Soirée de clôture du Festival Quartiers De Lune au Grand Mix ce 30 mai 2010. Festival qui se termine en fanfare. Au sens littéral du terme. Car pour conclure en beauté cet événement qui l'année prochaine fêtera ses 10 ans ont été conviés les 9 musiciens du Youngblood Brass Band, collectif américain de cuivres et de percussions fondé il y a plus de 15 ans proposant une approche réactualisée et profondément moderne du Brass Band et ayant déjà rencontré un joli succès lors de leur dernier passage dans la métropole lilloise à la Maison Folie de Moulins le 2 octobre 2007.
L'objectif premier du festival étant de mettre en avant et de supporter des artistes de la région, le trio tourquennois Terroir Prod se voit convier la délicate tâche d'assurer la première partie. Composé de MC Mattair, de MC Bakoon et de MC Loos Kaas et d'un DJ, Terroir Prod s'essaie au mélange Reggae, Hip hop, Dancehall et Ragga en tentant d'y injecter une bonne dose d'humour. On sent le groupe plein de bonne volonté mais le résultat laisse sceptique et manque de personnalité. Les membres du groupe choisissent, en effet, d'apparaître sur scène déguisés: un en boucher, un en plombier, un en nationaliste corse (habit troqué, plus tard, contre celui de légionnaire) et cela rappelle trop, surtout dans notre région, les carnavalesques Marcel Et Son Orchestre... Et l'aspect festif qu'ils veulent donner à leur musique semble prendre le dessus sur le sérieux qu'ils peuvent lui accorder: les compositions faisant appel à des samples peu travaillés et réarrangés et à des sonorités faciles et banales ne charment pas l'oreille, les chants sont souvent maladroits et les textes ( « Fashion Girl », « La Planète ») naïfs, pas assez écrits et faisant appel à des thèmes trop éculés. On est loin de la qualité d'écriture mise en avant la veille au soir dans cette même salle par des artistes tels que Rocé ou Casey.
Mais quand les 9 musiciens du Youngblood Brass Band (deux trombonistes, deux trompettistes, un saxophoniste, un joueur de soubassophone, trois percussionnistes dont un faisant office de chanteur) montent sur scène, les visages se dérident immédiatement et le public, au bout de quelques notes, s'imagine bien se déguiser lui aussi en se laissant pousser de jolies couettes blondes, en enfilant une petite jupette rouge à paillettes mettant en valeur ses jolies cuisses galbées et en faisant tournoyer maladroitement un bâton dans les airs pour revêtir les atours d'une majorette. En soufflant dans leurs instruments à vent et en frappant sur leurs fûts, les américains créent, en effet, une tempête de bonne humeur qui emporte tout sur son passage.
C'est que biberonnés dès leur plus jeune âge aux vertus du Jazz, du Funk et du Hip Hop, les membres du Youngblood Brass Band ont placé la virtuosité en matière de fanfare dans des sphères dans lesquelles peu de groupes peuvent rivaliser. Vénérés par Talib Kweli ou Mike Ladd, ils pervertissent, à l'instar du Hypnotic Brass Ensemble, autre formation cuivrée chaudement recommandée, la vieille tradition des Walking et Funeral Bands de la Nouvelle-Orléans en la métissant aux musiques noires urbaines. Une musique qui symbolise parfaitement le melting-pot étasunien. Et profondément jouissive. Dès les premiers coups de caisse claire, c'est toute l'Amérique que l'on aime qui nous happe et nous entraîne dans son sillage. On se croirait dans le film Block Party de Michel Gondry, documentaire rendant hommage à ces fêtes de quartiers typiquement américaines, et on pense particulièrement à ce moment magique où Kanye West interprète « Jesus Walk » accompagné par une fanfare municipale. Sur les morceaux chantés tels que « Waiver » ou « Nuclear Summer », le meneur et vocaliste du groupe, D.H. Skogen fait preuve d'une rage et d'une prestance entraînantes qui ne sont pas sans rappeler celles de Zack De La Rocha, leader charismatique de Rage Against The Machine, avec lequel le groupe partage un militantisme politique forcené en participant à la structure Layered qui vient en aide aux éducateurs et artistes travaillant avec des écoles et des centres communautaires. On est proche de l'énergie scénique sans pareille de l'immense groupe de Hip Hop The Roots, qui lors de leur dernière tournée, remember la date du 21 novembre 2008 à l'Aéronef, utilisait, d'ailleurs, sur scène un soubassophone, cuivre apparenté au Tuba et ayant en quelque sorte le rôle d'une basse.
Avec une maîtrise technique des plus renversantes s'alterneront sans répit pour l'auditoire, pendant plus d'une heure et demie, d'énergiques morceaux Hip Hop bâtards et fanfarisés, des envolées Jazzies de toute beauté, des compositions aux rythmiques Funky en diable, des hommages à leurs principales références (à Michael Jackson avec la reprise de son « Human Nature » et à Stevie Wonder avec la cover de « Pastime Paradise ») le tout avec un sens du break hors du commun. Mais rien n'est commun, rien n'est banal chez ce combo qui a l'habitude de jouer à guichets fermés de par le monde alors que sa composition atypique ne l'y prédestinait pas vraiment. Et ceux-ci, ne se préoccupant d'aucune direction musicale précise, réussissent le miracle de charmer un public plus large que celui des simples amateurs de cuivres. Leur énergie et puissance scénique plaisent aux amateurs de Rock, la construction de leurs morceaux aux férus de Jazz et leur univers musical aux adeptes de la Soul ou du Rap.
Impossible de rester de marbre devant ce collectif original et décoiffant. Impossible également de ne pas regretter les moqueries enfantines que l'on a pu méchamment balancer à des camarades de classe parce qu'ils jouaient dans la fanfare municipale de notre commune, ne trouvant pas cela très Rock N' Roll à l'époque. Lisa Simpson, tu tiens là ta revanche !
