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« Chez Nous » : Le film de Lucas Belvaux sur l’extrême-droite – Interview du cinéaste

L’actu ciné de Lille la Nuit se porte cette semaine sur Chez Nous, le dernier film de Lucas Belvaux. On a beaucoup parlé de Chez Nous pour des raisons qui n’ont aucun rapport avec le cinéma. Le Front National s’est déchaîné contre le film à la seule vision de sa bande-annonce. Evidemment, comme le sujet de Chez Nous est foncièrement politique, on ne peut en faire abstraction. Mais Lille la Nuit a eu aussi l’envie de parler cinéma lors de sa rencontre avec Lucas Belvaux...

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Dans Chez Nous, Catherine Jacob incarne Agnès Dorgelle. Toute ressemblance...

 

Critique : Pour commencer, il faut savoir que Lucas Belvaux est un cinéaste passionnant et respectable, qui travaille un véritable univers depuis 1991. L’artiste ne s’est pas réveillé en 2017 pour interroger les soubresauts de la société française. Il a toujours filmé les « sans grades », ceux qu’on appelle parfois de façon méprisante les « petites gens ». On doit à Belvaux des films aussi intéressants que La raison du plus faible, 38 témoins

Évacuons d’emblée ce qui pourrait donner lieu à une mini polémique supplémentaire autour du film : Si Belvaux a planté ses caméras dans le Nord de la France pour aborder l’extrême-droite et la fabrication de son vote, c’est parce qu’il est belge (originaire de Namur). Il était forcément plus évident pour le réalisateur de tourner Chez Nous chez nous, plutôt que dans le Sud ou l’Est de la France

Chez Nous est inspiré d’une série noire de Jérôme Leroy - coscénariste du film- : Le Bloc. Un roman très documenté sur l’extrême droite française.

Lorsque Lille la Nuit a rencontré Lucas Belvaux, nous lui avons demandé pourquoi il a voulu réaliser un film sur ce sujet.

Lucas Belvaux : "Je pense que l’extrême-droite et les partis populistes, en général, sont ceux qui ont le plus à voir avec l’intime. On ne vote pas pour ces partis là pour des raisons objectives. On ne réfléchit pas. C’est un vote de colère, c’est un vote pulsionnel ! Parce que sinon, on ne voterait pas pour eux… Donc, je pense que le cinéma est ce qui est le plus approprié pour parler à la fois du général, du politique et de l’intime. J’ai eu envie de faire ce film-là parce que, quand on tournait Pas son genre (mon film précédent) à Arras, je me suis dit « ma coiffeuse que j’aime énormément, pour laquelle j’ai du respect, de l’affection, de l’admiration aussi, je ne sais pas pour qui elle vote à ce moment là de son histoire. Et je ne sais pas pour qui elle votera après s’être fait maltraitée par son philosophe parisien » (ndr : Lucas Belvaux fait référence au personnage qu’incarne Emilie Dequenne dans Pas son Genre). Je me suis dit : c’est une question qui mérite d’en faire un film. On était en peine campagne électorale, les sondages mettaient le FN à 30 / 40%."

Ce qu’on aime dans le film, c'est que tout en étant très documenté, il ne ressemble pas un tract politique. Oui, Chez Nous est engagé ! On se doute bien que Belvaux ne porte pas dans son cœur le Front National (rebaptisé dans le film "Le Bloc Patriotique"). Mais jamais le cinéaste n’oublie de construire des personnages, de les faire exister. Ils ne sont pas des archétypes représentant soit une victime, soit un salaud.

Ainsi, le Docteur Philippe Berthier (époustouflant André Dussollier) qui convainc la naïve Pauline (Emilie Dequenne) de se porter candidate sur les listes du "Bloc Patriotique" pour les Municipales, est un personnage qui évite toute forme de manichéisme. A plusieurs reprises, on se surprend à le trouver charmant, gentil, attentionné.

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Dans le film de Belvaux, Guillaume Gouix est une fois de plus impressionnant.

 

Il en est de même pour les autres personnages : Stéphane Stankowiak, petit nazillon pathétique, échappe à tout schématisme (saluons la prestation de Guillaume Gouix). Anne Marivin (déjà vue dans Bienvenue chez les Ch’tis) est très bien. Seule Catherine Jacob, monolithique, déçoit en Agnès Dorgelle le personnage inspiré de Marine Le Pen. Mais il s’agit d’une figure secondaire du film.

Comme Chez Nous est une œuvre politique, forcément, elle pose des questions politiques et sociales. Reprocherait-on à une comédie de vouloir faire rire ? On est d’autant plus heureux de voir sur nos écrans Chez Nous, que le cinéma français a quasi déserté le cinéma politique. Parfois, en regardant le film, on se pince devant les agissement de l’extrême-droite que nous montre Belvaux. Le cinéaste, pourtant, affirme être souvent en deçà de la réalité.

