Ma Chambre froide à l’Idéal de Tourcoing
Création théâtrale de Joël Pommerat
Estelle est-elle réellement gentille ? ou joue-t-elle ce rôle ? voilà la question que l’on peut encore se poser après le spectacle. En effet, Estelle est la première à aider les autres, elle ne se plaint jamais malgré ce qui lui arrive : un patron méprisant, des collègues qui abusent de son caractère doux, un mari qui la brutalise… Et jamais Estelle n’émet le moindre reproche. Pourtant, on devine une autre nature chez ce personnage, la pièce offre quelques indices qui permettraient de nuancer cette apparente naïveté du personnage, si bien que la question reste entière et que les avis divergent sur le caractère réel de cette femme.
Ce spectacle est une fresque parfaitement orchestrée et mise en scène ; la salle et la scène sont disposés telle une arène, les spectateurs entourent les acteurs et les regardent se débattre devant les choix que la vie leur impose. On voit se succéder différents tableaux coupés par des noirs au cours desquels, en quelques instants, on change de décor, de personnages, de lieux, au rythme d’une musique entêtante et sous des effets de lumière particulièrement efficaces. La machine théâtrale de ce spectacle est irréprochable et d’une grande originalité, permettant de mettre en valeur l’aspect narratif de cette œuvre dans laquelle le spectateur ne peut se perdre. On se focalise alors sur les grands moments de la vie d’Estelle, pour tenter de comprendre cette personnalité originale, qui cherche un moyen de rendre visible aux autres ce qui est caché, de leur faire comprendre en quoi ils se trompent ; et même si elle ne sait pas clairement comment y parvenir, elle tente à sa façon de bouleverser notre vision des choses…
Celle qui cherche avant tout à comprendre Estelle est la narratrice de cette œuvre, une voix-off qui commente les différents tableaux – elle a connu Estelle sur son lieu de travail, et au départ précipité de celle-ci, elle a trouvé le carnet dans lequel Estelle notait ce qui lui arrivait. Mais si ce carnet offre des réponses, il laisse des zones d’ombre qui font toute la richesse de cette œuvre, que l’on ne saurait classer du côté de la tragédie ou de la comédie. Le rire est présent, mais ce n’est pas un rire unanime chez les spectateurs, au sens où tous ne rient pas pour les mêmes raisons ; certains passages pourront apparaître angoissants pour une partie des spectateurs, tandis que d’autres riront franchement du même élément – on ne sait jamais comment réagir face à ce qui nous est proposé, ce qui laisse des questions au terme de ce spectacle ; mais on en sort marqué, d’une manière ou d’une autre, ce qui est peut-être ce que l’on attend d’un bon spectacle avant que de fournir de réponses.
