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« Le Grand Homme » : Après Cloclo, Jérémie Renier impressionne en légionnaire

Synopsis : Détachés en Afghanistan pour 6 mois, les légionnaires Markov et Hamilton sont pris en embuscade lors d’une expédition non autorisée par leur hiérarchie. Markov sauve Hamilton, grièvement blessé par des tirs rebelles, mais quitte la Légion sans les honneurs. De retour à Paris, Hamilton, convalescent, souhaite rester légionnaire, tandis que Markov, désormais civil et sans papiers, tente de s’en sortir avec son fils Khadji. Hamilton prête son identité civile à son ami tchétchène, pour qu’il puisse travailler légalement. Mais un jour, Markov disparaît, laissant Hamilton désorienté et Khadji seul au monde.

© Les Films Hatari

© Les Films Hatari

 

Critique : A Lille La Nuit, on aime la pluralité au cinéma. Certaines semaines nous vous parlons de cinéma d’horreur, de reprises, de comédies, de polars… De films américains, australiens, italiens… Point de sectarisme ! Nous aimons tous les genres et cinémas, d’où qu’ils viennent ! Cette nouvelle chronique hebdomadaire coïncide avec la sortie d’un film français très singulier, qui brasse plusieurs genres cinématographiques : le film de guerre, social et politique, le drame. Le Grand Homme, puisque c’est de ce film dont il s’agit, est réalisé par une française, interprété par un grand acteur belge à la carrière éclectique et deux comédiens tchétchènes amateurs -un adulte et un enfant-, dont c’est le premier film.

Sur le papier, Le Grand Homme a de quoi séduire. On peut aussi se demander si le film trouvera son équilibre à cause des nombreux thèmes qu'il aborde. Pour le savoir, le mieux était que Lille La Nuit aille voir ce film, afin de vous faire partager notre opinion.

Voilà cinq ans, Sarah Leonor avait enthousiasmé avec un premier long-métrage, Au Voleur, interprété par le regretté Guillaume Depardieu et la magnifique mais hélas trop rare Florence Loiret Caille. Sarah Leonor passe donc aujourd’hui le cap difficile du deuxième film. Difficile car il ne faut pas décevoir quand la critique et le public ont aimé votre première réalisation.

Autant vous le dire tout de suite, nous avons été séduit par Le Grand Homme. D’abord le film étonne par ses premières séquences qui se déroulent en Afghanistan. Dès les premières minutes du métrage, on a la confirmation que Sarah Leonor possède un véritable regard de cinéaste. Il faut voir ces légionnaires perdus dans l’immensité de décors naturels (carrières, déserts), diminués par la chaleur, la fatigue, la peur… Sans vouloir écraser le film sous des références trop imposantes, on pense tout de même au cinéma de Terrence Malick, John Ford ou quelques grands autres réalisateurs américains qui savent mieux que personne utiliser l’espace, la nature et filmer les éléments. On pense aussi forcément à une certaine tradition du cinéma français des années 30 -celui de Julien Duvivier par exemple- qui filmait souvent la légion étrangère au point d’en faire quasi un genre cinématographique. Et on pense également à la façon qu'a Raymond Depardon de filmer le désert.

 © Les Films Hatari

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Avec un budget qu’on sait modeste, la réalisatrice impose en quelques plans une vision de la guerre très réaliste. Sarah Leonor n’a évidemment pas les moyens de Kathryn Bigelow pour filmer des combats impressionnants et dévastateurs. Mais elle s’en sort avec les honneurs grâce à la qualité de sa mise en scène, son découpage, du travail sur le son et de la très belle photographie numérique du chef-opérateur Laurent Desmet.

Surtout, elle est aidée par un remarquable comédien : Jérémie Renier (Cloclo, mais aussi les superbes La Promesse, L’enfant, Le Silence de Lorna, le moins réussi Le Gamin au Vélo de Luc et Jean-Pierre Dardenne, ou dans un tout autre registre, le très barré Dikkenek) est immédiatement crédible dans la peau de ce légionnaire sans attaches, Hamilton, pour qui l’armée représente tout, dont on ne sait rien du passé, mais qu’on s’imagine grâce à l’interprétation pleine de puissance et de fêlures de l'acteur qui s'impose, décidément, comme l'un des plus doués de sa génération. Face à lui, on découvre Surho Sugaipov dans le rôle de Markov. Dès les premiers plans, il montre une véritable présence animale et tient la dragée haute à Jérémie Renier, ce qui n’est pas un mince compliment…

