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Ni le Ciel, Ni la Terre : Le film d’un ex-étudiant du Fresnoy de Tourcoing

Synopsis : Afghanistan 2014. A l’approche du retrait des troupes, le capitaine Antarès Bonassieu et sa section sont affectés à une mission de contrôle et de surveillance dans une vallée reculée du Wakhan, frontalière du Pakistan. Malgré la détermination d’Antarès et de ses hommes, le contrôle de ce secteur supposé calme va progressivement leur échapper. Une nuit, des soldats se mettent à disparaître mystérieusement dans la vallée.

Une fois de plus, Jérémie Renier fait un choix de film original et courageux.

Une fois de plus, Jérémie Renier fait un choix de film courageux. C'est ça aussi un acteur !

 

Critique : Il y a des semaines qui se suivent et ne se ressemblent pas. Alors que nous déplorons parfois le manque d'originalité du cinéma français dans les actu ciné de Lille La Nuit, nous tenons absolument à aborder cette semaine un premier long-métrage de fiction, singulier, à la croisée des genres.

Signé par Clément Cogitore, Ni le Ciel, Ni la Terre s'impose d'emblée comme une oeuvre forte, à contre-courant du tout-venant de la production cinématographique.

Jeune cinéaste de 32 ans, ancien étudiant - diplômé en 2008 - du Fresnoy, Studio national des arts contemporains à Tourcoing, Cogitore réalise des documentaires et courts-métrages avant de passer à ce premier long. Disons-le une bonne fois pour toutes : si le sujet de Ni le Ciel, Ni la Terre s'apparente à la lecture de son synopsis au film de guerre, on peut cependant difficilement le ranger dans cette catégorie. Si vous vous attendez à du cinéma testosteroné - qu'on aime aussi à Lille La Nuit -, riche de scènes d'action, cascades et explosions, vous risquez d'être déçus.

Réalisé avec un budget modeste (2 millions 1/2 d'euros), Ni le Ciel, Ni la Terre offre une expérience assez radicale mais fascinante pour peu qu'on ait l'envie, le désir, la curiosité de s'affranchir de certaines figures imposées, des codes du cinéma de genre. Nous sommes certes plongés au coeur d'un bataillon de soldats en Afghanistan, mais ce qui intéresse d'abord Clément Cogitore c'est de nous faire ressentir l'attente, la torpeur, la chaleur écrasante, le soleil de plomb, la lenteur, la frousse qui frappent ces soldats.

Loin de nous l'idée d'associer la lenteur à l'ennui. La télévision et son cortège de publicités, clips,  sujets de plus en plus courts aux JT, mais aussi le zapping, ont imposé un rythme qui a très certainement uniformisé nos goûts en matière de cinéma. On a hélas vite l'impression que la rapidité - dans le jeu des acteurs, le montage, la multiplication des ellipses temporelles... - est devenue quasi la seule norme "acceptable" au cinéma. Pourtant, chaque film a besoin de son propre rythme, de sa  pulsation "cardiaque" personnelle, si on ose dire.

Clément Cogitore, à l'aide d'un scénario au cordeau - lenteur et attente ne signifiant aucunement qu'il y a négligence du récit -, d'un montage particulièrement chiadé, de choix musicaux étonnants (musiques baroques de Sainte Colombe, déjà utilisées dans Tous les Matins du Monde de Alain Corneau, pour l'épisode d'un conflit se déroulant en 2014), donne l'occasion au spectateur de s'affranchir du temps et de l'espace.

En somme, le réalisateur nous désarçonne, suspend le temps pour tenter de nous faire perdre nos repères de spectateurs parfois paresseux. Il refuse de nous caresser dans le sens du poil (tant mieux !) pour nous faire ressentir intimement les situations que vivent les personnages de son film. Les acteurs, tous remarquables - Jérémie Renier en tête qui, détail amusant, retrouve un rôle de soldat après Le Grand Homme - sont totalement habités par leurs personnages sans jamais se sentir obligés d'en faire des tonnes.

