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« La Vie d’Adèle »: Après la polémique, le film !

Synopsis : A 15 ans, Adèle ne se pose pas de question: une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie bascule le jour où elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir le désir et lui permettra de s'affirmer en tant que femme et adulte. Face au regard des autres Adèle grandit, se cherche, se perd, se trouve...

© Wild Bunch Distribution

Ca y est ! On a vu la Palme d’Or du Festival de Cannes, «La Vie d’Adèle-Chapitre 1 et 2 » d’Abdellatif Kechiche * (adapté de la bande dessinée de la lensoise Julie Maroh, "Le Bleu est une couleur Chaude", Prix du Public au Festival d'Angoulême 2011).

Depuis le mois de mai dernier, les médias parlent et reparlent de « La Vie d’Adèle ». Mais pour aborder surtout les polémiques autour du film. Autant de sujets importants pour certains, intéressants pour d’autres ou carrément anodins mais qui nous éloignent de l'oeuvre elle-même. Au point, peut-être, de dissuader un public potentiellement nombreux de se déplacer dans les salles.

Concentrons nous donc sur « La Vie d’Adèle », le film. Si vous n’avez pas entendu parler des polémiques, nous vous invitons à aller faire un tour du côté des moteurs de recherche. A Lille La Nuit, on a décidé de ne parler que du film. C’est ce qui nous intéresse dans notre rubrique cinéma.

Alors, il est comment « le » Kechiche ? Pas facile. Exigeant. Refusant les conventions. Sans doute incommodant pour certains spectateurs. Mais il est magnifique.

Toute la première partie de « La Vie d’Adèle » est très fidèle à la BD de Julie Maroh. Puis Kechiche s’en éloigne tout en gardant l’esprit. Sans rien dévoiler de l’histoire, disons que c’est plutôt une bonne chose. La fin (très belle) de l’œuvre de Julie Maroh serait sans doute mal passée au cinéma. On aurait pu y voir un excès de pathos. Et le truc de Kechiche ce n’est certainement pas de faire « pleurer Margot ». « La Vie d’Adèle » est l'une des plus belles chroniques sur l’adolescence, l’éducation sentimentale, l’éveil des sens et l’amour, la découverte de soi, la perte de l’innocence, qu’on ait pu voir au cinéma depuis des lustres.

© Wild Bunch Distribution

Et l’on comprend mieux la nécessité pour Kechiche de tourner des semaines et des semaines, de faire durer les plans jusqu’au point de rupture, de proposer un film qui dépasse les trois heures.

Certaines mauvaises langues ont pu dire que c’est là, la méthode d’un cinéaste qui ne sait pas faire de choix. Ou d’un artiste qui se serait perdu dans les méandres de sa création.
Mais le film est là pour dissoudre tout malentendu. En proposant des scènes étirées sur la longueur, Kechiche fait sortir le spectateur du petit train-train sclérosant imposé par une certaine production cinématographique plus soucieuse de se remplir les poches que de proposer de véritables films de cinéma.

Les trois heures de « La Vie d’Adèle », ces séquences très longues (au point de nous faire penser que nous sommes parfois dans l’improvisation pure) permettent d’instaurer un climat, des ambiances.
Elles donnent surtout l’occasion au cinéaste de faire voler en éclats comme une vitre, la barrière de l’écran de cinéma  afin que nous soyons au plus près des personnages du film: Adèle et Emma.

Et c’est peut-être pour cela que de nombreux spectateurs se sentent si perturbés par les scènes de sexe. Lorsque nous avons vu « La Vie d’Adèle » dans l’auditorium plein comme un œuf du Nouveau Siècle (à l'occasion de la grande avant-première nationale), une clameur est montée dans la salle. Plusieurs spectateurs ont même préféré sortir.
C’est vrai que ces scènes, montrant deux femmes faire l’amour de façon frontale (ce qui est plutôt rare au cinéma) et parfois brutale, sont très crues.
Mais elles sont absolument essentielles, capitales pour faire progresser le récit et nous faire croire à cette histoire d’amour belle, passionnée, violente et déchirante.

© Wild Bunch Distribution

Le cinéma de Kechiche, on le sait surtout depuis « La Graine et le Mulet », est un cinéma de la durée. Naturaliste. Il serait, on l’a beaucoup dit le descendant de Maurice Pialat.
Et il est vrai que l’on sent certaines influences dans la façon de filmer les repas, les conversations, l’adolescence. Les enfants aussi.
Mais ce serait faire injure à Kechiche de le réduire uniquement à un talentueux disciple du cinéaste de «Nous ne Vieillerons pas ensemble ». Kechiche a de véritables obsessions qu’on retrouve dans « La Vie d’Adèle ».