Les scènes de guerre, qui montrent tout autant les combats que la solitude, la peur et l’ennui sont un prologue à un film qui va ensuite se construire narrativement sous la forme de chapitres nous présentant les différents protagonistes de l’histoire. Après cette mission de six mois en Afghanistan, c’est le retour, difficile, à la vie civile pour ces légionnaires. Un troisième personnage fait alors son apparition, le fils de Markov, Khadji, interprété par un impressionnant, très impressionnant, jeune acteur de 12 ans, Ramzan Idiev (casté via Skype, tout comme Surho Sugaipov).

 © Les Films Hatari

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Le Grand Homme bascule alors dans le drame et aborde avec courage et émotion –mais sans pathos, ni jamais donner de leçons- les thèmes de la paternité, de la filiation, de l’enfance sacrifiée - on pense au Truffaut, Les 400 Coups, ou au film d’Agnès MerletLe Fils du Requin-, de l’absence du père, de l'altérité et de la tragique situation des sans papiers. L’une des originalités du film, est qu’il est raconté avec la voix off de l’enfant (utilisée avec parcimonie). Elle ouvre et clôt Le Grand Homme, ce qui permet au film de quasi basculer dans une dimension fantastique, tout du moins onirique, en s’inscrivant dans la pure tradition du conte.

Ainsi, Le Grand Homme devient tout à la fois récit initiatique, une histoire de transmission et de mutation. Hamilton voit en Khadji, l’enfant qu’il a été. Il lui dit : « J’aurais bien aimé que quelqu’un m’attende derrière, à chaque fois que je déconnais », lorsque Khadji tente de s’enfuir du foyer où il a été placé. Mais Hamilton est également obligé de passer de "l'adulescence" à l’âge adulte, apprendre à devenir un grand frère, voire un père de substitution. Khadji, de son côté, réapprend à devenir un fils, est forcé de grandir très vite, beaucoup trop vite. Markov -qui disparait relativement tôt du récit- plane sur tout le film comme un fantôme. Aucun personnage n’est monolithique, aucune situation ne se fond dans le moule du manichéisme.

La réalisation est à l’avenant, allant même jusqu’à épouser la forme du cinéma documentaire (comme elle embrasse différents genres) notamment lors la très belle scène de fugue du petit Khadji. Sarah Leonor laisse s’installer les silences, l’ambiance nocturne, une relative lenteur, rythme un peu trop oublié ces derniers temps au cinéma au profit d’une frénésie souvent éreintante. Ces moments en apesanteur permettent au spectateur de s’immerger dans le film et d'entrer en empathie avec les personnages. Alors, qui est le grand homme de cette histoire ? Markov, Hamilton ou Khadji ? Chacun des trois, sans aucun doute. Ils font face à la dureté de la vie avec leurs « armes »: courage et humilité et dignité.

© Les Films Hatari

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Le miracle de ce film, se tenant toujours sur le fil du rasoir, c’est qu’il reste constamment en équilibre. Dans Le Grand Homme tout semble léger, aérien, malgré la noirceur des thématiques abordées. Jamais on ne se sent « étouffé ». Comme en témoigne ce splendide travelling sur un cimetière musulman, où l'on découvre les tombes de tous ces jeunes sacrifiés à la guerre. C'est un beau et déchirant moment de cinéma qui en dit long sur cette monstrueuse connerie qu'est la guerre.

Le Grand Homme une œuvre maîtrisée, courageuse, qui rompt avec un cinéma français actuel qui peine à prendre des risques, se réinventer et fait beaucoup trop appel à des recettes éculées. Avec cette adaptation moderne et libre de l’épopée de Gilgamesh, un mythe datant du IIIème millénaire avant J.C. Sarah Leonor amène un véritable courant d’air frais à notre production hexagonale. Chapeau bas !

Affiche et film-annonce © Bac Films

LE GRAND HOMME Un film de : Sarah LEONOR, Scénario : Emmanuelle JACOB, Sarah LEONOR, Avec: Jérémie RENIER, Surho SUGAIPOV, Ramzan IDIEV. Musique : Martin Wheeler
Durée : 1h47 Sortie le 13 août 2014

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