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« Alpha – The Right to Kill » : Brillante Mendoza signe un film puissant sur la guerre contre la drogue aux Philippines

L’Actu Ciné de Lille La Nuit vous propose une plongée dans les quartiers pauvres de Manille, où la guerre de la drogue fait rage avec Alpha - The Right to Kill. Réalisé par le cinéaste philippin Brillante Mendoza, le film, très documenté, est d’un réalisme à couper le souffle. Alpha - The Right to Kill vient de recevoir le Prix du Jury au dernier Festival International du Film Policier de Beaune.

« Le scénario est le fruit d’une compilation d’histoires recueillies à partir de recherches et d’entretiens avec des personnes impliquées dans le trafic de drogue aux Philippines.»

Un travail documentaire

Dans sa note d’intention d’Alpha - The Right to Kill, Brillante Mendoza (Kinatay, Captive, Ma' Rosa) plante le décor : « Le scénario est le fruit d’une compilation d’histoires recueillies à partir de recherches et d’entretiens avec des personnes impliquées dans le trafic de drogue aux Philippines. Le défi consistait à harmoniser ces différentes perspectives en un point de vue cohérent. Récemment, les trafiquants aux Philippines ont eu recours à une nouvelle méthode leur permettant de déplacer la marchandise (en l’occurrence, du Shabu ou de la méthamphétamine) tout en évitant des détections et des arrestations : les pigeons. Dans ce film, le pigeon, en tant que passeur, est utilisé comme point de vue unifié de tous les personnages. Puisqu’il vient d’en haut, la vue est omnisciente, offrant à la caméra la capacité de « tout savoir », la capacité d’aller au-delà des murs et de prendre des virages afin de montrer les frontières qui ne sont pas seulement physiques mais aussi émotionnelles. »

Plonger le spectateur en immersion

Ainsi, Mendoza n’a de cesse de faire entrer le spectateur en immersion. Dès les premières secondes, nous voilà propulsés au cœur de l’action grâce à des caméras numériques dont l’image à la texture rappelle volontairement l’image vidéo des reportages (un peu à la façon de Michael Mann dans Collateral ou Hacker). Les caméras sont au plus près des corps, le rythme est épileptique, le montage elliptique.

Le cœur des quartiers défavorisés de Manille est exploré. Mendoza ne nous cache rien des planques des dealers. Il livre des scènes naturalistes sur la fabrication, le commerce et la prise de drogues.

Le cinéaste Brillante Mendoza livre des scènes naturalistes sur la fabrication et le commerce de la drogue.

au plus près de la réalité

Ces choix affirmés du cinéaste, qui cherchent à tout prix le réalisme, peuvent au départ désarçonner un  le spectateur qui n'y est pas préparé. Dans sa note d’intention, Mendoza explique : « La conception globale de la production repose sur l’idée d’approcher au plus près la réalité. Les acteurs non professionnels interprétant les agents de police et les membres de l’équipe du SWAT exercent en tant que policiers dans la vie réelle, ce qui contribue à rendre leurs actions et les dialogues authentiques. Les figurants sont conscients d’être filmés, mais nous filmons parfois la foule sans prévenir afin de saisir des réactions les plus authentiques possibles. »

Dans le dossier de presse du film, on apprend que : « Rodrigo Duterte a remporté l’élection présidentielle de 2016 haut la main sur une promesse : en finir avec le trafic illégal de drogue en trois à six mois. Près de trois ans après, « cette guerre contre la drogue » se poursuit. Policiers et gangs agissant pour le compte des autorités multiplient les opérations dans les quartiers les plus pauvres où prendre du shabu (le nom donné localement aux amphétamines) permet de faire face aux longues heures de travail éreintant ou d’oublier une réalité quotidienne trop dure. Petits trafiquants ou consommateurs sont exécutés dans les rues, mais, à ce jour, aucun réseau d’ampleur n’a été démantelé. »

Mendoza filme dans l’urgence comme pour nous dire qu’aux Philippines, il y a urgence ! Il livre une description documentée, froide. Rien ne nous est épargné : descente de flics, tueries, bébés utilisés pour dissimuler de la came, fusillades, règlements de compte…

Pour autant, Alpha - The Right to Kill, n’a rien de putassier. La violence n’est filmée de manière frontale que pour montrer, sans se voiler la face, la réalité d’une situation apocalyptique : ce "cancer" de la drogue qui fait des ravages aux Philippines.

A partir des figures classiques du flic et de l’indic, le cinéaste présente des anti héros attachants.

Le destin des personnages

Mendoza n’oublie pas ses personnages. Deux parcours sont observés : Moises, le flic, un fonctionnaire de police qui ne vit pas dans un loft de 300 mètres carrés. Celui d’Elijah, un pauvre type qui habite dans un taudis, avec sa femme et son bébé. Les destins de ces deux personnages nous sont présentés en parallèle. A d’autres moments, ils se rejoignent.

A partir des figures classiques du flic (Moises Espino, incarné par Allen Dizon) et de l’indic (Elijah, interprété par Elijah Filamor), Mendoza nous présente des anti héros attachants, qui échappent à toute forme de manichéisme. Le cinéaste ne livre pas un regard moralisateur ou orienté sur eux (même s'il a soutenu publiquement la politique anti-drogues du très ambigu Rodrigo Duterte). Il porte un regard d’entomologiste, quasi scientifique. Et n’oublie pas la douloureuse réalité sociale de son pays. Aussi, il n’est pas question de signer un film d’action lambda en prenant comme prétexte une guerre qui a fait en 2018, plus de 20.000 tués selon les organisations des droits de l'homme.

Comme dans tout bon film noir, le fatum (le destin) est à l’œuvre. Livrant une guerre contre la drogue tels Don Quichotte et son fidèle acolyte Sancho Panza, contre des moulins à vents, on voit mal comment Moises et Elijah peuvent s’en sortir. Un goût de sang et de mort plane sur Alpha - The Right to Kill.

La semaine dernière est sortie la très belle fresque Les Oiseaux de Passage (le film est toujours à l’affiche : ne le manquez pas) sur la naissance des cartels en Colombie. Cette semaine, Alpha - The Right to Kill, apporte un autre regard, plus naturaliste, sur le trafic de drogues en Asie du Sud Est. Loin de s’opposer, ces deux visions se complètent. Et dressent un constat implacable de sociétés en état d’urgence.

Les infos sur Alpha - The Right to Kill

Synopsis : Dans les quartiers pauvres de Manille, la lutte antidrogue fait rage. Un officier de police et un petit dealer devenu indic tentent coûte que coûte de faire tomber l’un des plus gros trafiquants de la ville, mettant en jeu leur réputation, la sécurité de leur famille… et leur vie.

Alpha - The Right to Kill de Brillante Ma Mendoza
Scénario  de Troy Alyson So Espiritu
Avec Allen Dizon et Elijah Filamor
Musique : Diwa de Leon

Durée : 1h34
Sortie le 17 avril 2019

Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

Affiche, photos et film-annonce © New Story

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