie le : 19 novembre 2014
Photos © Ad Vitam

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