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Joe Jackson au Théâtre Sébastopol Lille

Joe Jackson fait doucement le plein d'un Sébastopol recueilli et très sobrement ému. L'homme est attendu, compagnon de vie et de  jeux musicaux de beaucoup de gens présents ce soir. On se remémore dans les allées la tournée Body and Soul, 1984/1985, carrément. L'émotion est palpable, le temps passe doucement mais très sûrement... tout le monde fait son petit bout de route en compagnie de musiciens qui sont un peu comme des amis qui ne nous connaissent pas. Nous, nous les connaissons, ils se sont logés au fond de nos oreilles internes et nous en savons les nuances par cœur. On se dit qu'il serait très curieux de demander aux spectateurs ce qu'ils associent à leur morceau préféré de Joe, l'homme qui a touché au jazz, au néo-classique, à la bande originale, s'est promené dans toutes les dimensions de la musique contemporaine, en fin lettré musical qu'il est, beaucoup plus respecté en Europe continentale qu'en Angleterre à ce jour. On a une étonnante impression d'intimité générale et particulière, à chacun son Joe Jackson, finalement. Il a droit à un accueil de fan, un public partiellement debout instantanément... Rien n'est gagné mais le respect est immédiatement là, d'autant que le dernier album est excellent et comme de nombreux musiciens conscients de la valeur de leur travail, il le sait. Il va d'ailleurs le défendre autrement que les précédents.

Il commence seul au piano avec l'une des ses chansons les plus fines, It's different for girls. Le titre est identifié par le Sébasto en trois secondes. Je suis la première partie lâche-t-il pour annoncer qu'il va jouer solo quelques titres. On piaffe un peu... d'autant qu'on connaît le gang incroyable qui patiente en coulisse : Graham Maby, le bassiste historique, Doug Yowell à la batterie et Teddy Kumpel à la guitare. Hometown est servi dans un arrangement très joliment dépouillé. Trois écharpes sont accrochées au piano, dont une renvoie à un club de foot... So English anyway. Le dépouillement remet l'accent sur les mélodies et les textes. Joe assure faussement qu'il est désolé qu'on applaudisse toujours ses vieux titres, et donne l'autorisation au public de chanter parce qu'il est malade. Et il l'était, franchement et sérieusement. Il n'en a pas rajouté et on s'étonne encore qu'il ait tenu tout le set. Professionnel.

On enchaîne avec Be my number two et la première reprise de la soirée, Big Yellow Taxi, de Joni Mitchell. Il avoue que la version originale est très difficile à chanter pour lui et qu'il a dû tout transformer. Bel hommage à Joni dont il se dit grand fan. Il livre une version très New Orleans de cette magnifique chanson, façon Doctor John, avec un toucher extrêmement propre et précis, un swing cajun impeccable. Il pioche les reprises dans un chapeau et en sortira un autre as de cœur un peu plus tard. On passe au nouvel album. On comprend qu'il lui tient particulièrement à cœur et il joue le coup très subtilement. Il n'essaie pas de placer ici ou là quelques titres saupoudrés entre deux tubes historiques, il présente les titres et en enchaîne quatre d'affilée, en fonction des quatre lieux dans lesquels il a enregistré (Amsterdam, New York, Berlin et... La Nouvelle Orléans.) La version solo de Fast Forward, la machine à remonter le temps, est splendide.

Arrivée triomphale de Graham Maby, acclamé, Doug Yowell, batteur extraordinaire et très funky saute de son tabouret à chaque coup de caisse claire piccolo, une caisse claire très haute qui donne un son très sec. Teddy Kumpel attendra sans râler une seule fois dix bonnes minutes d'avoir une guitare qui fonctionne avec un câble qui veut bien fonctionner lui aussi. Are we back to normal ? demande Joe et d'ajouter This is live music. Personne ne s'énerve et le gang va tourner à plein régime, en excellents musiciens qu'ils sont. Tout est millimétrique, sans oublier la dimension humaine et émotionnelle. Joe maîtrise parfaitement le timing et l'exercice, alterne anecdotes et chansons, sans se lancer dans de trop longs discours qui cassent le rythme. Il sort du chapeau de reprises un titre qui le fait sourire et se fait des cornes avec les doigts : ce sera une version extraordinaire de Scary Monsters de Bowie, qu'il joue depuis des années, tout comme Life on Mars.

Le son est cristallin, très aéré. Kumpel lance une guitare très funky pour le You can't get what you want de Body and Soul. C'est splendide, on continue avec une version étincelante d'Another world. On roule à fond, le Sébasto chavire, pris dans une mécanique d'une extraordinaire fluidité, de titres complètement intégrés à des nouveautés radieuses: Blue time, cette tentative réussie de décrire l'instant ou tout rêveur essaie de retenir son rêve alors qu'il se réveille puis Sunday Papers, Keep on dreaming, le See no evil de Television, One more time et le très convenu Slow Song pour finir. Presque deux heures. Sourires béats et arrivée massive au merchandising, dernier refuge des artistes qui veulent vendre quelque chose et vivre de leur musique... On l'aura acheté là, ce soir là, ce sera une autre pierre de touche de nos aventures au pays de Joe Jackson. Grande soirée, très classique. Très classieuse. 

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