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Tinariwen + Stranded Horse au Métaphone

On passerait des heures à expliquer les différences entre les gammes occidentales et arabes au risque de verser rapidement dans la technicité ardue ! En bref, dans la musique arabe, on s’accorde sur trois notes et en partant de la voix du chanteur uniquement. On est loin du fameux La 440 de la gamme occidentale. Le nombre de notes ? 25. On a donc davantage de nuances et on a eu bien du mal, historiquement, à trouver des systèmes de correspondance. Le sujet développé par le site les lorientales est envoûtant, nuancé, subtil. Passionnant.

C’est avec une très belle Kora que Yann Tambour ouvre cette soirée. Le magnifique Stranded horse rue avec grâce et envoie les premiers signaux de cette soirée placée sous le signe des gammes insolites et étonnantes. Face à son instrument, la harpe africaine, que l’on tient à deux mains devant soi, Yann développe un univers musical très personnel et qui ne présente aucune difficulté à être appréhendé. Tout comme le jazz, parfois, il faut juste accepter de ne pas penser à nos réflexes musicaux conditionnés. L’univers de Stranded horse est poétique, très harmonique, décliné en cascades d’arpèges, révélant les étonnantes possibilités de l’instrument. Yann Tambour a du cran, de l’humour, une présence. Le travail de ses mains sur l’instrument est magnifique à voir, on entend quelques accents de Cat Stevens, au travail des grands guitaristes acoustiques, ceux qui en parlent le langage si particulier : Richard Thompson, John Martyn, ça claque, ça sonne, les doigts galopent, on songe aussi au disque de John Etheridge avec Andy Summers, Invisible threads. L’ombre de Nick Drake passe également. Belle ovation.

Quand les Touaregs de Tinariwen arrivent, on est d’abord stupéfaits par la beauté plastique du groupe. On ne chique pas au costume folklorique pour club de touristes en mal de pseudo sensations, on vient présenter une authentique culture. C’est magnifique, la musique est d’une grande légèreté, extrêmement dynamique, pas de batterie mais des éléments de percussion qui viennent dialoguer avec une basse magique, ronde, agile, dynamique. La transe enveloppe doucement un public qui a bien du mal à ne pas bouger. Il finira debout, dans les travées, dansant avec un plaisir physique évident. On tisse patiemment les points de correspondance entre les continents, tout s’harmonise doucement par ce blues saharien qui ne laisse aucune place à l’Ego. On voit des touaregs mais on a du mal à distinguer un Targui. On chante à six en même temps et on ne cessera de changer de chanteur principal, comme si on avait juste testé tous les morceaux pour savoir qui était le plus à même de prendre ce chant. Une grande démonstration discrète d’humilité devant la musique. On la sert, on s’incline devant elle, tous les éléments s’imbriquent et sont interdépendants.

Les mélopées viennent captiver l’oreille occidentale, qui se laisse faire avec ravissement. On joue parfois le même motif sur toutes les guitares avec un léger décalage, au demi-ton près et ça fonctionne parfaitement. On mélange habilement et sans calcul une grande évidence mélodique, une vraie pulsation très très dansante et une gravité tout aussi intense. L’histoire des Touaregs est marquée, les visages sont parfois graves. Maîtres du Sahara central et bien intégrés dans les courants commerciaux intra- et transsahariens précoloniaux, les Touaregs virent leur pouvoir détruit, leur système économique ruiné et leur société disloquée par la colonisation, lors de la première phase de la mondialisation, puis par l’indépendance du Mali. Depuis, ils tentent de survivre et aujourd’hui ils s’adaptent plus ou moins bien à la seconde phase de la mondialisation écrit Patrice Gourdin sur DiploWeb, la revue géopolitique. Tout cela est emporté par la danse naturelle et joyeuse de l'un des chanteurs, ravi, heureux, communicatif. Il vient devant la scène faire entrer le public dans le monde bleu du Sahara. Tout le monde y court. 

Des hommes bleus dans une zone grise, c’est une histoire complexe qu’on lit avec passion. Des hommes bleus dans la zone des gueules noires, en tout cas, c’était splendide.

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