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« Les Grandes Ondes »: Donzelli, Vuillermoz, Gershwin et le Portugal

Synopsis : Avril 1974. Deux journalistes de la radio sont envoyés au Portugal pour réaliser un reportage sur l’entraide suisse dans ce pays. Bob, technicien proche de la retraite, les accompagne à bord de son fidèle combi VW. Mais sur place, rien ne se passe comme prévu : la tension est à son comble entre Julie, la féministe, et Cauvin le reporter de guerre roublard. La bonne volonté de Pelé, le jeune traducteur portugais, n’y fait rien : la petite équipe déclare forfait. Mais le vent de l’Histoire pousse le Combi VW en plein cœur de la Révolution des Œillets, obligeant cette équipe de Pieds nickelés à prendre part, et corps, à cette folle nuit du 24 avril 1974.

© Happiness Distribution

Critique : Si vous aimez les objets filmiques non identifiés, les comédies déjantées et décalées, les acteurs, le Portugal, les seventies, la radio, Gershwin, les road-movies, ... Alors Les Grandes Ondes (À L’Ouest) est fait pour vous !

Découvert lors du dernier Festival du Film d’ArrasValérie Donzelli et Michel Vuillermoz étaient venus le présenter, Les Grandes Ondes (À L’Ouest) est un film réjouissant. Le jeune cinéaste suisse Lionel Baier s’est lancé depuis 2006 dans une tétralogie autour des quatre points cardinaux en Europe. Il dit lui-même que son projet est de tracer une sorte de cartographie affective des Européens entre eux. Cette série de films débutée avec Comme des Voleurs (À l’Est), s’orientera vers la comédie, le drame où le documentaire.

Avec Les Grandes Ondes (À L’Ouest), c’est donc la comédie qui prime. Et elle s’inspire d’une histoire vraie.
Dans le dossier de presse du film, Lionel Baier dit : « Tout est vrai. Sauf ce que Julien Bouissoux, le scénariste, et moi avons inventé. Comme toute comédie, Les Grandes Ondes (À L’Ouest) se dérobe au réel chaque fois que celui-ci se prend au sérieux. Nous avons cherché à être au plus près du sentiment de liberté et d’espoir qui régnait dans les années 60, 70. C’était très présent dans les comédies françaises ou italiennes de cette époque. Les héros pratiquaient allégrement la désobéissance civile, se moquaient de la hiérarchie. J’aime aussi la force d’invention de ce cinéma populaire, qui osait tout pour arriver à ses fins. On parodiait la publicité ou la télévision, on dansait. C’était aussi une façon d’exorciser la peur liée à tous les changements qui secouaient la société en ce temps-là. Les Grandes Ondes (À L’Ouest) essaie d’être aussi vrai que l’étaient ces films. Aussi politiquement irrévérencieux. »

Le film s’inspire donc ouvertement de ce cinéma. Et ce, dès le générique d’ouverture, inventif, coloré, imaginatif, travaillé et beau. Ce qui étonne dans le dernier long-métrage du cinéaste, c’est effectivement cette liberté de ton de tous les instants. Le voyage de ces pieds nickelés à travers le Portugal réserve son lot de surprises, de ruptures de tons, de différentes formes mises en scène. On sent que Baier s’amuse comme un petit fou à retrouver le langage cinématographique du cinéma des seventies. On est heureux notamment de voir apparaître des splits-screens (écrans partagés) qu’utilisaient de grands cinéastes des années 70 et 80 comme Brian De Palma (pour avoir quelques exemples de cette technique, revoyez Sœurs de Sang ou Phantom of the Paradise).

Liberté qu’on retrouve également dans une séquence très belle où Baier filme la Révoltion des Œillets comme une comédie musicale directement inspirée du chef-d’œuvre de Robert Wise et Jerome Robbins, West Side Story. Cette scène, loin d’être irrespectueuse, symbolise la force, l’espoir, les rêves de liberté et d’émancipation du peuple portugais. Impressionnant !

