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« Braguino » : Un voyage sidérant au fin fond de la taïga sibérienne – Rencontre avec le réalisateur Clément Cogitore

Cette semaine l’Actu Ciné de Lille la Nuit vous propose une expérience immersive, un voyage, un film qui ne ressemble à aucune autre : Braguino. Réalisé par Clément Cogitore - cinéaste de Ni le Ciel, Ni la Terre défendu avec passion par Lille la Nuit - Braguino nous plonge au cœur de la taïga sibérienne. Le film nous fait découvrir un monde à la lisière du réel, l’affrontement entre deux clans, deux familles… Clément Cogitore signe un film aux frontières du documentaire, du conte et du cinéma fantastique. Critique et rencontre avec le réalisateur.

Braguino de Clément Cogitore : le film prend toute sa dimension avec l'écran large et la qualité sonore d'une vraie salle de cinéma.

Critique de Braguino

En 2015, Lille la Nuit avait été emballé par Ni le Ciel, Ni la Terre, film ovni signé par Clément Cogitore, jeune cinéaste né en 1983, et ancien élève du Fresnoy de TourcoingNi le Ciel, Ni la Terre, objet cinématographique singulier à la beauté fascinante, plongeait le spectateur en Afghanistan en 2014. On y voyait des soldats disparaître mystérieusement d’une vallée.

Cogitore signait-là un film interrogeant le rôle du spectateur en utilisant régulièrement le hors champ. Il brisait les barrières entre les genres : nous ne savions pas en regardant Ni le Ciel, Ni la Terre si nous avions affaire à un film de guerre, un drame, à du cinéma fantastique. Une chose était pourtant certaine à la vision de ce film : on tenait là un jeune réalisateur ultra doué aux préoccupations pas si éloignées de cinéastes comme Werner Herzog, Peter Weir ou encore Tarkovski.

Braguino de Clément Cogitore : nous allons vivre le quotidien d’une famille où les enfants jouent un rôle capital.

Clément Cogitore revient avec un film tout aussi singulier

Aujourd’hui, Cogitore revient avec un film tout aussi étonnant. Pour commencer, de par sa durée. Braguino ne dure que 50 minutes (il est précédé en salles d’un court-métrage du réalisateur : Bielutine. Un documentaire de 36 minutes). L’origine du film est télévisuelle : Braguino a été produit pour l‘émission La Lucarne de Arte, qui propose des documentaires de création.

La production a décidé que le film méritait une sortie salles. Comme elle a raison ! Braguino prend toute sa dimension avec l'écran large et la qualité sonore d'une vraie salle de cinéma. Braguino commence par des plans aériens au-dessus des nuages.

Cogitore nous ouvre les portes d'un monde qui semble interdit

Cogitore nous ouvre les portes d'un monde qui semble interdit, coupé de toute civilisation. Le temps est suspendu, arrêté. Sommes nous au XXIème siècle ? Une brèche temporelle vient de s'ouvrir pour le spectateur. Durant cinquante minutes, nous allons vivre le quotidien d’une famille (les enfants y jouent un rôle capital).

Le cinéaste filme scènes de chasse, le dépeçage d’un ours, les pérégrinations dans les forêts. De longues traversées sur l'eau. Cela pourrait être ennuyeux : c’est fascinant, captivant, hypnotique ! Le voyage fait penser à Malick, à l’écrivain Joseph Conrad, à Apocalypse Now de Coppola.

Et dans Braguino, comme dans Ni le Ciel, Ni la Terre, le travail sonore - le design sonore - et la musique sont essentiels.

