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Têtes rondes et Têtes pointues au théâtre de l’Idéal

Ce mardi 5 avril, le public du Théâtre de l’Idéal était invité à voyager dans les contrées lointaines de Yahoo. Imaginé par Bertold Brecht à l’heure où l’Allemagne s’apprêtait à entrer dans le IIIème Reich, « Têtes rondes et Têtes pointues » se pose comme une satire préfigurant les lois discriminatoires et antisémites qu’on attribura à l’Allemagne d’Hitler.

Avant le coup d’envoi du spectacle, on peut d’ores et déjà s’attarder sur le décor qui laisse apparaître des façades de bâtiments et de maisonnettes cartonnées. Au centre de la scène, une toile de tissu aux imprimés noir et blanc est suspendue. La salle est comble et accueille ses derniers retardataires… Enfin, le rideau se lève sur un Etat en perdition et en pleine crise économique baptisé Yahoo. Une courte recontextualisation nous est contée par un homme jonglant entre rimes et jeux de mots, nous permettant d’appréhender confortablement les aléas politiques et sociaux dont la population est victime. Le gouvernement doit faire face aux revendications houleuses des métayers. Mécontents, ces derniers en ont assez de subir les charges imposées par les riches propriétaires ayant la main mise sur les terres agricoles du pays. Pour faire valoir leurs droits, ils décident de s’allier sous le drapeau révolutionnaire de "La Faucille".

En premier lieu, nous assistons à une discussion entre le vice-roi (qui lui aussi est un grand fermier de Yahoo) et son bras droit, le sournois Missena, superbement interprété par Juliette Plumecocq-Mech. Sous ses conseils avisés, le vice-roi va céder sa place à Angelo Ibérine. Le gouverneur a d’autres plans pour détourner les griefs du peuple envers l’Etat et usera, sans scrupules, du vieil adage « diviser pour mieux régner » pour parvenir à ses fins. Son crédo, livrer le pays à une chasse à l’homme qui opposerait les Tchouques aux crânes ronds , natifs de Yahoo aux Tchiches dotés de crânes pointus, race dénuée d’origine, cupide, rusée et responsable de la pauvreté de la population. En quête de Tchiches, un contrôleur de tête dont l’unique mission est d’ôter les chapeaux des badauds, sillonne les rues de la ville. Peu à peu, hommes, femmes et enfants à la tête oblongue sont stigmatisés et parfois même dénoncés. Comme dans une danse, les décors glissent et se croisent. Une scénographie ingénieuse qui offre la possibilité aux comédiens de se vêtir et se dévêtir sans quitter le plateau, les façades étant utilisées comme paravents. Un tel dispositif facilite également les déplacements ainsi que l’insertion d’accessoires. Ces changements succincts insufflent une certaine énergie au spectacle. Des chants en chœur, en solo ou en duo viennent se greffer au scénario et rompent le rythme effréné des échanges physiques et verbaux des acteurs. C’est ainsi qu’une chorale prend place sur les planches implorant Ibérine de revoir les loyers des commerces à la baisse.

Dans un monde essentiellement masculin, gravite une poignée de femmes aux caractères bien trempés. Nanna et Isabella en sont les figures de proue. Toutes deux prises au piège de leur condition sociale, elles tenteront d’échapper tant bien que mal à leurs destins. Aux antipodes l’une de l’autre, Nanna est une jolie blonde façon Marilyn Monroe, son seul apparat réside dans ses bas de soie et sa robe légère. Exploitée depuis l’âge de 17 ans par une mère maquerelle, Mme Cornamontis, sous le consentement de son père, Callas, joué avec hargne par Philippe Hottier, elle mène une triste existence. Son père a même troqué sa virginité contre quelques chevaux et l'a laissé aux mains du riche et pervers Emmanuel de Guzman. La jeune prostituée nous livre son parcours en chanson : « Messieurs, à 17 ans, j’ai rejoins le marché de l’amour. […] J’ai vu des choses affreuses mais cela fait partie du jeu. On étreint à tout va. […]Changer le plaisir en monnaie n’est jamais facile. » Isabella de Guzman, issue de la lignée des Tchiches dont le seul souhait est d’intégrer le couvent de San Barabas et de faire vœu de chasteté verra son rêve le plus cher compromis.

Cette adaptation contemporaine du roman de Brecht, mise en scène par Christophe Rauck, dans laquelle on ne peut s’empêcher d’y trouver de grandes similitudes avec notre société actuelle est singulière. D’une part, par la scénographie soignée et recherchée de Jean-Marc Stehlé enrichie par toutes sortes d’accessoires : vélo, journaux, valises, mégaphone, échelle, pinceaux, poubelle... D’autre part, par les costumes sombres de Coralie Sanvoisin et les masques, coiffes et chapeaux de Judith Dubois. Tous ces éléments assemblés nous entraînent dans un conte à la fois onirique et horrifiant.

Vous pouvez découvrir "Têtes rondes et Têtes pointues" jusqu'au 15 avril au Théâtre de l'Idéal à Tourcoing

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