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Après Lady Chatterley, le nouveau Pascale Ferran : Bird People !

Synopsis de Bird People : En transit dans un hôtel international près de Roissy, un ingénieur en informatique américain, soumis à de très lourdes pressions professionnelles et affectives, décide de changer radicalement le cours de sa vie. Quelques heures plus tard, une jeune femme de chambre de l’hôtel, qui vit dans un entre-deux provisoire, voit son existence basculer à la suite d’un événement surnaturel.

Bird People - © Carole Bethuel

 

Critique : Nous avons connu un cruel dilemme à Lille la Nuit pour le choix de la chronique cinéma de cette semaine. Deux films retenaient tout particulièrement notre attention : Bird People et Edge of Tomorrow, le dernier blockbuster de science-fiction interprété par Tom Cruise. Après réunion au sommet et un bref brainstorming avec la chef Aurélie, nous avons décidé de vous parler du film de Pascale Ferran, Bird People, présenté dans la catégorie Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes.

Pourquoi ce choix ? Simplement car il nous semble que ce film est plus fragile, a besoin de davantage de soutien, d’accompagnement que Edge of Tomorrow qui écrasera tout sur son passage grâce à sa campagne de promo.

Surtout, Pascale Ferran mérite toute votre attention. Elle réalise peu. Seulement huit films de fiction en vingt-quatre ans, courts et moyens-métrages compris. Le grand public la remarque en 2006 avec Lady Chatterley, splendide adaptation du roman de D.H. Lawrence. Le film reçoit le Prix Louis Delluc et plusieurs César (Meilleur Film, Meilleure Actrice pour la divine Marina Hands, Meilleur Adaptation, Meilleure Image, Meilleure Costume). Ferran réalise également un film documentaire Quatre Jours à Ocoee sur les séances d’enregistrement d’un disque de jazz, composé et interprété par Sam Rivers et Tony Hymas.

En dehors de ses activités de cinéaste, elle dirige en 1999 la version française du film testament de Kubrick, Eyes Wide Shut. Elle crée aussi en 2008 un groupe de réflexion sur le cinéma français nommé Le Club des 13. Excusez du peu. Voici pour le portrait rapide de la dame. Venons-en maintenant à son dernier long-métrage, Bird People, qui s’avère passionnant à plus d’un titre.

Bird People © Carole Bethuel

Le film s’ouvre sur les visages des passagers d’un transport en commun. Quelques-uns écoutent de la musique, d’autres regardent leurs voisins. On entend les pensées des voyageurs. Certaines cocasses, d’autres sérieuses ou banales. La caméra de Ferran capte les mouvements de chacun. Dès l’ouverture de Bird People, en filmant ces personnages dans ce moyen de transport, la réalisatrice annonce la couleur : son film traitera de l’humain et de sa place dans notre société, en 2014.

Mais Ferran, qui n’est décidément pas une cinéaste comme les autres ne livre pas un lourd pensum sur une société en crise. Elle fait de son film une œuvre aérienne, parfois tragique. Mais toujours poétique, surprenante et ludique ; qui ose s’aventurer dans le genre fantastique et le surnaturel. Décidément, les films de Pascale Ferran refusent les conventions, les diktats d’un cinéma formaté.

Deux parties principales composent Bird People. La première s’intéresse à un ingénieur américain, Gary (superbe Josh Charles), en transit dans cet hôtel qui jouxte Roissy. On découvre son quotidien dans cette chambre luxueuse mais impersonnelle : repas, analyse de dossiers, coups de fil, emails professionnels et personnels, … Puis, c’est l’incident. Un rouage se grippe, le doute et l’angoisse s’installent… Gary comprend qu’il ne n’en peut plus de cette vie. Nous n’en dirons pas davantage.

Bird People © Carole Bethuel

 

La deuxième partie de Bird People nous fait découvrir le quotidien d’Audrey (incarnée par la prometteuse Anaïs Demoustier) déjà aperçue à plusieurs reprises dans le long-métrage, notamment parmi les voyageurs du début du film. Audrey travaille dans l’hôtel où réside Gary. Elle semble avoir abandonné récemment ses études mais poursuit son petit boulot de femme de ménage. Elle s’enquiert de son planning, discute avec sa supérieure, ses collègues, fait les chambres, dont celle de Gary …

Puis Audrey s’aventure sur le toit de l’hôtel. A ce moment précis, Bird People bascule dans le cinéma fantastique. Sans crier gare. Sans qu'aucune explication ne soit donnée, ce qui est très bien. On pense à La Belle et la Bête version Cocteau.  Nous n'en dirons pas davantage comme l'a expressément demandé la réalisatrice aux critiques afin de préserver le mystère pour les spectateurs. Mais vous êtes sans doute déjà un peu sur la voie...

Bird People

Bird People © Carole Bethuel

Audrey s'en va écouter les conversations de ses collègues, découvrir la vie secrète de certains comme Simon (Roschdy Zem, impeccable), devenu SDF bien qu’il ait un travail de réceptionniste.

Que veut dire Pascale Ferran de ces êtres en rupture avec la société ? Qu’ils aspirent à une vie meilleure, trouver un espace de liberté, d’évasion, de quiétude ? Rêvent-ils de se réinventer ? D’envisager les rapports humains différemment (qu’ils soient amicaux, amoureux, professionnels) ? Ou d’envoyer tout valdinguer quand la coupe est trop pleine ? Oui, juste de dire ASSEZ ?

Quel message la cinéaste nous adresse-t-elle ? A vous de vous faire votre propre lecture d’un film qui ne livre pas toutes ses clés. Mais sachez juste une chose: si Bird People demeure mystérieux à bien des égards, il reste limpide et n’est en aucun cas hermétique. Le film peut d'ailleurs se voir comme un conte sur les ravages occasionnés chez les plus fragiles d'entre-nous par un marché du travail soumis aux règles de l'hyper-capitalisme (stress, dépression, burn-out, ...)

La force de Ferran, c’est de faire la proposition d’un cinéma à la fois populaire et exigeant (ce qui est totalement compatible). Elle s'interroge sur une société chaque jour plus individualiste, égocentrée, cadenassée. Mais le fait avec invention, subtilité, sans jamais délivrer de discours sentencieux. Voilà une auteure qui possède un vrai regard. D’un point de vue formel, le film est tout aussi élégant. Les cadres sont soignés. Les effets spéciaux sont indécelables. Grâce à la photographie de Julien Hirsch et la chanson de David Bowie, Space Oddity, Bird People tutoie l'onirisme à plusieurs reprises.

Lorsqu’on sort de la projection, on a plein d’images, de sons, de questions, d’idées en tête, de sentiments contradictoires. On se sent léger et un peu grave, aussi. On se surprend à écouter d’une autre façon les bruits de la ville, le vent dans les arbres. On lève la tête. On regarde le ciel et les oiseaux...  Soudain, tout nous semble possible.

Avec : Anaïs Demoustier, Josh Charles, Roschdy Zem, Camélia Jordana, Radha Mitchell, ... Réalisation : Pascal Ferran Scénario : Pascale Ferran et Guillaume Bréaud Musique originale : Béatrice Thiriet Durée : 2h07.

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