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Jamais de la Vie : Olivier Gourmet magistral dans le polar sans concession de Pierre Jolivet

Synopsis : Franck, 52 ans, est gardien de nuit dans un centre commercial de banlieue. Il y a dix ans, il était ouvrier spécialisé et délégué syndical, toujours sur le pont, toujours prêt au combat. Aujourd’hui il est le spectateur résigné de sa vie, et il s’ennuie. Une nuit, il voit un 4x4 qui rôde sur le parking, et sent que quelque chose se prépare… La curiosité le sort de son indifférence et il décide d’intervenir. Une occasion pour lui de reprendre sa vie en main…

Jamais de la Vie1

Franck, un homme à la rectitude morale exemplaire, avec l'envie inconsciente d'un baroud d'honneur.

 

Critique : Gros coup de cœur cette semaine de Lille La Nuit pour Jamais de la Vie le dernier long-métrage de Pierre Jolivet, qui réalise depuis trente ans des films plus qu'estimables.

D‘abord acteur - le héros du 1er et meilleur film de Besson : Le Dernier Combat, c’est lui - il signe ensuite des films qui sont de vrais succès publics et souvent en prise avec nos problèmes de société (Force Majeure, Fred, Ma Petite Entreprise…).

Il est aussi l’auteur d’un film fantastique devenu culte, Simple Mortel, dont Jolivet - attention : Scoop ! - a confié à Lille La Nuit que les Américains sont en train d’en négocier les droits d’un remake, plus de vingt ans après sa réalisation. Beau parcours pour une œuvre qui a connu un succès public néantisé.

Jolivet revient donc aujourd’hui, plus en forme que jamais, avec Jamais de la Vie, qu’on est pas loin de considérer comme son plus beau film. Le cinéaste plante ses caméras en banlieue parisienne et filme un polar très noir, mettant en vedette un Olivier Gourmet exceptionnel, qui se réinvente une fois de plus en gardien de nuit à la rectitude morale exemplaire.

Le polar est une façon de parler du monde dans lequel on vit, mais sans ennuyer les gens. Parce que le polar crée un suspense, crée une histoire, crée une quête.

Pierre Jolivet - Jamais de la vie

Lors de notre rencontre avec Pierre Jolivet, le 1er avril 2015, nous avons voulu savoir si le cinéma de genre, le film noir était le meilleur moyen de dire des choses de notre époque, de nos malaises, des problèmes sociaux que vivent beaucoup d’entre nous :

Pierre Jolivet : « Bien évidemment ! J’en parlais avec Tavernier la semaine dernière. On parlait de notre passion pour le polar. Le polar est une façon de parler du monde dans lequel on vit, mais sans ennuyer les gens. Parce que le polar crée un suspense, crée une histoire, crée une quête. On se dit : « Mais qu’est-ce qui va se passer ? » ça crée les héros ! Ou des antihéros ! Là, au départ, Gourmet est un antihéros qui va finir en héros. Mais c’est vrai que le polar, le thriller, c’est un bon moyen de mettre le doigt sur notre société. Mais pas d’une façon documentaire. Ou pas d’une façon ennuyeuse. Il y a une narration, il y a un récit dans le polar. Et donc j’adore ça ! Je sais que, quand je suis sur ce parking de nuit, avec lui à trois heures du matin et que c’est une posture d’ennui… (NDR : Jolivet semble réfléchir à mille choses à la fois, s'interrompt, puis repart) C’est terriblement ennuyeux d’être gardien de nuit, et en même temps on est aux aguets ! On surveille ! Evidemment, à partir du moment où on surveille, mon imagination ne fait qu’un tour ! Et tout à coup, il  y a un 4x4 qui rôde et toute de suite on rentre dans le thriller. (…) Donc le film, c’est la résultante d’un constat social, de gens qui ne sont plus à leur place… J’aime les héros de Peckinpah, les héros fatigués. Il savent que l’époque ne les attendra plus, qu’ils ne sont plus armés pour bien vivre. Pour survivre peut-être. Mais certainement plus pour bien vivre dans cette nouvelle époque. Et ils ont envie inconsciemment d’un baroud d’honneur. C’est ça le personnage de Gourmet !».

