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Anna Calvi + I Have A Tribe au Grand Mix – Ground Zero Festival

Douceur, fureurs et douleurs

What an amazing noise s’est exclamée Anna Calvi devant la foule subjuguée du Grand Mix, amusée par d’étranges petits cris d’amour surgis de cette sympathique jungle humaine. Doux sourire gêné et timide, tout en contraste avec la prodigieuse énergie produite par ses concerts, et surtout avec cette violence, ce cri primal déchirant qu’elle délivre sur scène.

Rares sont les concerts d’une telle intensité. Si vous n’étiez pas au Grand Mix mardi 26 novembre, regardez sur Youtube les vidéos, notamment celui de Williamsburg, le nouveau quartier en vogue dans la bohême artistique de Brooklyn. Anna Calvi y avait la chevelure dénouée ; en France, à la Gaieté lyrique quand on la découvrit pour la première fois, comme encore cette fois à Tourcoing, elle apparaît plus souvent cheveux tirés par un strict petit chignon, façon maîtresse d’école anglaise époque Jane Austen, vêtue d’un austère chemisier blanc et d’un pantalon sombre (même époque), ce qui accentue son air sévère et farouche quand elle fronce les sourcils, appliquée à expulser de ses tripes une rage étrange.

La délicatesse de ses rares propos entre les chansons nous rassure. Anna n’entre en transe que guitare au poing. Elle la tient comme une arme, en joue divinement bien, et l’on n’est guère surpris en apprenant qu’elle a appris cet instrument sur les disques de Jimi Hendrix. Sa gestuelle aussi s’en ressent, quand elle se cambre, rejette la tête en arrière lors de solos hallucinés. Un assistant lui tend des guitares électriques différentes selon les titres - elle doit les collectionner avec passion. Elle aurait travaillé cet instrument faute de confiance en sa voix. On a peine à la croire, tant sa capacité à passer dans les registres de ses modèles – Piaf, la Callas ou Nina Simone – nous renverse.

Mais si la toute menue Anna Calvi est une grande, c’est que les réminiscences de ses maitres se fondent dans un style à nul autre pareil. C’est elle qui mentionne Patti Smith, Kate Bush, Tom Waits, ce sont les critiques rock anglais du NME qui ont évoqué PJ Harvey. Nous on ne voit désormais qu’Anna Margaret Michelle Calvi, 33 ans, âge du Christ depuis le 24 septembre. Y compris quand, en onzième position de la set list du Grand Mix, elle reprend comme souvent en live le Fire de Bruce Springteen. C’est un inconditionnel du Boss qui vous l’avoue : la version de Calvi est inouïe.
Le feu, la fille de Twickenham, temple du rugby, l’a soufflé d’emblée, dès Suzanne and I, suivis d’Eliza puis Suddenly. Le son semble d’autant plus stratosphérique que de pause en pause, Anna place ses spectateurs sur de petits nuages, réinjecte du calme avant ses tempêtes.
La force du groupe, même en formation réduite, stupéfie. A Tourcoing, trois musiciens entouraient la chanteuse, contre deux seulement à Williamsburg dans le concert auquel nous faisions allusion. Au batteur Daniel Maiden-Wood et à la percussionniste Mally Harpaz (qui manie l’harmonium et prit parfois une deuxième guitare), s’ajoutait mardi un clavier (qui pouvait passer à la basse sur de rares morceaux). Sur Carry me over, Mally crée d’abord une ambiance à la Tubular Bells de Mike Olfield, dans un silence remarquablement respecté par le public de Tourcoing, puis l’orage éclate, les spots zèbrent l’écran de fond de scène – une plaine déserte et inquiétante au ciel sombre lourd de nuages massifs, ambiance gothique. Ce déluge de sons agressifs, noisy, Anna Calvi le reproduit dans Love Won’t be leaving, où le roulement de tambours - frappes sourdes de mailloches -, précédant l’épouvantable fracas nous fait songer à celui de Pink Floyd dans Set the controls for the heart of the sun (live at Pompei), où se serait aussi invité un Hendrix fou de rage.
Deux titres de rappel seulement, là aussi respectant l’ordre « calme puis tempête » (le reposant Bleed into me, puis le déchirant Jezebel), 1h30 de concert, un dernier petit merci timide, un thank you so much, good night à faire fondre le cœur le plus endurci, et Anna Calvi s’en est partie pour la suite de sa tournée. Dehors, une pluie froide, on restait pétrifiés et transis. What an amazing noise ? What an amazing girl, pouvait-on lui répliquer…

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