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« Jojo Rabbit » : La fable de Taika Waititi sur l’enfance au temps du nazisme

Lille la Nuit a pu découvrir Jojo Rabbit, le film de et avec Taika Waititi, au sujet plutôt gonflé. Jugez plutôt : durant la seconde guerre mondiale, un petit aryen, dont l’ami imaginaire est Adolf Hitler, découvre la réalité et la brutalité du nazisme. Mais le réalisateur ne s’aventure-t-il pas sur un terrain trop grand pour lui ?

Jojo Rabbit et son pote imaginaire : Adolf Hitler !

Taika Waititi, réalisateur et acteur

On ne peut reprocher au néo-zélandais d’origine maori Taika Waititi de manquer d’ambition. Si l’on oubliera Thor : Ragnarok, le réalisateur, également comédien, a par le passé signé une réussite, Boy (2011), l’histoire d’un petit maori, qui remporta de nombreuses récompenses dont le grand prix à Berlin.

Aujourd’hui, Taika Waititi signe une fable avec Jojo Rabbit. L'histoire d'un gamin de dix ans endoctriné par le nazisme, dont le pote imaginaire n'est pas moins qu'Adolf Hitler. Il découvrira la réalité du nazisme, l'abjection de l’antisémitisme, et devra faire un choix de vie.

Jojo découvre une jeune juive dans son grenier.

Deux façons de voir le film

Il y a deux façons de voir Jojo Rabbit. Si l’on s’en tient à un premier degré de lecture, le film se regarde sans déplaisir. Il est même plutôt gonflé. Du moins dans l’une de ses premières séquences qui montre, au cœur d'une forêt, l’endoctrinement d’enfants par des nazis. C’est gentiment drôle et insolent. Sous l’influence du cinéma de Wes Anderson.

A l’image de cette séquence, l’intégralité de Jojo Rabitt est un bon moyen de faire découvrir aux enfants et jeunes ados, l’horreur du nazisme, du racisme, de l'antisémitisme et du fanatisme. Avant, on l’espère, que les parents puissent leur faire découvrir, plus tard, Nuit et Brouillard d'Alain Resnais.

Le second degré de lecture de Jojo Rabbit est destiné aux plus grands. Puisqu'il s'adresse autant aux adultes qu'aux enfants, on ne peut s’empêcher alors de voir le film de Taika Waititi comme un coup d’épée dans l’eau. Une belle occasion ratée.

Si le film amuse et émeut parfois, il manque cependant cruellement d'intensité. On ne remettra pas en cause la sincérité du réalisateur (qui incarne également le Hitler imaginaire du film). Sinon, il ne se serait pas emparé d'un tel sujet - adaptation d'un roman de Christine Leunens -. Taika Waititi s’est toujours intéressé à l’enfance dans ses films. De plus, il a des origines juives. Mais son film demeure prudent. Très prudent. Trop prudent.

On imagine aisément la difficulté de manipuler un tel matériau. Mais à force de retenue, en voulant trop ménager le spectateur, en le caressant constamment dans le sens du poil, Jojo Rabbit finit par devenir inoffensif, caricatural, confondant naïveté et niaiserie. N’oublions pas que le film est produit par Fox Searchlight, filiale d’une Major (la Twentieth Century Fox, aujourd’hui rachetée par Disney).

Parfois on perçoit ce que le film aurait pu être.

Efficacité mais manque d'aspérité

Jojo Rabbit perd en aspérités, culot, personnalité, humour corrosif, ce qu’il gagne en efficacité. La direction artistique est belle, les décors sont soignés, la distribution est aux petits oignons, si l’on excepte Roman Griffin Davis (l'interprète de Jojo Rabbit), qu’on a le droit de trouver horripilant. La bande-son est à l'image du film : elle ne prend aucun risque. Alignant tubes géniaux et succès planétaires de David Bowie et des Beatles.

On peut même voir une forme d’infantilisation dans le traitement que fait Taika Waititi de son histoire. Ce qui contredit, hélas, l’un des sujets forts de son film, et l’une de ses critiques : l’endoctrinement de jeunes enfants par le Troisième Reich.

Incapacité du réalisateur à s'emparer du sujet

Si l'on salue l’audace du sujet, on déplore l’incapacité de Taika Waititi à s’en emparer réellement. Totalement.

En 1979, Le Tambour, réalisé par Volker Schlöndorff, d’après Günter Grass, traitait sensiblement du même sujet : l'enfance meurtrie par la guerre et le nazisme. Ce grand film (Palme d’Or au Festival de Cannes ex-aequo avec Apocalypse Now de Coppola, Oscar du meilleur film étranger), qu’on peut tout autant voir comme un conte ou une fable (uniquement pour adultes), fut un large succès critique mais, aussi, public. Plus tard, John Boorman, livra un autre regard sur l'enfance en temps de guerre avec le superbe Hope and Glory (1987), inspiré de ses propres souvenirs.

Mais, peut-être qu’aujourd’hui, les producteurs ne donneraient pas leurs chances aux films de Schlöndorff et Boorman ? Contentons-nous alors de Jojo Rabbit. Ou revoyons ces chefs-d'œuvre qui surent traverser le temps, les modes et époques. Qu’en sera-t-il de Jojo Rabbit ?

Les infos sur Jojo Rabbit

Synopsis : Jojo est un petit allemand solitaire. Sa vision du monde est mise à l’épreuve quand il découvre que sa mère cache une jeune fille juive dans leur grenier. Avec la seule aide de son ami aussi grotesque qu'imaginaire, Adolf Hitler, Jojo va devoir faire face à son nationalisme aveugle.

Jojo Rabbit de Taika Waititi
Scénario : Taika Waititi d'après le livre de Christine Leunens, Le Ciel en Cage
avec Roman Griffin Davis, Scarlett Johansson, Thomasin McKenzie, Taika Waititi, Sam Rockwell, Rebel Wilson...

Durée 1h48
Sortie le 29 janvier 2019

Photos et film-annonce  © Twentieth Century Fox France

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