© Happiness Distribution

Et si Baier se permet des formes d’écriture différentes, ne croyez pas pour autant que le film part dans tous les sens. Sans mauvais jeu de mots, le scénario est digne du plus précis des mécanismes d’horlogerie suisse. Cela se ressent notamment dans la construction des personnages auxquels les acteurs apportent tout leur humour et imaginaire.
Vuillermoz en vieux baroudeur-reporter de guerre est éblouissant. Il est l’un des bonheurs du film. Voilà un immense acteur de théâtre (Sociétaire de la Comédie française) qu’on rêve de voir plus souvent dans les salles obscures. Il apporte à son personnage de Cauvin une précision, une émotion et une fantaisie qu’on connaît surtout chez les grands acteurs de comédies américaines.

Valérie Donzelli confirme qu’elle est une comédienne inspirée qui a amené un peu de sang neuf dans le cinéma français. Elle est drôle, vive, belle. Elle renverse tout sur son passage tel un cyclone en incarnant Julie, femme libérée au tempérament de feu. Et si comparaison n’est pas raison, on retrouve chez Donzelli un peu de cette vivacité qu’on aimait tant chez la grande Françoise Dorléac.

© Happiness Distribution

Les autres acteurs ne sont pas en reste. Saluons les performances de Patrick Lapp, Francisco Belard et Jean-Stéphane Bron.

Et puis il y a George Gershwin qui nous accompagne durant toute la durée du métrage. Dans le dossier de presse, Baier s’explique sur ce choix musical : "Pour chaque film, je cherche un compositeur spécifique et j’écris autour de ses œuvres. Comme ce fut le cas avec Rachmaninov pour Garçon Stupide, ou Szymanowski pour Un Autre Homme. Cela me permet de trouver la tonalité du film. Gershwin est intervenu à un moment de l’écriture où nous peinions à définir le ton de la comédie. Nous ne trouvions pas sa mélodie humoristique. Gershwin est le roi des actions en cascade. Il y a toujours un motif principal souvent dramatique en prise avec l’air du temps, qui se fait escorter par des mouvements plus libres et légers d’apparence anodine. Ces mouvements satellitaires perpétuels roulent sur eux-mêmes avec une élégance incroyable. Comme si la musique s’entraînait toute seule. J’avais envie de cette énergie, très proche de celle des comédies de Lubitsch ou de Hawks où les situations comiques semblent découler d’une évidence universelle, alors que tout est artificiel. Et comme j’avais travaillé sur du Ravel pour Comme des Voleurs (À l’est), j’étais ravi de pouvoir compter sur son cousin américain pour Les Grandes Ondes (À L’ouest)".

Dernière chose pour conclure : Pourquoi Lionel Baier a réalisé une comédie se déroulant en 1974 ? Le mieux est de lui laisser la parole une dernière fois : "Je suis atterré par ce qui se passe en Europe sous nos yeux. Cela m’empêche littéralement de dormir. La crise économique, qui est devenue une crise politique semble légitimer un discours incroyablement réactionnaire et nationaliste. L’Europe n’est plus la solution, mais le problème à tout. Plus d’un demi-siècle de paix et d’entraide sur le continent semblent être la norme alors qu’il s’agit d’une exception dans notre histoire. Une prospérité qu’il a fallu construire à force de compromis et de politique commune. Cela se conjugue avec une remise en cause d’acquis venus des années 68 : la libération des femmes, la fin du colonialisme, la libre circulation des personnes. Il est plus que jamais important aujourd’hui de se souvenir d’où on vient et ce qu’on a gagné en route. Pour ne pas voir notre nostalgie se teinter de brun... Quand la situation devient vraiment critique, il est temps de faire une comédie. »

En plus d’être un bon cinéaste, Baier est donc un homme intelligent. Raison de plus pour voir son film Les Grandes Ondes (À L’Ouest), que nous aimons beaucoup à Lille La Nuit.

Affiche et Film-Annonce © Happiness Distribution

Les Grandes Ondes réalisé par Lionel Baier
Avec Michel Vuillermoz, Valérie Donzelli, Patrick Lapp, Francisco Belard et Jean-Stéphane Bron.

Tous publics
Durée : 1h24. - Genre : Comédie

- Rétrospectives et horaires Plan-Séquence

- Avant-premières avec équipes de films :

LE SENS DE L'HUMOUR Avant-première au Métropole de Lille le lundi 17 février à 20h00 suivie d'une rencontre avec la réalisatrice et comédienne Marilyne Canto.

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