Aujourd’hui13 événements

« Mommy » : Xavier Dolan ou l’énergie de la jeunesse…

Synopsis : Une veuve mono-parentale hérite de la garde de son fils, un adolescent TDAH impulsif et violent. Au cœur de leurs emportements et difficultés, ils tentent de joindre les deux bouts, notamment grâce à l'aide inattendue de l'énigmatique voisine d'en face, Kyla. Tous les trois, ils retrouvent une forme d'équilibre et, bientôt, d'espoir.

Anne Dorval et  Antoine-Olivier Pilon dans l'une des scènes les plus fortes de Mommy.

Anne Dorval et Antoine-Olivier Pilon dans l'une des scènes les plus fortes de Mommy.

 

Critique : Xavier Dolan a du talent. Beaucoup. Le jeune Québécois a l’énergie de la jeunesse, ce qui est somme toute assez normal lorsqu’on est un cinéaste et scénariste de 25 ans. Cette fougue, c’est peut-être ce que les jurés du dernier Festival de Cannes ont voulu célébrer en remettant à son dernier film, Mommy, leur Prix du Jury.

Il est incroyable, ce Dolan ! Rendez-vous compte : A son âge, il en est déjà à son cinquième long-métrage -premier film, J’ai tué ma mère, en 2009, à l’âge de 20 ans !-, sans compter la réalisation du clip du groupe Indochine, College Boy, qui a fait tant polémique pour une violence qu’il dénonce pourtant.

Dolan va vite, tourne beaucoup. Il cumule plusieurs postes sur ses films : scénariste, réalisateur, souvent acteur mais aussi monteur, créateur des costumes, sous-titreur des langues anglaise et française (il est vrai qu’il serait parfois difficile de saisir le sens de tous les dialogues et des expressions québécoises). Quelle force d'expression ! Voilà  bien un garçon entier et généreux. Un auteur quasi complet, sans doute angoissé, certainement obsédé par le contrôle.

Lors d’une critique récente de Saint Laurent (qui n'a reçu aucun prix à Cannes : une hérésie !), nous avions fait le rapprochement entre le créateur mythique de Haute-Couture et le réalisateur de ce film superbe, Bertand Bonello. Nous avions évoqué cette phrase légendaire attribuée à Gustave Flaubert (mais paraît-il jamais prononcée, rappelons-le) : « Emma Bovary, c’est moi ! ». Nous pourrions dire exactement la même chose en ce qui concerne le Mommy de Xavier Dolan. Comment ne pas voir dans le personnage de Steve Després, ce jeune orphelin de père, baladé de foyer en foyer, brillamment incarné par Antoine-Olivier Pilon (déjà interprète de la vidéo de College Boy), un portrait en creux de Xavier Dolan ?

Jeune, brillant, passionné, débordant d'énergie: Xavier Dolan sur le tournage de Mommy.

Jeune, brillant, passionné, débordant d'énergie: Xavier Dolan sur le tournage de Mommy.

 

Oh, bien sûr, Dolan n’a pas le même parcours que Steve. Il n'a pas le même vécu et n’est pas atteint de troubles de l’attention et de l’hyperactivité*. Mais ce n’est peut-être pas un hasard si le jeune cinéaste s’est intéressé à cette maladie et a choisi de créer un personnage qui en est atteint. L’angoisse, la crainte de ne pas être aimé, la peur de la souffrance, de l’incompréhension, le rejet de l’autre à cause de sa différence, la colère -souvent-, la rage -parfois-, les relations entre le fils et la mère -surtout-, sont au cœur du cinéma de Xavier Dolan. Et ce, depuis son premier film. Sans compter cette soif de vivre, cette urgence qui vous fait défier la mort, qu’on redoute tant. C’était déjà le cas dans J’ai tué ma mère, Les amours imaginaires, Lawrence Anyways, Tom à la Ferme… A n’en point douter, s’il n’en est qu’à son cinquième long-métrage, Dolan peut être considéré comme un véritable auteur, creusant davantage à chaque film le sillon de ses obsessions.

C’est bien sûr, une nouvelle fois le cas avec Mommy. Et vous pouvez nous croire, voilà du cinéma qui bouillonne ! Ca crie, ça vit, ça hurle, ça vocifère, ça va vite, ça vous prend aux tripes. Les acteurs tous plus impressionnants les uns que les autres -notamment Anne Dorval, l’actrice fétiche de Dolan, qui interprète magistralement le rôle de Diane “Die” Després, la mère de Steve- explosent dans ce cadre vertical volontairement étriqué au ratio de 1 :1, qu’a choisi le cinéaste pour filmer Mommy (on ne vous en explique pas la raison, que vous découvrirez en allant voir le film).

