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« Les Chevaliers Blancs » : Le film inspiré du scandale de L’Arche de Zoé

Synopsis : Jacques Arnault, président de l’ONG "Move for Kids", prépare une action humanitaire coup de poing dans un pays d’Afrique : l’évacuation de 300 orphelins en bas âge, victimes de la guerre civile. Un avion spécialement affrété les emmènera en France, où les attendent les parents candidats à l’adoption qui ont financé l’opération. Entouré d’une équipe de volontaires - médecins, pompiers, infirmières - ainsi que de Laura sa compagne, et de Françoise, la journaliste qui doit couvrir l’expédition, Jacques va lancer son ONG dans une aventure extrême.  Alors que rien ne se passe comme prévu, dans la région aussi bien qu'au sein de "Move for Kids", les tensions montent…

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Nobles intentions ? Argent ? Soif de reconnaissance ? Qu'est-ce qui motive Move for Kids ?


Critique :
Cette semaine, pour l’Actu Ciné, Lille La Nuit a choisi d’aborder le dernier film de Joachim Lafosse : Les Chevaliers Blancs. Voilà, du cinéma qui peut déconcerter - nous y reviendrons - mais c’est justement ce qui fait sa force.

Jeune cinéaste belge de 41 ans, Joachim Lafosse s’est fait remarquer auparavant avec  Nue Propriété, Elève Libre et, surtout, A Perdre la Raison : film dur, douloureux (inspiré d’un fait réel) dans lequel il racontait l’histoire d’une femme assassinant ses enfants - offrant au passage un rôle fort et une scène d’anthologie à une Emilie Dequenne impressionnante -.

Avec Les Chevaliers Blancs - titre oh combien ironique ! -, Lafosse traite de nouveau d’un fait divers qui a défrayé la chronique. Souvenez-vous de l’affaire de l’Arche de Zoé, dans laquelle une association fit adopter des centaines d’enfants (sensés être orphelins) par des couples français. Un scandale qui mit à mal les relations diplomatiques entre le Tchad et la France.

Quand on parle d’un film qui peut déconcerter, on pense au fait que Joachim Lafosse et ses scénaristes refusent de porter un jugement, une sanction sur les principaux protagonistes de l’affaire. Certains spectateurs, on le sait, réagissent assez mal à ce refus d’une prise de position. Mais on pense qu'ils ont tort. Les cinéastes, scénaristes (tout du moins les bons) ne sont en aucun cas des procureurs. Ce n’est pas leur travail. C'est celui de la justice !

En revanche, amener le spectateur à réfléchir, se poser des questions, discuter à l’issue de la projection, voilà un objectif à atteindre qui nous semble bien plus intéressant. C’est le but que se sont fixés Joachim Lafosse et ses auteurs.

On le dit tout de go : l’objectif est atteint ! En excluant toute forme de schématisation, en refusant de filmer des « gentils » et des « salauds », Lafosse signe un long-métrage plus fort et troublant que s’il s’était laissé allé à un manichéisme facile.

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Après Je suis un soldat, Louise Bourgoin confirme ses grandes qualités d'actrice.

Le spectateur, de nos jours, est hélas de plus en plus confronté à des films qui lui mâche le « travail ». On lui dicte trop souvent ce qu’il doit penser. On lui impose des personnages, des scènes, des fins qui laissent de côté toute possibilité de hors champ. Trop de longs-métrages (souvent américains, hélas, car on aime ce cinéma) délivrent une vision basique de notre monde. Du coup, on peut être tenté de ressentir une frustration lorsque l’on est confronté à un film qui décide de ne pas entrer dans le « moule ». Alors qu’au contraire, on devrait se réjouir quand un auteur croit en l'intelligence de son public.

Tout en délivrant des messages subtils, des indices, de ce qu’il pense de cette histoire - car Lafosse a bien évidemment sa petite idée sur la question, prenant clairement position pour les Africains -, le cinéaste redonne du pouvoir à un spectateur que certains aimeraient davantage passif.

