Masculin, Féminin parle sexe, avortement, contraception, engagements politiques ! Quoi de plus normal ? Sauf que ce film de Jean-Luc Godard fut réalisé en 1965. Lors de sa sortie française le 22 mars 1966, il est interdit aux moins de 18 ans ! La prude censure ne supporte pas de voir de jeunes Français parler explicitement de ce qui les préoccupent. Masculin, Féminin est un coup de pied dans la France de De Gaulle. Cinquante après sa réalisation, ce Godard apparaît d’une folle modernité ! A l'occasion de sa reprise, Lille La Nuit revient sur ce film qui nous ressemble.
La jeunesse de 1965 est-elle différente de celle d'aujourd'hui ? La réponse en regardant Masculin, Féminin.
Critique : Lorsqu’il réalise Masculin Féminin en 1965, Jean-Luc Godard, âgé de 35 ans, signe son onzième film. Le jeune cinéaste n’est pas étranger aux soubresauts que sont en train de connaître la France, les Etats-Unis, le monde ! La jeunesse l’intéresse tout particulièrement. Sans doute ne la reconnaît-il pas tout à fait dans le cinéma français, les émissions de télévision et à la radio.
Lorsqu’il réalise le film, Godard est un cinéaste reconnu dans le monde entier. L’ex-critique des Cahiers du Cinéma a signé des films qui sont aujourd’hui des chefs-d’œuvre du 7ème Art : A Bout de Souffle (1966), Le Mépris (1963), Alphaville, une Aventure de Lemmy Caution (1965), Pierrot le Fou (1965)…
Godard est l’un des héros de la Nouvelle Vague au même titre que Truffaut et quelques autres. De tous, il est celui qui innove, invente, défriche le plus. Il a tourné en noir et blanc, en couleurs, avec des stars (Belmondo, Seberg, Bardot, Piccoli…). Le monde est à ses pieds. Les américains veulent lui faire tourner Bonnie and Clyde. Godard refuse. Le film sera finalement réalisé en 1967 par Arthur Penn, avec Faye Dunaway et Warren Beatty. La proposition hollywoodienne a dû sembler flatteuse à cet amoureux du cinéma américain. Mais ce rebelle avait peut-être peur de perdre son indépendance.
En signant Masculin, Féminin, Godard poursuit son travail d’inventeur de formes : le film est divisé en chapitres, le noir et blanc est utilisé (il renforce l’aspect documentaire de cette œuvre de fiction), des cartons apparaissent avec des phrases (slogans ?) comme au temps du muet. Godard s’amuse déjà à faire des ruptures avec les sons, à les triturer, mettant au premier puis à l’arrière plan des phrases, dialogues des personnages.
Chantal Goya avant Pandi Panda
On y voit une jeune Chantal Goya - belle et gracieuse - Marlène Jobert, Brigitte Bardot et pour la réelle première fois dans un film de Godard, la découverte de Truffaut : Jean-Pierre Léaud.
En 1965, la censure est extrêmement forte. Rendez-vous compte : en 1966 (année de sortie du film de Godard) Michel Polnareff voit sa chanson L’Amour avec toi interdite d’antenne avant 22h ! Tout cela parce qu’on y entend « J'aimerais simplement faire l’amour avec toi ». Un truc impensable tant ses paroles sont jolies et inoffensives.
Pourtant, Godard (qui a déjà eu maille avec la censure en 1960 avec Le Petit Soldat qui critiquait ouvertement la guerre d’Algérie) ne s’interdit rien. Dans son film, la jeunesse parle de sexualité. Frontalement ! Les filles évoquent la contraception devant la caméra. Un chapitre du film, intitulé ironiquement (et durement) Dialogue avec un Produit de Consommation nous fait découvrir une jeune femme élue Mademoiselle 19 ans. On est étonné de voir en 2016 cette jeune personne qui pourrait être notre mère, grand-mère selon l’âge que l'on a. Elle est si moderne que seul le noir et blanc trahit l’année de réalisation du film. Les garçons font des gestes obscènes, demandent aux filles de coucher avec eux. Sommes-nous en 1965 ou de nos jours ?
Masculin, Féminin est aussi une œuvre politique qui annonce Mai 68. On y évoque le communisme, Force Ouvrière, la CGT. Godard s’intéresse aux ouvriers (qui le fait aujourd’hui ?). On est sidéré de voir Léaud accuser des soldats américains de balancer du napalm sur les vietnamiens et de s’en prendre aux communistes. Comme le dit Godard : Masculin, Féminin est la rencontre des enfants de Marx et de Coca-Cola !
Paul (Jean-Pierre Léaud) est en révolte contre les Américains.
Le film annonce le cinéma politique - tendance marxiste/léniniste - de Godard (La Chinoise). Peut-être pas la meilleure période du cinéaste…
Tout à la fois film sentimental, comédie, document sociologique, Masculin, Féminin ressort dans les salles.* Ne ratez pas ce film miroir qui renvoie une image d'une jeunesse qui est aussi la nôtre.
Synopsis : Paul, tout juste démobilisé, est à la recherche d’un travail et milite contre la guerre au Vietnam. Il est amoureux de Madeleine, une jeune chanteuse qui se préoccupe plus de sa réussite dans le métier que des manifestations sentimentales de son ami. Paul finit par trouver un emploi dans un institut de sondage où il est chargé de faire une enquête sur les principales préoccupations des français.
Il habite provisoirement chez deux de ses amies...
*A Lille, Masculin, Féminin est projeté au Majestic.
Masculin, Féminin (1966) de Jean-Luc Godard.
Sortie le : 6 juillet 2016
Durée : 1h50
Affiche, photos et film-annonce © Tamasa Distribution