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Jamais de la vie : Le plus beau rôle au cinéma d'Olivier Gourmet ?

 

Et effectivement, Jolivet déroule son récit de manière implacable, sans faire de concession au système, en laissant des zones d’ombre dans le passé de Franck, afin que chaque spectateur s’imagine son propre film, le hors champ de la vie du personnage. Comme dans les bons films noirs, français ou américains, on sent le poids du fatum sur la destinée de Franck. Jamais de la Vie va jusqu’au bout de sa logique, de sa radicalité, de ses partis pris. Même si Franck finit par se construire, d’une certaine manière, Jolivet n’édulcore jamais une quelconque réalité sociale !

P.J. : « Je crois que la période me facilite la vie. Quand j’écris la vie de ce gardien de nuit qui va se réveiller, qui va sentir que quelque chose se prépare, dont on calcule la retraite qui est totalement insignifiante (comme beaucoup de gens qui se disent : « Demain, je vais faire comment ? ») … Je ne m’attends pas du tout à ce que de jeunes producteurs et jeunes distributeurs tombent amoureux du projet. Je ne m’attends pas à avoir un accueil quasi unanime chez les jeunes journalistes, comme chez les plus anciens. Et donc, ça veut dire que dans mon parti pris très jusqu’auboutiste, hé bien ce parti pris jusqu’auboutiste parle ! Et parle de manière multi générationnelle. Et ça, c’est vraiment la grande surprise pour moi. J’aurais pu croire à un moment que j’écrivais mon film tout seul dans mon coin : un film de vieux con. Et finalement, j’ai écrit un truc qui touche et qui parle. C’est ma grande satisfaction.»

Ça a été mon obsession sur ce film : que la banlieue soit intéressante à regarder, qu’elle ne soit pas salie d’une façon artificielle comme ça l’est souvent.

Pierre Jolivet - Jamais de la vie

On est aussi très surpris de voir de nouveau la banlieue filmée de manière si juste, si forte, si dénuée d’un exotisme auquel un cinéma franco-français petit bourgeois nous a hélas habitué. Quelques mois après Qu’Allah Bénisse la France, - on retrouve d’ailleurs Marc Zinga dans la distribution du film de Jolivet - un cinéaste s’empare de la banlieue pour en faire l’un des personnages principaux de son film. A vrai dire, on n’avait plus vue ces quartiers aussi bien filmés depuis le polar magistral de Corneau, Le Choix des Armes.

P.J. : « Pour beaucoup de réalisateurs, la banlieue est un concept ! Hors moi, c’est mes racines ! Et j’ai toujours trouvé très étrange que dès qu’on arrive en banlieue on prenne du 16MM gonflé. L’image est bien pourrie, bien noire, bien charbonneuse. On se dit : « Ah ! C’est un vrai film de banlieue ! » Or, vous ne changez pas de lunettes quand vous allez en banlieue. Vous voyez la même chose. Le ciel a la même couleur. Donc je me suis dit : "Essaie juste de regarder ces endroits comme quand tu les regardais après être rentré du cinéma à Paris (ce qui prenait beaucoup de temps, car il n’y avait pas de RER à l’époque)". Et je crois que je regardais ça avec un œil bienveillant et un œil avec lequel je voulais voir du beau. Si ce n’est du beau, en tout cas quelque chose qui soit dramatiquement intéressant, qui ait du caractère. Et en même temps, sans tomber dans l’esthétisme. Ça a été mon obsession sur ce film : que la banlieue soit intéressante à regarder, qu’elle ne soit pas salie d’une façon artificielle comme ça l’est souvent. Travail avec le chef opérateur ! Travail de chaque matin ! Travail de chaque instant ! Travail de chaque minute ! Travail de chaque repérage ! Et j’en tire les bénéfices aujourd’hui car tout le monde me parle de ça. C’est donc qu’on a réussi à mettre l’œil là où il fallait le mettre. »

Ce qui frappe également dans Jamais de la Vie c’est la justesse du moindre rôle, du plus important - on l’a déjà dit, mais on le redit : Gourmet est impérial ! - au moins visible en terme de durée à l’écran. Les personnages féminins sont particulièrement soignés également. Belle idée d’aller chercher des actrices comme Julie Ferrier ou Valérie Bonneton, auxquelles on offre habituellement des rôles plus légers.

