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« L’Attentat »: Un film très fort adapté d’un best-seller

Synopsis : Dans un restaurant de Tel-Aviv, une femme fait exploser une bombe qu’elle dissimule sous sa robe de grossesse. Toute la journée, le docteur Amine Jaafari, israélien d’origine arabe, opère les nombreuses victimes de l’attentat. Au milieu de la nuit, on le rappelle d’urgence à l’hôpital pour lui annoncer que la kamikaze est sa propre femme. Refusant de croire à cette accusation, Amine part en Palestine pour tenter de comprendre.

© Wild Bunch Distribution

Cette semaine, à Lille La Nuit, nous vous proposons de découvrir un film attendu, « L’attentat », adapté du roman de Yasmina Khadra. Un best-seller vendu dans le monde entier et traduit dans plus quarante langues.

« L’Attentat » est réalisé par Ziad Doueri, cinéaste libanais qui a fait ses armes comme technicien auprès de Quentin Tarentino.
Les producteurs américains du « Secret de Brokeback Mountain », impressionnés par « West Berouth » l’un des précédents films du cinéaste, lui proposent d’adapter « L’Attentat ». Un mois plus tard la guerre entre Israël et le Hezbollah éclate. Doueri se lance alors dans une première version du scénario qu’il écrit en collaboration avec Joelle Touma, son épouse. Cette première version leur demande neuf mois de travail. Puis le projet est abandonné avant d’être relancé quatre ans plus tard par les producteurs français Jean Bréhat et Rachid Bouchareb (également réalisateur de « Indigènes » et de « Hors la Loi »).

Ziad Doueri doit faire preuve d’une grande détermination pour réaliser « L’Attentat ». Rendez-vous compte : il est le premier cinéaste libanais à tourner un film en Israël.

© Wild Bunch Distribution

Il explique comment il a pu accomplir ce véritable tour de force :
« Grâce à mon passeport américain. Pour le gouvernement libanais, je ne peux pas aller en Israël et pour les autorités israéliennes, un libanais est interdit de séjour. Chaque semaine, je passais de Tel-Aviv à Naplouse et au check-point, les soldats m’arrêtaient et me cherchaient des ennuis. Chaque fois, ce passeport m’ouvrait les portes. J’y ai passé onze mois de ma vie, entre les repérages et la fin du tournage.
Pour l’infrastructure, j’ai travaillé à Tel-Aviv avec une équipe composée d’Israéliens et Palestiniens de l’intérieur, et dans les territoires occupés, avec une équipe européenne et palestinienne. Seuls trois Juifs israéliens ont pris le risque de traverser la frontière avec nous et ils ont passé un moment merveilleux : là encore, c’est un acte de courage parce que la plupart d’entre eux ont vraiment peur.
La réalité est, comme souvent, plus basique : chacun était là en tant que professionnel, avec l’objectif et le plaisir d’accomplir un film. Chaque fois que je me suis disputé avec l’équipe, c’était à cause du travail. Jamais sur des sujets politiques. Si j’avais porté le drapeau d’une cause, j’aurais sabordé le projet. Par contre, je ne peux pas nier que quelques Palestiniens se sont opposés au film, parce qu’ils pensaient que je collaborais avec les Israéliens et qu’un cinéaste libanais n’avait pas le droit de raconter une histoire qui se déroule en Palestine... »*
Malgré le sujet de son film, Doueri se défend d’être un cinéaste politiquement engagé. Il dit : « Je n’ai pas l’âme d’un militant ni envie de l’être. Je déteste le terme de « cinéma engagé ». On m’avait collé cette étiquette dès West Beyrouth et je ne la supporte pas. »*.
On comprend évidemment que Doueri refuse cette dénomination qui emprisonne beaucoup de cinéastes dans des cases. « L’Attentat » est avant tout un thriller politique extrêmement tendu comme savaient les faire certains grands cinéastes italiens des années 60-70, spécialistes du genre.

© Wild Bunch Distribution

Doueri s’efforce d’éviter toute schématisation dans la caractérisation de Amine, son personnage principal (interprété par le remarquable Ali Suliman) .
Doueri dit de lui: « Il assène une vérité : il y a des racines juives en chaque arabe et vice-versa. Amine est médecin : son métier est de sauver les vies, quelle que soit l’identité des gens. C’est le serment d’Hippocrate. En remerciant les Israéliens de l’avoir soutenu, il est un exemple d’intégration. »*
Mais on peut se demander si ce médecin, qui évolue dans un milieu socioprofessionnel favorisé et protégé, n’a pas une vision paradoxalement quelque peu lointaine (et donc légèrement déformée) du conflit israélo-palestinien. Même si, on ne peut remettre en cause la sincérité et le courage de son engagement.

Et puis de manière subtile, au fur et à mesure que le récit progresse, Amine perd tous ses repères. La forteresse qu’il s’est construite s’effrite puis s’effondre. Il y a un refus absolu du manichéisme dans le film de Doueri. On n'y trouve aucune propagande. Tous les protagonistes sont ambivalents (mention spéciale aux beaux personnages féminins du film).

Ne faisons pas ici la comparaison avec le livre de Yasmina Khadra. Stupidité que de toujours opposer un livre et son adaptation cinématographique. Doueri nous livre sa propre version de l’œuvre de Khadra. Il offre sa vision de cinéaste, d’artiste. On peut juste regretter que le film souffre de quelques longueurs (raccourcir un peu au montage n’aurait pas nui). Mais on est plus d’une fois saisi par la justesse de son regard, de son point de vue, de son propos. Par l’énergie qui se dégage de son film, réalisé en grande partie au steadicam. On est scotchés par la force de ses images.

© Wild Bunch Distribution

Et puis, à Lille la Nuit on a envie de défendre le film courageux d’un cinéaste qui l’est tout autant. Car Doueri continue de courir de véritables risques pour avoir porté « L’Attentat » à l’écran: « Il y a une campagne menée pour interdire la sortie du film dans mon pays. Le gouvernement libanais a une position ambivalente parce que j’ai violé la loi qui interdit à tous ses ressortissants d’être en contact, même de se faire photographier, avec un Israélien. Quel que soit le pays où l’on se trouve. D’un autre côté, les autorités hésitent à se battre contre un artiste, d’autant plus qu’il y a déjà eu plusieurs films censurés au Liban. Ceux qui ont initié cette cabale contre moi n’ont même pas vu le film : ils se sont juste fondés sur le fait que L’Attentat a été, en partie, tourné à Tel-Aviv avec quelques acteurs israéliens. Ils invoquent même la peine de mort, ce que le gouvernement n’appliquera jamais. Pour eux, j’ai commis un sacrilège, presque un crime d’État. Je vais rentrer me battre pour que le film sorte au Liban et au Moyen-Orient. On ne peut pas faire porter à un cinéaste tout le poids d’une cause et d’un conflit. Je ne suis le porte-étendard d’aucune lutte. Je suis tombé amoureux du livre de Yasmina Khadra et je me suis donné tous les moyens de raconter cette histoire. »*

Évidemment, on ne peut que soutenir ce cinéaste. D’autant plus que son film est une belle réussite qui ne sert pas une de ces eaux tièdes comme le cinéma français nous en offre trop souvent par les temps qui courent.

Affiche et film-annonce © Wild Bunch Distribution

* Propos issus du dossier de presse du film.

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