On est abasourdi de voir une telle débauche d’énergie exploser sur un écran de cinéma. On est secoué, un peu comme dans un grand huit ou un shaker. On peut se dire aussi, en toute franchise, que le trop est parfois l’ennemi du bien. Bien sûr, les personnages existent, les situations dramatiques et tragiques sont puissantes, la bande son riche et éclectique déborde du début à la fin du métrage (de Céline Dion à Oasis en passant par Andrea Bocelli et Lana Del Rey, avec son superbe titre, évocateur, Born To Die).

Époustouflante et lumineuse Anne Dorval dans le rôle de Diane “Die” Després

Époustouflante et lumineuse Anne Dorval à Oka, sur la plage, lors du tournage d'une scène de Mommy

 

Evidemment, cette histoire d’amour d’une mère pour son fils est très forte, ne peut que convaincre de la sincérité de Xavier Dolan tant il prend à bras-le-corps le sujet de son film.  Bien sûr, en tant que cinéaste, artiste, il veut provoquer des émotions, vous aspirer dans son univers. Vous convaincre ! Alors Dolan en dit beaucoup, sans doute trop (mais pourquoi le film dure-t-il 2h18 ?). Du coup, on peut trouver Mommy quelque peu éreintant et se lasser de toute ces débordements de sentiments. De toute cette démonstration de force, en somme. On aimerait que Mommy nous laisse quelques instants de respiration, de répit…

De fait, si l’énergie est une qualité incontestable de la jeunesse, elle peut aussi avoir dans certaines circonstances ses revers. Et l’on est tenté de croire qu’il serait bon que Xavier Dolan puisse canaliser un tant soit peu toute cette fougue à l'avenir. Car encore une fois, le mieux est l’ennemi du bien. Si Mommy est un film indéniablement mature pour un jeune cinéaste de vingt-cinq ans, on peut considérer qu’il ne l’est pas encore réellement pour un grand cinéaste tout court.

A Lille La Nuit, on pense qu’en vieillissant, un metteur en scène se débarrasse de pas mal de superflu, va vers une certaine épure, tant du point de vue de la forme que du fond (à part dans un cinéma de genre qui réclame souvent fulgurances et débordements stylistiques). C’est en quelque sorte ce que nous dit l’immense écrivain japonais Jun'ichirō Tanizaki dans son chef-d’œuvre, L’Eloge de L’Ombre. A savoir que l’ombre, la pénombre, dévoilent davantage que la lumière. Se délester du superflu, aller à l'essentiel, un immense réalisateur français, Alain Cavalier -dont le très beau dernier film Le Paradis sort cette semaine dans les salles- a réussi à le faire après des années de pratique du cinéma. Mais ce sage a atteint l'âge vénérable de 83 ans, il est vrai.

Bien sûr, il s’agit aussi d’une histoire de tempérament, et nous ne sommes absolument pas en train de dire que le cinéma de Xavier Dolan en général -et Mommy en particulier- n’a pas de qualités. Loin de là ! On aimerait juste que, petit à petit, Dolan se débarrasse des scories d’un cinéma qui, à force de son montrer un peu trop malin et sûr de lui, à force d’afficher une mise en scène quelque peu ostentatoire, peut atteindre le but contraire de celui qu’il s’est fixé : émouvoir.

Steve et Diane, le fils et la mère, ensemble vers la réconciliation et la sérénité? Mommy

Steve et Diane, le fils et la mère, ensemble vers la réconciliation et l'apaisement? Mommy

 

Tout en étant admiratif de ce jeune réalisateur surdoué, nous n’avons pas totalement adhéré à Mommy. Pour résumer, nous sommes impressionnés mais pas réellement convaincus.

A vous maintenant de vous faire votre propre opinion en allant voir le film. Gageons que vous serez émus, comme les spectateurs qui étaient présents à la projection à laquelle nous avons assistée. On a même vu une spectatrice ressortir de la salle les larmes aux yeux. Et si l’on en croit le triomphe remporté par Dolan lors des avant-premières lilloises (une folie !), on peut d'ores-et-déjà s’attendre à un véritable raz-de-marée au box-office français. Et après tout, tant mieux ! Car ne dit-on pas que celui qui aime a raison ?

Retrouvez l'interview de Xavier Dolan, Anne Dorval et Antoine-Olivier Pilon par l'équipe de Lillelanuit.com.

* Pour ceux qui veulent en savoir davantage sur ce trouble, voici le lien de HyperSupers TDAH France, association française Loi 1901 reconnue d'intérêt général.

Photos © Shayne Laverdiere, film-annonce et affiche © Diaphana Distribution

Mommy Réalisé et écrit par Xavier Dolan Avec Anne Dorval, Antoine-Olivier Pilon, Suzanne Clément Durée : 2h18. - Genre : Drame Sortie nationale le 08/10/2014.

Séances et horaires Cinémathèque Plan Séquence

Revenir aux Actus
À lire aussi
178 queries in 0,260 seconds.