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« Les Lèvres Rouges » : Ostende, vampirisme, érotisme, féminisme et la mythique Delphine Seyrig

Pas d’Actu Ciné sur Lille La Nuit pour cause de COVID-19. Tant que durera la pandémie (le moins longtemps, on l’espère), nous vous conseillerons des films à voir chez vous ! On commence avec Les Lèvres Rouges de Harry Kümel : un film longtemps invisible, tourné à Ostende. On y retrouve la grande Delphine Seyrig dans le rôle de l’envoûtante et dangereuse Comtesse Bathory. Érotisme et épouvante, sexe et mort, s'entremêlent, s'y mélangent. Attention : film culte !

Cauchemar éveillé, sexuel et meurtrier

Les Lèvres Rouges devait sortir à Lille le 1er avril. Nous savons aujourd’hui que ce sera impossible pour cause de fermeture des salles. Qu’a cela ne tienne ! Nous vous proposons de découvrir cet objet filmique non identifié en vidéo, grâce à son distributeur Malavida !

Réalisé en 1971 par Harry Kümel, Les Lèvres Rouges connaît rapidement une reconnaissance internationale. Tournée en grande partie à l’Hôtel de Thermes d’Ostende, cette coproduction entre la Belgique, la France et l’Allemagne, nous plonge dans un cauchemar éveillé, sensuel, sexuel, meurtrier, et hors du temps.

On y découvre un jeune couple récemment marié, Valérie et Stefan, qui s'en vont séjourner dans un grand hôtel. N’y résident que la Comtesse Bathory et sa compagne Ilona. Bientôt, le couple sera fasciné, envouté, par la Comtesse. Tour à tour, ils la désireront. Tandis que des meurtres atroces seront perpétrés dans la région…

La Comtesse Bathory vampirise Valérie et Stefan.

Une œuvre d'une grande modernité

Les Lèvres Rouges a souvent été perçu, à tort, comme une œuvre kitsch. Bien sûr, le film est de son époque - le début des années 70 -. Mais comme Les Lèvres Rouges se situe principalement dans un palace, que les vêtements sont intemporels (notamment ceux de la Comtesse),  il a su traverser les épreuves du temps. S'il faut reconnaître que certains films vieillissent plus mal que d’autres, Les Lèvres Rouges demeure d'une grande modernité.

L'anversois Harry Kümel mise sur les atmosphères. Il sait filmer les espaces, la plage d'Ostende et le palace, déserts. Ce qui, en ces temps anxiogènes, rend le film d'autant plus actuel. Kümel (auteur notamment de Malpertuis avec Orson Welles et... Sylvie Vartan) traite de sujets brûlants des années 70, et qui se révèlent plus que jamais d'actualité. Sont abordés, entre autres, un modèle masculin fondé sur le patriarcat, la violence masculine, les questions de genres, de sexualités, le droit qu'ont les femmes à s'affranchir de toute forme d'oppression.

Les Lèvres Rouges évoque le giallo italien tel le futur Suspiria (1977) de Dario Argento.

Delphine Seyrig : muse et insoumise

Ce n’est pas un hasard si Delphine Seyrig (1932-1990) s'est emparée du rôle de la Comtesse Elisabeth Bathory. Les plus jeunes ou moins cinéphiles ne connaissent pas cette grande comédienne, à la beauté, l’allure et la voix envoûtantes. Elle fut pourtant au générique de cinéastes tels Joseph Losey, François Truffaut, Alain Resnais, Jacques Demy (la fée dans Peau d’Âne, c’est elle !), Luis Buñuel, Chantal Akerman et même… Marguerite Duras ! L'actrice disparaîtra jeune, à l’âge de 58 ans, des suites d’un cancer du poumon.

Delphine Seyrig ne mit pas son talent qu'au service de grands créateurs. Elle prit son destin en main. Fut actrice de sa vie. En étant une grande militante féministe, qui fit partie des signataires du manifeste dit des « 343 salopes » pour le droit à l’avortement. Elle fut également pionnière dans l’utilisation de la vidéo et réalisa des films documentaires fortement engagés : Sois Belle et tais-toi (1976 - 1981) et Maso et Miso vont en bateau (1976).

Est-ce Bathory ou Seyrig qui nous envoute ?

Quelle autre actrice pouvait incarner cette réinterprétation de la Comtesse Bathory ? Seyrig s'amuse de son image de muse éthérée, de la sensualité de sa voix (en anglais), de son corps longiligne, de sa beauté, de sa modernité. De la fascination qu'elle exerçait sur la caméra.

Dès qu’elle entre dans le cadre, les jeunes comédiens (pourtant bons) semblent s’évaporer. Elle imprègne la pellicule. Comme Bathory, Seyrig traverse temps et époques. Elle est multiple. Dans Les Lèvres Rouges, on la découvre vampire, déesse, femme fatale, tueuse en série, amante, dominatrice, initiatrice. Et surtout : en femme libre. A l’image de celle qu'elle fut dans sa vie.

Plastiquement superbe, influencé par le peintre surréaliste belge Paul Delvaux (la présence des trains n’est pas un hasard), porté par la musique sublime de François de Roubaix, Les Lèvres Rouges se voit tout autant comme une œuvre fantastique et érotique (les scènes de sexe sont pour une fois bien filmées) que comme un documentaire sur Delphine Seyrig.

Le LaM de Villeneuve d’Ascq lui a consacré, il y a peu, une exposition. Si vous n’avez pu la découvrir, on ne saurait que trop vous conseiller de voir Les Lèvres Rouges. Voilà un film inclassable, qui vous hantera, vous vampirisera. Pour longtemps. Telles la Comtesse Bathory et... Delphine Seyrig.

Les Infos sur Les Lèvres Rouges

Synopsis : Valérie et Stefan, immobilisés à Ostende, séjournent dans un vaste hôtel désert en cette morte-saison. Le couple fait alors la connaissance de l'inquiétante comtesse Bathory et de sa protégée Ilona, ténébreuses créatures de la nuit. Elles envoûtent d’abord le jeune homme, fasciné par des meurtres mystérieux perpétrés dans la région, puis Valérie, intriguée par l’étrange relation qui unit les deux femmes...

Les Lèvres Rouges (Daughters of Darkness) de Harry Kümel
Avec Delphine Seyrig, John Karlen, Danielle Ouimet, Andrea Rau

Durée 96 min • couleur • VOST + VF
Interdit aux - de 16 ans
Actuellement en vidéo

Affiche, photos et film-annonce © Malavida Films
A voir le documentaire Delphine et Carole, Insoumuses en replay sur Arte jusqu'au 2 mai 2020

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