Il nous parle de transmission. De différences sociales. Des incompréhensions et des malentendus qui peuvent surgir selon qu’on soit naît dans un milieu populaire ou favorisé. Adèle n’a pas confiance en elle, manque de culture, ses parents sont moins tolérants que ceux d’Emma. Il est totalement impossible pour elle de leur révéler son homosexualité, de l’aborder auprès de ses camarades de lycée (à raison, puisque leur réaction sera extrêmement violente).
A contrario, Emma peut embrasser Adèle devant sa mère et son beau-père. Elle peint. Etudie aux Beaux-Arts. Elle est cultivée, entourée de nombreux amis, n’a pas à se soucier du qu’en dira-t-on. Elle évolue dans un milieu favorisé bourgeois bohème.

On pourrait penser que ces représentations de classes ne sont que clichés et caricatures. Il n’en est rien. L’analyse que fait Kechiche de la société française est d’une justesse remarquable. Il suffit de voir les manifestations qu’ont soulevé la mariage gay. La façon dont le film a été très bêtement (euphémisme) conspué par une Christine Boutin en roue libre (deuxième euphémisme).
Kechiche a donc juste mit les points sur les « i » !
Il révèle une France qui se montre sans doute moins tolérante que par le passé. Kechiche est évidemment un cinéaste politique. Qui a des convictions et qui s’engage. Mais il n’est pas un cinéaste militant. C’est un cinéaste humaniste (quoi qu’on puisse penser du personnage). Et il ne verse pas dans la provocation pour faire passer ses idées (encore une fois les scènes de sexe sont tout sauf gratuites).

On est ébloui de découvrir qu’est projeté « Le Journal d’une Fille Perdue » de Pabst avec la sublime et intemporelle Louise Brooks, lors d’une fête donnée pour Emma.
Il faut en effet savoir que « Le Journal d’une Fille Perdue », film de 1930, fut interdit car une femme y était évoquée comme étant lesbienne ou parce que Pabst avait filmé un sein.

Tous droits réservés.

Dans cette séquence, Kechiche fait œuvre de concision. En une scène, en faisant le parallèle avec le film de Pabst, Kechiche nous dit que notre société n’a peut-être pas autant évoluée qu’on voudrait bien le croire.
Que l’homophobie est toujours bien présente. Mais de manière peut-être plus insidieuse. Et sans doute aussi violente que par le passé (rappelez-vous de ces jeunes gays bastonnés dans des bars lillois qu’on retrouve dans le film). Au pays des Lumières, cela fait quand même très mal.

Mais « La Vie d’Adèle » n’est pas un film sur l’homosexualité. C’est avant tout une magnifique et romanesque histoire d’amour, portée par Léa Seydoux et la grande révélation du film: Adèle Exarchopoulos.

Quelle présence ! Quel charisme ! Quel charme ! Quelle beauté ! Quel talent ! Adèle Exarchopoulos renverse tout sur son passage. Elle a la grâce. Kechiche fait éclore un immense talent comme Pialat sut le faire avec Sandrine Bonnaire dans « A Nos Amours ». On ne peut que tomber amoureux d’Adèle Exarchopoulos.

© Wild Bunch Distribution

Dernier petit détail qui a son importance : Kechiche filme un Nord ensoleillé, sans pluie, brouillard ou alcooliques consanguins. Voilà un cinéaste qui se rappelle au bon souvenir des grands peintres flamands qui savaient magnifier la belle lumière du Nord. Ce n’est pas si fréquent. Et on lui en sait gré.

« La Vie d’Adèle- Chapitre 1 et 2 » (car l’histoire se divise bien en deux parties) sort aujourd’hui dans les salles. Il s’agit d’un grand et beau film dont nous pourrions vous parler durant des heures tant il est d’une grande richesse. Mais la place nous manque…

A Lille la Nuit, nous ne pouvons donc que vous encourager à découvrir ce que nous considérons comme l’un des plus grands films français de ces dernières années. Et peut-être, le futur film de toute une génération.

* Palme d'Or décernée par Steven Spielberg et son jury pour le film mais aussi ses interprètes féminines, Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux.

Affiche et film-annonce © Wild Bunch Distribution

Film interdit aux - de 12 ans avec avertissement.

Les autres sorties de la semaine.

Les reprises de Plan-Séquence.

Avant-premières:

"Les Coeur des Hommes 3"  de Marc Esposito- UGC Lille-Lundi 14 octobre 21h- En présence de l'équipe du film.

"Blood Ties" de Guillaume Canet- UGC Lille-Mardi 15 octobre 20h- En présence de Guillaume Canet.

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