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Much Loved, le combat de l’actrice Loubna Abidar

Synopsis : Marrakech, aujourd'hui. Noha, Randa, Soukaina et Hlima vivent d'amours tarifées. Ce sont des prostituées, des objets de désir. Vivantes et complices, dignes et émancipées, elles surmontent au quotidien la violence d’une société qui les utilise tout en les condamnant.

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Much Loved - © Pyramide Distribution

C’est une actu ciné un peu particulière que vous propose Lille La Nuit cette semaine car elle dépasse le cadre strict du 7ème art. Much Loved, le dernier film du réalisateur marocain Nabil Ayouch sort le 16 septembre. Voilà un film passionnant, qui traite de différents sujets épineux : la prostitution féminine et masculine, le tabou de l’homosexualité dans les pays musulmans, les contradictions de la société marocaine…

Pourtant Much Loved, même s’il est parfois cru (il est interdit aux moins de douze ans) et montre l’amour physique frontalement, n’en demeure pas moins un film plein de sensibilité, qui fait le portrait magnifique de quatre prostituées affrontant le quotidien avec humour. Loin d’être une œuvre misérabiliste, Much Loved étonne par l’énergie de ses personnages féminins - en refusant d’en faire des victimes - et la force de sa mise en scène.

Seulement voilà, le film de Nabil Ayouch est interdit de sortie au Maroc (alors qu’il y a obtenu une autorisation de tournage). Selon le gouvernement marocain, "il comporte un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et une atteinte flagrante à l'image du royaume". De plus le réalisateur et son actrice principale, Loubna Abidar, devront affronter prochainement des procès qu’on leur intente au Maroc.

Plus grave : la jeune comédienne a reçu des menaces de mort après la diffusion sur la toile de rushes (non montés dans le film) issus d’une scène d’amour physique particulièrement belle, dénuée de la moindre vulgarité et nécessaire à l’intrigue. Au Maroc, on a menacé Loubna Abidar de lui couper la tête et on la considère comme une actrice pornographique. Lors des avant-premières françaises de Much Loved, les renseignements généraux sont présents dans les salles tous les soirs.

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Much Loved - © Pyramide Distribution

Lille La Nuit a rencontré la talentueuse Loubna Abidar, auréolée du prix d’interprétation pour son rôle au Festival d’Angoulême. Nous avons parlé de Much Loved bien sûr - beau film que nous vous recommandons - mais aussi de la terrible et tragique situation que doit supporter la jeune comédienne.

Rencontre avec une artiste engagée, courageuse, déterminée, qui se bat pour ses droits, mais aussi ceux de toutes les femmes de son pays : le Maroc.

On vous connait assez peu : est-ce que vous pouvez nous parler de votre parcours parce qu’il semblerait que certaines des quatre comédiennes du film ne l’étaient avant, elles le sont devenues. Comment êtes-vous donc arrivée sur ce film ?

Loubna Abidar : Je suis déjà connue au Maroc. C’est mon quatrième film au cinéma. J’ai fait aussi beaucoup de théâtre, de téléfilms et de séries. Je sortais du tournage d’un film étranger à Ouarzazate quand le directeur de casting raconte que Nabil Ayouch cherche des vraies prostituées pour son film. Pour moi, Nabil Ayouch, c’est le roi du cinéma. Je devais vraiment faire quelque chose : j’ai donc pris le train pour Casa, je me suis beaucoup coiffée et maquillée et j'ai mis une robe trop sexy. J'ai débarqué dans son bureau en disant « Je suis une pute professionnelle ! ». Au bout de deux jours, il a su que j’avais la carte d’actrice professionnelle. Il a donc refusé que je sois dans son film. Mais après tout ce que je lui avais raconté sur mon quartier, sur l’amour que j’ai pour ces femmes là... il a décidé de me nommer consultante sur ce film. Je n’ai pas arrêté de me battre pendant huit mois, jusqu’à ce qu’il comprenne que ce film était pour moi et pas une autre (Rires). En revanche, c’est vrai que pour les autres filles, c’était une première devant la caméra ! Elles ne viennent pas du théâtre ou autre, je ne peux pas en dire plus sur elle…

Vous dites que vous aviez de la tendresse pour ces femmes, ce qui veut dire que vous les connaissez ?

