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L’Etrange Couleur des Larmes de ton Corps : Expérience sensorielle !

Synopsis : Une femme disparaît. Son mari enquête sur les conditions étranges de sa disparition. L’a-t-elle quitté ? Est-elle morte ? Au fur et à mesure qu’il avance dans ses recherches, son appartement devient un gouffre d’où toute sortie paraît exclue...

© Shellac Distribution

Critique: Cette semaine Lille la Nuit a décidé de vous parler de la sortie du deuxième long-métrage d’un duo de cinéastes qui imposent un ton singulier dans le cinéma français.
Nous vous avions d’ailleurs fait gagner des places pour l’avant-première du film de Bruno Forzani et Hélène Cattet, L’Etrange Couleur des Larmes de ton Corps, en présence des réalisateurs.
Le duo, au cinéma comme à la ville, s’est d’abord fait remarquer en réalisant dans leur appartement des films sans le sou mais diablement efficaces. Les festivals leur ont offert l’occasion de faire connaître leur travail.
Puis, les amateurs de cinéma fantastique ont pu découvrir leur premier long-métrage, Amer, produit par Eve Commenge et François Cognard, un ancien pilier de la revue culte de cinéma de genre : Starfix.

Amer a fait le tour du monde et Quentin Tarantino qui est un cinéphile fou, comme chacun sait, l’a considéré comme l’un de ses films préférés de l’année 2010.
Avec L’Etrange Couleur des Larmes de ton Corps, Hélène Cattet et Bruno Forzani se sont rapprochés de leur lieu de résidence afin de tourner un film qui retrouve l’univers de Amer. Alors que leur premier long-métrage fut tourné dans le sud de la France (Forzani en est originaire), ils ont cette-fois décidé de planter leurs caméras et leur univers principalement chez nos voisins et amis belges, à Bruxelles. Une ville dont l'ambiance flirte souvent avec le fantastique et qui a inspiré des peintres comme Paul Delvaux ou René Magritte.
Bruxelles est un excellent choix, puisque les réalisateurs y ont déniché quelques superbes demeures Art Nouveau qui siéent particulièrement bien à leur source d’inspiration principale, le Giallo. Un genre cinématographique en provenance d’Italie, qui mélange allégrement le policier, le thriller, l’épouvante et l’érotisme. Dario Argento en est évidemment l’un des maitres. On lui doit des chefs-d’œuvre comme Suspiria ou Ténèbres. Mais n’oublions pas non plus des cinéastes d’importance comme Mario Bava, son fils Lamberto et quelques autres qui ont su donner ses lettres de noblesse à un cinéma qui se colore très souvent de rouge sang (l’étrange couleur des larmes de ton corps, c’est ça).

Mais il ne faut pas croire que Cattet et Forzani reproduisent servilement ce cinéma transalpin. Non, ils ont leur propre univers et font indéniablement partie de ces cinéastes qui ont su digérer leurs références pour se bâtir un cinéma très personnel. L’Etrange Couleur n’est certainement pas le film le plus facile et abordable de la semaine. Il faut avoir la franchise de le dire. Voilà du cinéma qui se mérite. Mais si vous êtes un peu curieux et ouverts d’esprits (et nous savons à Lille La Nuit que vous l’êtes), vous n’allez pas regretter le déplacement. On peut difficilement résumer l’histoire de ce film qui doit autant au cinéma, qu’à l’architecture, à la littérature, à la musique, à la peinture, …
Voilà une expérience qui monopolise tous vos sens et sentiments : l’ouïe, la vue, la peur, l’angoisse, le désir, … Il n’y a que le l'odeur et le toucher qui ne soit pas convoqués. Et encore...

