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Zone Libre, Le Cabinet du Docteur Caligari + Exposé

Zone Libre et les bizarreries étranges d'un allemand des années 1920.

Le trio Zone Libre est le projet post Noir Désir de Serge Teyssot-Gay, le guitariste. On est en droit de se demander qui du public de ce mercredi soir est venu nostalgique, et qui est venu voir ce que Marc Sens, Cyril Bilbeaud et leur célèbre comparse peuvent proposer sur un film expressionniste de 1920, Le Cabinet du Docteur Caligari, de Robert Wiene (une sombre histoire de folie, de meurtre, de concubines convoitées et de medium sournois). Comme leur activité musicale comporte un pan complètement expérimental et néanmoins Hip-Hop par leurs albums communs avec Casey, Hamé et B-James (soit environ le noyau dur du rap français qui ne rigole pas), l'intégrité de ces musiciens qui auraient pu nous vendre de la soupe à la JL Aubert est désormais doublée d'une culture exigeante, ce dont on ne doutait certes pas.

Autant dire qu'Exposé, le quatuor lillois "entre post-punk et noisy-wave, aux chants mixtes, francophones et lettrés", pouvait être un peu tendu dans cet Aéronef presque vide, assis, et loin de la scène (ce qui est mieux pour un film, c'est vrai). Hé ben Papa, ça assure. Sans être fan du style, on se laisse enfumer par l'atmosphère brumeuse et lancinante de leur musique. Bon les textes sont rares et la chanteuse/clavièriste/percussioniste a un ratio instruments joués/notes sorties un peu faible. Certes. Les riffs sont sympathiques, ça tourne, ça tambourine, ça joue. La batterie minimale est circonscrite aux tambours, et c'est bien. Dommage que la basse craque tout du long (trop de mediums?), il y a vraiment quelque chose. Alors ce n'est pas très joyeux, hein, on a dit noisy-wave, mais ils ont une patte, et leur concert est bien mené : ça commence doucement et on sort les gros riffs bien méchants à la fin. Juste une chanteuse à mieux utiliser !

LE MOMENT DU TOPO CINEMATOGRAPHIQUE (Pour ceux qui n'auraient pas vu le premier film expressionniste de l'histoire. Vu qu'il n'est pas facile à trouver, et que c'est pas la TNT qui vous le montrera, c'est-sans-doute-à-dire beaucoup d'entre vous.)
L'expressionnisme allemand est un mouvement du début des années 20, muet donc (puisque le parlant arrive en ? oui, 1927 c'est ça), qui compte dans ses rangs pas moins de deux énormes pointures : Fritz Lang (surtout le Testament du Docteur Mabuse) et Friedriech Wilhelm Murnau (Nosferatu, quand même). Pour faire simple, l'idée est d'extérioriser le complexe mouvement interne des passions humaines, d'en imprégner les décors, les lumières, le jeu des acteurs. Vous voyez le Cri, d'Edward Munch (l'homme qui pesait des millions), bah pareil, au cinéma. Ce qui se traduit par un attrait particulier pour les clairs-obscurs, le jeu saccadé, les décors peints, et les sujets qui dévient : le mal, les monstres, la tentation, la violence. Car il est plus facile, et plus rigolo, d'exagérer ça plutôt que les divagations amourachées d'une quelconque princesse, convenons-en.

ET, soudain, problème se fait. Car si ce genre qui amènera en partie l'ambiance du film noir (mais ça n'a rien à voir) est certes un bon prétexte à de la musique un peu sombre, la pertinence de longues nappes de guitares distordues reste à prouver. En effet, les films expressionnistes se donnant pour sujet l'âme - ou la psyche - humaine, les retournements de situation, les bouleversements, les moments de tensions sont légions. C'est ce qui donne la matière, en quelque sorte. Et quand Zone Libre propose en tout et pour tout 3 thèmes distincts pour un film d'une heure, ça ne rend pas hommage à Robert Wiene et à son grand-oeuvre, voire le vide de son sens. Le groupe ralentit l'action, gomme les aspérités des péripéties, monocorde tout. Ce qui est à la fois un exploit pour un film aussi mouvementé et aussi court, et un grand dommage pour un film muet allemand, qui n'avait pas besoin de paraître ennuyeux en plus.

Sans juger de la qualité intrinsèque de la musique, objectivement bien plaisante, le travail est décevant, le film est mal interprété, mal vécu. On me dira que les artistes ont le droit à leur subjectivité, à leur interprétation und so weiter, fuck it, ils ont tiré sur l'ambulance.

Putain, j'aurais dû faire ce master en cinéma...

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