On passe constamment du chaud au froid dans Les Chevaliers Blancs : les membres de l’ONG "Move for Kids", ont-ils de nobles intentions ? Sont-ils motivés par le fric ? La soif de reconnaissance ? Veulent-il aider sincèrement des français en mal d’enfants ? Offrir une chance à des gamins sans grand avenir ? Profitent-ils de la misère des Africains ? Plus d’une scène nous font penser à l’une de ces éventualités, puis une autre. Et parfois à tout cela en même temps.

Ce n’est pas un manque d’engagement de la part du réalisateur. Pas plus qu’un manque de courage, ou de point de vue. Certains critiques disent que le film passent à côté de son sujet. S'ils veulent un déroulé précis, chronologique, informatif des faits, qu'ils lisent les journaux. Lafosse fait du cinéma. Il n'est pas reporter ! Encore, une fois, en laissant quasi de côté le passé des protagonistes de l’histoire et leurs motivations, le film nous interroge et fait sens. Quel est notre rapport à notre passé colonial ? A la Françafrique? Et à l'Humanitaire?

On l'a dit, Joachim Lafosse est belge. Peut-être qu’un cinéaste français aurait manqué de recul et serait tombé dans le piège de la schématisation. Allez, savoir ? Signer un film sur une affaire qui n’implique pas votre pays offre la possibilité du recul nécessaire pour traiter intelligemment d'un sujet sensible (tout en permettant au réalisateur de questionner, de manière transversale, le passé colonial de la Belgique).

C’est ce qu’ont accompli Lafosse et ses auteurs avec ce film. Leurs méthodes de travail sont d’ailleurs à saluer : les scénaristes ont passé du temps sur le « plateau », réécrivant des scènes de manière quasi quotidienne (au Maroc car les assurances n’auraient pas couvert l’équipe si le tournage avait eu lieu au Tchad). C’est ce que nous a confié le scénariste Thomas Van Zuylen. Sans doute est-ce la meilleure méthode pour s’approcher au mieux des faits, tout en signant une réelle œuvre de fiction adulte et ambitieuse.

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Valérie Donzelli une des interprètes de ce film choral : Les Chevaliers Blancs.


Du point de vue cinématographique:
la mise en scène de Lafosse est tendue sans pour autant tomber dans une caricature de film d'action ou d'aventures qui aurait été tout à fait hors de propos, pour ne pas dire totalement déplacé. Il filme des décors naturels tout en évitant les excès de stylisation et belles images. Les Chevaliers Blancs est une œuvre esthétique (après tout, nous sommes au cinéma) mais pas esthétisante.

Il faut aussi signaler la qualité de la distribution. Il n’y a pas réellement de personnage principal dans Les Chevaliers Blancs. On peut davantage le voir comme un film choral. Mais chaque actrice ou acteur apporte sa pierre à l’édifice. Vincent Lindon, Valérie Donzelli, Reda Kateb, Louise Bourgoin, Philippe Rebbot offrent leur force de conviction au film. Nous sommes heureux qu’ils aient accepté d’incarner des personnages aussi peu glamour, qui ne les mettent pas toujours en valeur. C’est le moins que l’on puisse dire.

Les Chevaliers Blancs n’est certes pas un film facile, une œuvre aimable caressant le spectateur dans le sens du poil. Mais tant mieux, après tout ! C’est ce qu’on attend aussi du cinéma à Lille La Nuit.

Les Chevaliers Blancs
Un film de Joachim Lafosse
Scénaristes : Joachim Lafosse, Thomas Van Zuylen, Bulle Decarpentries
Avec la collaboration de Thomas Bidegain
Librement adapté de Sarkozy dans l’avion ? Les zozos de la Françafrique de François-Xavier Pinte et Geoffroy d’Ursel
Directeur de la photo : Jean-François Hensgens
Productrice déléguée : Sylvie Pialat
Avec : Vincent Lindon, Valérie Donzelli, Reda Kateb, Louise Bourgoin, Philippe Rebbot, Bintou Rimtobaye...
Sortie le 20 janvier 2016
Durée : 1h52

Photos Copyright Fabrizio Maltese - Versus Productions - Les films du Worso Film-annonce et affiche Copyright  Le Pacte

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