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Kurt Vile + True Widow au Grand Mix

Lorsque True Widow investit à pas mesurés la scène du Grand Mix, on avoue sa perplexité. Comment cette musique là pouvait-elle s’accorder avec le public potentiel de Kurt Vile, de ses Violators, et de ce que le dernier disque avait laissé entrevoir, le très volubile Wakin on a pretty daze ? C’est qu’on parle de Drone Music, de Stone-Gazing, de lourdeur et de lenteur envoyée avec une puissance de feu à pulvériser le très fragile Kurt d’une seule ligne de basse. C’est étonnamment planant, un grand mix étrange entre le Floyd et Black Sabbath. On est en plein sur la question du genre…et il n’y en a pas vraiment d’autre. C’est parfaitement codifié, on joue lourd, on joue lent, on chante relativement peu, on ne pose absolument pas et on enfonce le temps avec un batteur qui éclate littéralement ses baguettes sur le bord de sa caisse claire. Passée la surprise matinée de désarroi harmonique devant si peu de variations, on se laisse emmener dans ces contrées sombres et dépressives en acceptant d’être portés par la basse de Nicole Estill, sculpturale bassiste qui évoque à la fois Kim Gordon et Nico. On la retrouvera dans la salle, marchant exactement sur le même rythme…comme hantée par les paysages invariables qu’elle visite en compagnie de Dan Philips et de Tim Stark.

Kurt Vile et ses Violators arrivent sur scène et envoient directement les dix minutes du fabuleux Wakin on a Pretty daze, dix minutes de conversations électriques et éclectiques. Carillonnant dans tous les sens, les deux guitares s’entrelacent dans un tricot à haut voltage prodigieusement dynamique, soutenues par un impeccable batteur dont les poignets souples et déliés soulignent l’aisance. Le bassiste tient la maison avec une magnifique Rickenbacker 4001 qui fit parcourir un violent frisson de jalousie parmi tous ceux qui rêvent de lutherie californienne... Après ces dix minutes étourdissantes, sans le moindre ennui, le prodige n’est pas mince, les enchaînements sont plus délicats. Toujours très bon quand il joue avec ses Violators, Kurt Vile coupe souvent lui-même la dynamique de son propre concert, allume une cigarette pour en tirer deux bouffées, reprend son accordage, oublie d’appuyer sur la pédale assez systématiquement, balance deux phrases qui semblent sorties d’un imaginaire manuel pour s’adresser au public et n’attend pas la réponse. On connaît l’homme, très mince, dans un slim cousu à même la peau, très longs cheveux en rideau de protection : It’s a big world out there and I’m scared… ou Feel my pain ne sont pas des titres innocents, les gens ordinaires n’ont rien à dire d’extraordinaire, il faut bien une fêlure quelque part et chez Kurt, elle est sensible.

Le vaisseau décolle et les Violators changent de rôle sans problèmes, bassiste et guitariste, Jesse et Rob, se passent les instruments, passent de l’autre côté de la scène, on joue même à trois guitares occasionnellement et on sortira, surprise, un saxophone alto pour l’un des derniers morceaux. On s’envole, c’est parti… On commence à planer très haut. Nouvelle rupture, après ce décollage, deux morceaux en solo viennent une nouvelle fois freiner cette progression, Tomboy et Feel my pain sonnent bien mais appartiennent clairement à une autre facette de la discographie de Kurt et l’ensemble jure un peu. Un peu longuet et on ne peut qu’attendre le retour des Violators. Heureusement, ceux-ci vont réapparaître comme si l’interlude n’avait jamais eu lieu et vont scotcher les deux parties du concert pour n'en faire qu'une pièce, entraînant le public dans un set de plus en plus électrique, rock, charnu, plein de guitares en arpèges d’une rare complémentarité, galopant au gré de belles calvacades électriques. Rarement vu en concert, Jesse Trbovich, l’excellent partner in crime de Rob Laakso demandera le silence à quelques « fans » surexcités beuglant comme des veaux nés la veille, sans le moindre respect pour les musiciens, portant un doigt calme sur la bouche, l’air réellement consterné. Cela dit, plus positivement, il semble que les mentalités évoluent et que tout ce que les groupes ont pu dire sur l’usage du portable en concert pour prendre 300 mauvaises photos soit entendu, on en a vu extrêmement peu hier soir ! On ira donc au terme du voyage en empruntant au final le Freak train proposé par Kurt Vile et ses violateurs, en liberté sans condition. On s’emballe et on finit à genoux d’autant que la concision n’est pas au programme, on développe de longs thèmes en s’affranchissant, avec Hunchback ou All Talk, des canons pop. Un rappel sobre et un dernier titre envoyé solo et acoustique, Smokering for my Halo, avant un bref Thank you guys sobre et sincère.

On file voir au merchandising, bon indicateur de l’effet produit par le concert quant à l’envie de prolonger la danse, et ça marche du feu de Dieu malgré la grossièreté inouïe du cerbère de service qui insulta à demi-mots un jeune homme qui lui demandait très poliment s’il pouvait avoir un petit rabais en achetant deux disques. Pénible.

La setlist comporte une étrange notation accompagnée d'un coeur:  I love chips. On a pensé dans un étrange mouvement du cerveau à une reprise déjantée du Goûte mes frites de Valérie Lemercier avant de se dire, plus sûrement, que le catering du Grand Mix avait encore frappé. Un type qui écrit J'aime les frites sur sa setlist ne mérite-t-il pas toute la sympathie du monde ? On n’attend pas Kurt, la soirée est longue, embrumée des halos et de l’anneau de fumée qui accompagne ce frêle et magnifique songwriter.

 

 

 

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