Chez Nous rappelle longs-métrages de Yves Boisset (Belvaux, longtemps acteur, fut l’interprète principal d’un film du cinéaste : Allons z'enfants) ou de Costa-Gavras qui - dans les années 70-80 - mettaient les pieds dans le plat et n’avait pas peur de remuer la « merde » !

Lucas Belvaux : "C’est inévitable ! Quand on fait un film politique aujourd’hui en France, on pense à Boisset et Costa-Gavras ! Forcément ! Donc, je m’inscris évidemment dans cette histoire là du cinéma français avec ce film. Maintenant, l’époque a changé. Eux étaient vraiment dans un cinéma de dénonciation. C’était du cinéma de lutte ! Du cinéma de combat ! L’époque fait que tout est plus compliqué depuis trente ans. Les lignes de fractures ne sont plus tout a fait les mêmes. La gauche, la droite, où ça se situe ? On est à front renversé, comme on dit maintenant. Il y a la fameuse triangulation. Ça s’est beaucoup complexifié. En plus depuis l’arrivée, en 80-81 de la gauche au pouvoir la TV, la radio, sont beaucoup plus libres. Internet est arrivé par dessus. La parole est plus libre et hélas, parfois, trop libérée. Le surmoi a explosé ! Et donc ce cinéma a disparu aussi parce qu’il a subi une espèce d’offensive extrêmement massive, lourde. (...) Donc, petit à petit, le cinéma immédiatement politique s’est transformé. C’est devenu un cinéma essentiellement social (…). Et après il y a eu une deuxième offensive qui disait «Arrêtez de filmer dans une cuisine des filles aux cheveux gras ! Arrêtez de filmer de chômeurs ! Faites-nous rêver ! Le cinéma, ça doit être du spectacle ! » Donc, ça devient de plus en plus difficile de faire des films sociaux et politiques. Et puis, on a aussi intériorisé cette espèce de reproche constant qu’on nous faisait en nous disant « Vous êtes des bobos, vous vivez dans les beaux quartiers, vous gagnez bien votre vie. Au nom de quoi parlez-vous pour le peuple, au nom du peuple ? Vous n’y connaissez rien ! (…) C’est de la démagogie absolue mais c’est l’idée qu’il faut couper la culture du peuple ! "

Des critiques reprocheront à Chez Nous d’être un film qui manque d’ambition cinématographique. Le procès, s’il a lieu, ne tient pas ! Sur toute la durée du métrage, Belvaux s’attache à faire du cinéma. Il filme rues, décors, immeubles de la même façon que dans 38 Témoins. Représentée ainsi, la petite ville - inventée - de Hénard devient étouffante, kafkaïenne.

Pauline (Emilie Dequenne) va découvrir "l'arrière-cuisine" du Bloc Identitaire.

 

Lucas Belvaux : "C’est aussi un film noir. Comme dans mes autres films, j’aime bien filmer la géographie. J’aime bien filmer l’architecture. Et puis, c’est quand même plus agréable quand on voit un film un peu « filmé ». Où il y a un point de vue… Je ne parlerai pas d’esthétisme mais oui c’est tout de même un peu construit. Moi, j’essaie de de faire des images ou des plans qui racontent quelque chose. La géographie, l’architecture racontent quelque chose de ce qui se vit pour les gens. Et puis, parfois, en stylisant un peu, cela donne un peu de distance. Et la distance permet de ne pas être dans l’identification absolue. De laisser le spectateur à bonne distance pour pouvoir avoir son propre point de vue. Quand on est dans l’identification, on est dans le ressenti, dans les sentiments, dans les pulsions. On est le personnage. Je n’essaie pas que les spectateurs soient le personnage. Je n’essaie pas qu’ils s’identifient. J’ai plutôt envie de montrer ou un miroir, ou une représentation, pour que les spectateurs puissent avoir leur propre point de vue. J’essaie de faire un cinéma non totalitaire."

Lucas Belvaux a atteint le but qu’il s’est fixé : faire du cinéma intelligent (mais aussi divertissant), qui remet la politique au cœur de nos préoccupations de spectateurs. Chapeau bas !

Synopsis : Pauline, infirmière à domicile, entre Lens et Lille, s’occupe seule de ses deux enfants et de son père ancien métallurgiste. Dévouée et généreuse, tous ses patients l'aiment et comptent sur elle. Profitant de sa popularité, les dirigeants d’un parti extrémiste vont lui proposer d’être leur candidate aux prochaines municipales.

Chez Nous de Lucas Belvaux
Scénario Lucas Belvaux et Jérôme Leroy
Avec Emilie Dequenne, André Dussollier, Catherine Jacob, Guillaume Gouix
Durée 1H58
Sortie le 22 février 2017

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