Jérémie Renier était à Lille le 24 septembre 2015 pour soutenir ce film qu'il aime. Photo © Maud Vasselle

Jérémie Renier était à Lille le 24 septembre pour soutenir ce film qu'il aime. Photo © Maud Vasselle

 

Si vous souhaitez voir un film au parcours balisé, alors dans ce cas, il vaut mieux rester chez vous. Si, au contraire, vous vous sentez prêts à ne pas tout savoir des personnages, de leur passé, à accepter des zones d'ombres dans l'histoire qui vous est racontée, d'imaginer le "hors champ" du film : alors Ni le Ciel, Ni la Terre est fait pour vous ! Vous serez alors récompensés du petit effort qui vous est demandé.

Il est tout de même assez rare qu'un jeune cinéaste et scénariste - aidé à l'écriture par Thomas Bidegain - sorte le cinéma français de ses ornières pour que nous ne soyons pas séduits par sa proposition cinématographique et n'ayons pas envie de pénétrer dans son univers. Quel maîtrise pour un premier film ! Quelle maturité ! Quelle intelligence !

Bien sûr, l'attente des soldats a déjà été filmée au cinéma. On se souvient tout particulièrement de Jarhead de Sam Mendes. Mais il y a un ton qui fait que Ni le Ciel, Ni la Terre ressemble assez peu à ce qu'il nous a déjà été donné de voir. Si bien qu'à un moment, on ne sait plus trop quel genre de film nous regardons. Sommes-nous en présence d'un film de guerre ? D'un film fantastique ? D'un drame ? D'un film d'aventures ? D'une épopée métaphysique ? De cinéma  politique ? En fait, nous ne tenons pas à le savoir. C'est devenu si rare de ne pouvoir faire entrer un film dans des "cases".

Mais si nous devions tout de même rapprocher Ni le Ciel, Ni la Terre d'une oeuvre cinématographique déjà existente, il faudrait sans doute oser la comparaison avec le cinéma de Werner Herzog (Aguirre, Fitzcarraldo) ou un certain cinéma australien des années 70-80. Et plus particulièrement Picnic à Hanging Rockchef-d'oeuvre du grand Peter Weir. Dans ce film et celui de Cogitore, il est question de disparitions inexpliquées -  dans Picnic à Hanging Rock, ce sont des jeunes filles - et nous sommes en présence d'un rythme particulier qui rend ces oeuvres à la fois poétiques et  angoissantes. La lenteur du récit est là pour faire naître une tension et un stress. Les décors naturels, arides, durs, désertiques participent également au climat d'étrangeté du film. Les séquences d'action étant assez rares, lorsqu'elles déboulent sur l'écran, leur violence en semble décuplée.

Décors naturels, arides, durs, désertiques font beaucoup pour le climat du film.

Décors naturels, arides, durs, désertiques font beaucoup pour le climat du film.

 

Clément Cogitore n'est pas un cinéaste démonstratif. Il ne cherche pas le tour de force. Il travaille un cinéma d'ambiances - beau boulot sur le montage son également -. Et l'on sent dans la composition de ses cadres qu'il est un artiste plasticien, fasciné aussi par l'art vidéo - étonnantes images réalisées avec de véritables caméras thermiques de l'armée -.

Ni le Ciel, Ni la Terre bien plus que beaucoup de films réalisés en 3D, est une expérience de cinéma immersif fascinante. Cogitore est un cinéaste à suivre. Il est pour nous l'un des futurs grands du cinéma français. On prend les paris ? 

Ni le Ciel, Ni la Terre Réalisateur Clément COGITORE Scénariste Clément COGITORE
Avec la collaboration de Thomas BIDEGAIN
Avec Jérémie RENIER, Swann ARLAUD, Marc ROBERT, Sâm MIRHOSSEINI
Durée: 1h40.
Sortie le 30 septembre 2015.
Ni le Ciel, Ni la Terre a reçu l'Aide Fondation Gan à la SEMAINE DE LA CRITIQUE CANNES 2015

Film-annonce, photos du film et affiche ©‎ Diaphana Distribution.

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