Clément Cogitore : "C'est le musicien avec lequel je travaille depuis sept-huit ans, Eric Bentz - qui avait fait la musique de Ni le Ciel, Ni la Terre aussi - qui a travaillé sur Braguino. Eric me connaît très bien. Je le connais très bien aussi. Donc, je lui ai montré un montage. Je lui ai dit ce que j'avais en tête. Je lui ai dit des choses plutôt lyriques, minimales. De ne pas penser la musique comme de la musique pour du documentaire ou de la fiction. Je savais que ça allait déclencher des choses chez lui ! Ensuite, il y a des choses que j'ai gardées, d'autres pas. Ce qui est bien avec Eric (c'est là où l'on se retrouve aussi) c'est que la frontière entre sound design et la musique n'est pas si claire. Des fois, ça peut être juste une note. J'aime bien ces choses-là ! C'est aussi des choses qui font un peu grimper l'indicateur de fiction dans le film. Tout d'un coup, les petits personnages derrière la petite caméra prennent valeur de héros et que cette petite histoire prenne un peu valeur d'épopée, prenne un peu de souffle. Et ensuite, l'idée était que la musique n'est pas trop de surplomb par rapport aux personnages, qu'elle ne les écrase pas trop. C'est ça qui colore des fois comme un western. Et aussi, comme on a tourné à deux caméras, des fois il y a des raccords dans le mouvement qui sont vraiment de purs codes de fiction. Une action commence dans un mouvement, puis se termine dans un autre. Ce que, en général, on n'a pas trop dans un documentaire. C'est comme si on était davantage dans un tournage de fiction, quoi." *

On est frappé par la beauté, la force des images de Braguino. Cogitore - qui est également plasticien - joue de toutes les outils à sa disposition pour faire naître une vision forte d’artiste.

Braguino de Clément Cogitore : scènes de chasse, pérégrinations dans les forêts. Cela pourrait être ennuyeux : c’est fascinant et hypnotique !

Cogitore s’affranchit des genres et règles cinématographiques

Une fois encore, Cogitore s’affranchit avec brio des genres, des codes et règles cinématographiques. Regardons-nous un documentaire ? Une épopée métaphysique ? Un conte des origines ? Un film fantastique ? Un western ? Une fable écologique ? Tout cela à la fois, sans doute. Peut-être rien de tout cela, au fond.

Clément Cogitore : "Je dérègle consciemment certaines choses. Mais pour Braguino, j'ai fait vraiment comme j'ai pu. J'ai travaillé le matériau du tournage vraiment comme quelque chose d'organique à partir d'une arche narrative qui était assez simple. Presque comme un conte pour enfants : la forêt, les hommes, les femmes, les enfants, les bêtes sauvages... L'ennemi, l'autre ! Des espèces de choses très simples comme ça. Mais à l'intérieur de ça, les choses n'étaient pas très conscientes. Moi la question du documentaire, du genre ou de la fiction, je n'y réfléchis pas trop. Non pas parce que je pense qu'il ne faut pas y réfléchir. Mais si j'y réfléchis trop, ça me contraint. Je fais juste le film comme je le sens et ensuite, si je franchis certains frontières : tant mieux ou tant pis ! " *

On est intrigué par cet affrontement entre deux familles, les Braguine et les Kiline, qui semble durer depuis des millénaires. Cogitore filme volontairement du côté des Braguine. A nous d’imaginer les raisons profondes de cette guerre. A nous d’imaginer le quotidien, les motivations, la colère des Kiline. En les laissant volontairement hors champ, Clément Cogitore rend les Kiline paradoxalement très présents.

Avec Braguino, Clément Cogitore filme-t-il la réalité ? La réinvente-t-il ? A chacun de se faire sa propre opinion devant cette singulière et fascinante expérience cinématographique.

Synopsis : Au milieu de la taïga sibérienne, à 700 km du moindre village, se sont installées deux familles, les Braguine et les Kiline. Aucune route ne mène là-bas. Seul un long voyage sur le fleuve Ienissei en bateau, puis en hélicoptère, permet de rejoindre Braguino. Elles y vivent en autarcie, selon leurs propres règles et principes. Au milieu du village : une barrière. Les deux familles refusent de se parler. Sur une île du fleuve, une autre communauté se construit : celle des enfants. Libre, imprévisible, farouche. Entre la crainte de l’autre, des bêtes sauvages, et la joie offerte par l’immensité de la forêt, se joue ici un conte cruel dans lequel la tension et la peur dessinent la géographie d’un conflit ancestral.

Braguino de Clément Cogitore
Sortie en salles le 1er novembre 2017

Affiche, Film-annonce, photos © Blue Bird Distribution

Braguino donne également lieu à une exposition que l'on peut voir jusqu'au 23 décembre 2017 à LE BAL 6 Impasse de la Défense 75018 Paris

* Entretien réalisé à Lille le lundi 30 octobre 2017. Merci au cinéma Le Métropole.

 

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