© Shellac Distribution

En un sens, L’Etrange couleur peut vraiment être considéré comme du cinéma organique. Non seulement car la chair y est très présente (extérieure comme intérieure) à l’image du cinéma de David Cronenberg. Mais aussi, car les cinéastes ont réalisé leur film en pellicule Super 16 MM. D’où un grain de l’image qui apporte à ce long-métrage cet aspect très organique (bien qu’il soit transféré en numérique pour la projection). Quand on est cinéphile, cela nous ramène à quelques grands souvenirs comme Massacre à la Tronçonneuse ou Henry, Portrait d’un Tueur en Série.

L’Etrange Couleur se distingue également par la qualité de sa bande son. Tous les dialogues sont mis à l’arrière-plan. Il est souvent difficile de les comprendre. Et ils ne sont pas très nombreux. Car ce qui intéresse Cattet et Forzani, c’est encore une fois de nous faire ressentir des émotions quasi uniquement par l’image et les ambiances sonores. Le montage son a d’ailleurs demandé plus de six mois de travail. Le travail de Daniel Bruylandt est éblouissant ! En voyant un film comme celui-là, on comprend qu’il est totalement inutile de le télécharger. Voilà du cinéma qui doit se voir, s’écouter, se vivre dans une salle de cinéma qui dispose du meilleur matériel sonore. Il faut entendre les respirations, les bruits d’étoffe, les pas des protagonistes, les chuchotements, les dialogues qui se perdent puis reviennent, les musiques de Bruno Nicolai et Ennio Morricone.
On se croirait presque à un concert en quadriphonie du Pink Floyd de la grande époque.

Du côté de l’image, le même soin maniaque a été apporté. On ne compte plus les techniques de réalisation présentes dans le film : ralentis, split-screens (écrans partagés), ... Le travail de découpage est impressionnant. Le film explose de couleurs : rouge, vert, bleu, … Encore une fois, tous nos sens sont mis en éveil pour nous raconter une histoire somme toute assez classique mais de manière totalement différente de ce qu’on a l’habitude de voir au cinéma. Les références pullulent sans que l’on ne soit jamais saturé. Alors, bien sûr, il faut accepter de perdre ses repères, de ne pas toujours comprendre les tenants et aboutissants du récit. Mais cela fait un bien fou de voir un film aussi riche et libre. D’autant plus que le budget dont ont disposé les auteurs est on ne peut plus faible. Nous sommes ici dans une économie de cinéma extrêmement fragile. Mais contrairement à d’autres productions sorties dernièrement dans nos salles, tout l’argent se trouve bel et bien sur l’écran. Voilà du cinéma généreux !

© Shellac Distribution

Il est important de préciser également que L’Etrange Couleur des Larmes de ton Corps dépasse allégrement le Giallo et le cinéma d’horreur. On peut aussi voir le film comme un mélodrame flamboyant (la photographie renvoie tout autant au cinéma de Douglas Sirk).
On notera juste quelques points négatifs comme une profusion de personnages et une durée de métrage quelque peu trop longue. Raccourcir de quinze à vingt minutes aurait été une bonne idée. Mais en l’état, L’Etrange Couleur des Larmes de ton Corps reste un très bel exercice de style.

Il est à préciser que le film a obtenu le Prix Ciné+ du Meilleur Long-Métrage à la 3ème Edition du Paris International Fantastic Film Festival et reçu des nominations au Festival International du Film de Locarno 2013 ainsi que le Festival International du Film de Toronto 2013.
On ne peut que saluer le talent de ces deux réalisateurs et le courage de leurs producteurs de s’investir dans un cinéma aussi libre, inventif, éloigné de tous poncifs.
Voilà une équipe qui mérite de se lancer dans un troisième long-métrage. A Lille La Nuit, on croit en eux !

Film-annonce et affiche © Shellac Distribution

L'Etrange Couleur des Larmes de ton Corps
Un film de Bruno Forzani & Hélène Cattet
102 min – DCP – Scope – 5.1 – Couleur – Belgique, France, Luxembourg – 2013 –
Interdit aux – de 12 ans
Ce film est de nature à troubler un jeune public.

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