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Do Not Disturb de Yvan Attal

Do Not Disturb de Yvan Attal

Huit ans. Huit ans que nous n’avions pas eu de nouvelles de Yvan Attal. Nous ne parlons pas ici de Yvan Attal l’acteur (l’un des plus doués de sa génération : il suffit pour s’en convaincre de revoir « Les Patriotes » le chef-d’œuvre de Eric Rochant ou, plus récemment, l’impressionnant « Rapt » de Lucas Belvaux) mais bien de Yvan Attal, le réalisateur.

Alors pourquoi ce silence ? Pourquoi Yvan Attal a-t-il mis tant de temps à repasser derrière l’œilleton de la caméra ? Tout simplement parce qu’après deux premiers longs-métrages qui furent de véritables succès publics, « Ma Femme est une actrice » et « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », Attal a passé huit années à tenter de monter la production d’une adaptation de Marcel Aymé. Ce fut un échec. En France, on peut être un acteur « bankable », un réalisateur à succès et ne pas trouver de financements pour monter un projet ambitieux. Paradoxe du cinéma français.
Yvan Attal revient donc aujourd’hui avec sa casquette de cinéaste. Et il s’agit d’une bonne nouvelle. Excellente, même !

Au départ, « Do Not Disturb » est une petite comédie américaine (faussement transgressive) réalisée par Lynn Shelton et intitulée « Humpday » (2009). Un film qui cumule tous les défauts des productions américaines formatées pour le festival de cinéma indépendant fondé par Robert Redford, « Sundance ». Mais voilà, le sujet de cette comédie est excellent. Original ! Gonflé ! Décalé ! On y découvre deux potes, hétérosexuels jusqu’au bout des orteils qui, par défi, décident de faire l’amour ensemble devant une caméra afin de participer à un festival de cinéma pornographique amateur. Evidemment, pour les deux meilleurs amis (dont l’un marié), tout ça va s’avérer très compliqué.

On n’est donc pas étonné qu’un jeune producteur français, Mikaël Abecassis, ait eu l’envie d’en faire un remake. On est beaucoup plus surpris en revanche que des français se lancent dans l’adaptation d’un film américain. Chose assez rare pour être signalée. En général, cela fonctionne plutôt dans l’autre sens. Et les copies sont rarement à la hauteur des œuvres originales.

Yvan Attal se confronte donc avec « Do Not Disturb » à un double challenge : réussir un remake et réaliser une œuvre de commande. Une première pour celui qui a jusqu’à présent porté à l’écran des sujets originaux, écrits par ses propres soins.
Mais autant le dire tout de suite, le pari est tenu et remporté haut la main ! Car Yvan Attal a bien vu qu’il pouvait faire du film de Lynn Shelton une œuvre originale, la malaxer pour la faire sienne. Il est vrai que Attal a réalisé peu de films. Mais il prouve avec ce troisième long-métrage qu’il est un véritable cinéaste, un auteur (fait relativement rare pour un acteur passant derrière la caméra). Il porte, en effet, un vrai regard sur ses personnages, travaillant chaque plan, faisant des choix de mise en scène assez gonflés (comme dans la délirante scène de fête, nous n’en dirons pas davantage), dirigeant ses comédiens à la perfection (Cluzet, Gainsbourg, Argento, le moindre second rôle, la plus petite apparition) et révélant en Laetitia Casta une grande actrice. Elle est tout bonnement exceptionnelle !

Mais Yvan Attal est surtout un metteur en scène qui travaille sur de véritables obsessions. Et principalement celle qu’il a pour le couple. Dans ses deux premiers films il abordait déjà ce thème. Dans le troisième, il enfonce le bouchon encore plus loin. Ici, il n’est plus question seulement de couples hétéros, mariés, concubins ou encore adultères. Non, dans « Do Not Disturb », Attal, filme un « couple » formés par deux potes. C’est l’occasion pour Attal réalisateur de se poser quelques questions : Qu’est-ce que l’amitié entre deux hommes ? Qu’est-ce qu’une amitié « virile » ? Ne dissimulerait-elle pas une homosexualité refoulée ? Et au fond, c’est quoi un couple ?

Ces questions, elles trouvent forcément échos chez le spectateur. C’est déjà un bon point pour le film : il fait réfléchir, réagir, parler à la sortie de la séance. Mais « Do Not Disturb » ne fonctionnerait peut-être pas tout à fait à plein régime sans ce couple de potes, dément, épatant, formé par François Cluzet et Yvan Attal. Ils portent le film vers des sommets de burlesque assez réjouissants. Voilà donc un film enlevé, osé, cru, mais jamais scabreux ou vulgaire. C’est du cinéma drôle, bien écrit, bien filmé (contrairement à la moyenne des comédies françaises). Et plus réussi que son modèle d’origine. « Do Not Disturb » n’est donc pas un simple décalque, une copie servile. C’est une véritable relecture.

A l’instar d’autres cinéastes comme Spike Lee (avec « La 25ème Heure » dans un tout autre registre), Yvan Attal prouve qu’il est tout à fait possible d’accepter une « commande » et d’en faire un excellent film. Souhaitons à Monsieur Attal un grand succès public. Et souhaitons au spectateur de ne pas attendre huit longues années avant de revoir un film du cinéaste à l’affiche.

Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs.

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