Oui, je sors d’un quartier très pauvre. Une de mes voisines était une maquerelle avec le sourire et bien habillée. Pour nous, c’était classe ! Je vois ma mère avec une djellaba tout le temps, pareil pour mes tantes. Comme cette femme avait toujours des bonbons et des pièces, quand on passait, on attendait un bisou pour en avoir. Parfois, mon papa n’avait pas d’argent pour m’acheter des cahiers, ou autre, j’allais chez elle avec le papier de l’école, et ce sont des femmes hyper généreuses. Dans ma famille, il me disait toujours que je ne devais pas lui parler car c’était une femme méchante qui irait en enfer. J’ai toujours trouvé que c’était faux car elle était hyper gentille et n’avait jamais fait de mal à personne. C’est pour ça que j’aime bien ces femmes.

J’ai très envie que les femmes arabes le voit, au moins une fois mais même deux voire trois, ça ne suffit pas de le voir une fois ! J’ai envie qu’il y ait une révolution des femmes, on a besoin de ça.

Loubna Abidar

La prostitution est un des sujets du film. Ce qui est intéressant, c’est ce que ça peut dire du Maroc, des hommes et des femmes dans les pays musulmans, et aussi de leurs contradictions. Est-ce que ce sujet qui vous permettait d’aborder des choses pas forcément évidentes, un peu taboues, était gênant, difficile pour vous en tant qu’actrice, même si vous saviez que c’était votre travail ?

C’était très difficile des fois, surtout que je suis la première femme Arabe qui vient de là-bas, et qui fait une scène de sexe avec un homme. Ce n’était pas facile aussi quand il y avait des gros mots. Avec mes copains et copines, quand on boit deux, trois verres, on dit des choses, mais pas comme ça ! C’était donc très dur de sortir ces mots de ma bouche, devant une caméra en plus, ça veut dire que le monde entier peut voir le film ! J’ai beaucoup pleuré pendant le tournage, on arrêtait alors une heure ou deux, je prenais un café avec le réalisateur, et il essayait de me calmer.

Mais pourquoi êtes-vous passée au-delà de ça ? Pourquoi aviez-vous envie de manière très forte et très intime de jouer ce personnage ? Quelles étaient vos motivations ? Politiques ?

Je ne comprends pas la politique des pays arabes, je suis loin de ça : tu dois faire énormément d’études pour y comprendre quelque chose. C’était plutôt parce que ce sont des femmes à côté desquelles j’ai grandi, et que je vois tout le temps, car à Marrakech, elles ne sont pas cachées, elles sont partout, dans les restaurants, dans les bars… Et elles sont plus respectées que nous. Si j’appelle par exemple pour réserver une table, on va me demander si je suis avec un Européen ou un Saoudien, et quand je vais répondre que je suis avec mes copines, on va m'annoncer que c’est complet.

Quand je parle de politique, je parle presque d’un geste politique dans le sens de vous exprimer en tant que femme et de faire évoluer les idées par rapport aux femmes ?

J’ai très envie que les femmes arabes le voit, au moins une fois mais même deux voire trois, ça ne suffit pas de le voir une fois ! J’ai envie qu’il y ait une révolution des femmes, on a besoin de ça. Je l’ai fait aussi parce qu’il y a beaucoup de femmes là-bas qui font ce métier sans savoir ce qu’elles font, car certaines commencent à l’âge de dix – douze ans, et ne comprennent pas. Dans leur tête, on sort, on fait la fête pour trouver un Européen ou un Saoudien riche. Je l’ai fait aussi pour les mamans qui louent leurs enfants et qui ne savent pas où elles les envoient. J’ai donc pris le risque de faire ce film qui n’était pas facile. Je paie encore alors que le film n’est pas sorti et qu’on le juge sans l'avoir vu.

Scénario et réalisation : Nabil AYOUCH, Image : Virginie SURDEJ, Musique : Mike KOURTZER, Montage : Damien KEYEUX, Production : Saïd HAMICH, Eric POULET, Nabil AYOUCH

Avec Loubna ABIDAR (Noha), Asmaa LAZRAK (Randa) , Halima KARAOUANE (Soukaina) , Sara ELMHAMDI ELALAOUI (Hlima) , Abdellah DIDANE (Saïd)

Durée : 1h44

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