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Alors que beaucoup de polars sont des films de "mecs", Jamais de la Vie dessine de beaux personnages féminins.

 

Mais tout ce petit monde, il faut le dire, a la chance de bénéficier de dialogues magnifiques, bien sentis, écrits au cordeau, qui saisissent l’air de notre temps. On sent que Jolivet fut comédien, qu’il connaît les acteurs, sait ce qu’ils peuvent jouer. Les dialogues de Jamais de la Vie, c’est de la dentelle de Bruges. En un sens, si le cinéaste se rapproche de réalisateurs américains comme Siegel, Fuller, dans sa manière de filmer décors et personnages, du côté des dialogues c’est plutôt vers des français comme Michel Audiard (période film noir : Mort d’un Pourri ou On ne Meurt que Deux Fois,  par exemple) qu’il faut regarder. Jamais de la Vie réinvente une langue, mais tout sonne juste, vrai, crédible ! Ce qui permet de mettre au passage un petit coup de pied au derrière de quelques tristes personnages de la Nouvelle Vague qui ont fait beaucoup de mal à de grands noms du cinéma français qui avaient l’art du dialogue.

il fallait que je trouve ce dosage : un petit peu de musique et qu'elle accompagne la dramaturgie mais ne la souligne pas.

Pierre Jolivet - Jamais de la vie

Dernier détail qui a son importance : Si Jolivet est modeste, il a suffisamment confiance en ses personnages, sa mise en scène, ses angles de prises de vues, son découpage pour ne pas avoir à placer une musique pompière et omniprésente. De celles qui dictent les émotions du spectateur.

P.J. : « Je n'en peux plus de la musique au cinéma. Je trouve qu’il y en a trop, tout le temps. Je trouve que c’est un fard au sens de farder. Un maquillage ! Il y a beaucoup de films dont je trouve l’épaisseur du maquillage comme ça, quoi ! Alors que la fille pourrait être belle mais on lui en a trop mis. C’est un peu ça, la musique ! Donc, je voulais très peu de musique, mais j’en voulais quand même. Parce que la musique, ça fait aussi cinéma. Le film est souvent réaliste et la musique nous fait partir.  Donc, il fallait que je trouve ce dosage : un petit peu de musique et qu’elle accompagne la dramaturgie mais ne la souligne pas. Et quand j’ai montré le film à mon fils Adrien et à Sacha Sieff (ça fait la troisième fois qu’ils font la musique de mes films), la première chose que m’a dit Adrien ça a été : surtout pas de musique au début ! Jamais je ne te mettrai de musique sur le générique. Et c’est ça qui nous met tout de suite dans le mood du film. Faut qu’on entende le silence dans lequel est Franck ! C’est un avion qui passe là-bas, un camion au loin et le silence. ».

Il y a quelques semaines, on déplorait dans la critique de Un Homme Idéal la faiblesse des derniers films de genre français - exception faite pour le réussi L’Enquête -. Avec Jamais de la Vie, Pierre Jolivet redonne ses lettres de noblesse au film noir hexagonal, après quelques années d’errance de productions souvent racoleuses, vulgaires et antipathiques. Jamais de la Vie est dès aujourd’hui dans les salles. Désormais, il vous appartient !

Affiches, photos et film-annonce  © Ad Vitam

Jamais de la Vie Réalisation : Pierre Jolivet Scénario et dialogues : Pierre Jolivet Avec la collaboration de Simon Michaël, Simon Moutairou
Avec : Franck : Olivier Gourmet Mylène : Valérie Bonneton Ketu : Marc Zinga et la participation de Jeanne : Julie Ferrier Pedro : Bruno Benabar
Durée: 95 mns. Sortie le 8 avril 2015

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