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Near Death Experience : Delépine et Kervern font rapper Houellebecq !

Synopsis : Paul, un employé sur une plateforme téléphonique, est en plein burn-out. Un vendredi 13, la chronique du journal télévisé sur ce jour particulier lui apparaît comme un signal pour passer à l’acte. Décidé à concrétiser son geste, Il s’enfuit dans la montagne où il va vivre une expérience unique.

 © Ad Vitam

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Critique : Pour cette rentrée cinéma de septembre, nous avons choisi un film singulier et original qui devrait plaire aux aficionados de Lille La Nuit : Near Death Experience, la dernière réalisation des trublions Benoit Delépine et Gustave Kervern ! Évitons d’emblée l'utilisation de termes comme OVNI du cinéma, film décalé, œuvre sortant des sentiers battus pour définir ce film ! Des qualificatifs qu’on nous ressert à chaque sortie d’un long-métrage réalisé par le duo Delépine-Kervern.

Bien sûr, Les gars sont un peu allumés, pratiquent un cinéma en marge de notre production classique hexagonale. Mais à Lille La Nuit, on préfère insister sur le fait que depuis Aaltra, leur premier long-métrage, jusqu’à Le Grand Soir, en passant par Louise-Michel, les deux compères composent une œuvre cohérente, singulière, pas si éloignée que ça de certains surréalistes belges. Et si le mot n’était pas tant galvaudé, on parlerait même pour leur cinéma d’une œuvre poétique. Allez, on ose le dire !

Il n’est donc pas très étonnant que leur univers rencontre aujourd’hui celui de Michel Houellebecq, légende vivante de la littérature française, grand provocateur à ses heures, amateur de fantastique* et auteur de poésies dont les recueils sont à découvrir d’urgence.

Ce qui frappe d’abord dans Near Death Experience (que nous appellerons par la suite NDE), c’est donc la cohérence de la filmographie des deux complices. Ils continuent de creuser le même sillon, en s’intéressant aux sans-grades, aux exclus de la société, aux êtres en marge, aux abus du libéralisme, tout en pratiquant un cinéma délivré de toutes concessions au système, si ce n’est de présenter leurs œuvres dans de grands festivals de cinéma sponsorisés par des marques de cosmétiques. Mais là-dessus, on ne peut évidemment pas leur en vouloir car, lorsqu’on est réalisateur, on a envie que des spectateurs puissent voir vos films.

Pas ou peu de concessions au système, donc. Ce qui est revendiqué jusque dans le nom de la société de prod de Delépine et Kervern: No Money Productions.

NDE fut tourné avec une équipe minuscule, un comédien non-professionnel (Houellebecq) et en seulement dix jours de tournage. Le résultat est (d)étonnant ! Ce résultat, on le doit sans doute à une volonté forcenée de créer, chevillée au corps ; à la force de l’expression, malgré les embûches, les difficultés financières et le manque de moyens.

Dans NDE, l’image n’est pas terrible, c’est vrai. Qu’à cela ne tienne : au bout de quelques secondes, on oublie totalement ce qui semble être un défaut. Cela fait même partie du charme du film, concourt à son esprit, à sa forme plastique, esthétique.

On apprécie de suivre une histoire qui prend son temps, en rupture avec le tempo et les formes d’écritures cinématographiques imposés comme des diktats aux spectateurs du monde entier.

© Ad Vitam

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On va au rythme du personnage et de Michel Houellebecq. Houellebecq, revenons-y ! Il a déjà surpris en incarnant son propre rôle dans l'excellent L’Enlèvement de Michel Houellebecq de Guillaume Nicloux. Dans NDE, Houellebecq -qui est à une exception près le seul acteur filmé de manière frontale dans le film- étonne par la justesse de son ton, la force et la rigueur de son jeu, aussi à l’aise dans les séquences d’émotion que de comédie. Il est un magnifique comédien. Michel Houellebecq serait une sorte de Bourvil punk, prêt à suivre Kervern et Delépine dans toutes leurs expériences et délires ; comme un vilain garnement qui ferait un pied de nez à toute une intelligentsia et une classe médiatique qui souhaiteraient l’enfermer dans son seul rôle de poète maudit.

Il faut le voir faire du rap dans sa voiture, danser sur du Black Sabbath, le groupe légendaire du Prince of Darkness, Ozzie Osbourne. Il est tout simplement étonnant, libre, gonflé, frondeur, n’ayant jamais peur du ridicule, à l’image du film.

C’est alors la cohérence du projet qui frappe de nouveau. Car ce qui aurait pu n'être qu'un simple coup médiatique –même si avec Delépine et Kervern, c’était mal barré de ce côté-là- s’impose d’emblée comme une œuvre dense, rigoureuse, pensée, sous ses airs de petite production fauchée.

On l’a dit, les deux réalisateurs continuent de creuser leur sillon, filmant dans NDE, un pauvre type, pressé comme un citron, qui décide un jour sur un coup de tête de tout plaquer : famille, boulot, système, société de consommation pour s’en aller loin de tout, dans la nature, comme un ermite, et y mourir.

Raconté comme ça, on peut bien reconnaître que ça ne donne pas très envie. Mais c’est filmé avec une telle passion, invention, poésie, avec un humour si ravageur, qu’on ne voit pas passer une seule seconde de cette odyssée du désespoir. NDE est un film couillu, qui ne caresse pas le spectateur dans le sens du poil, qui se mérite un peu, certes ! Mais si on est un tant soit peu curieux, qu’on a envie de découvrir un cinéma diffèrent, qu’on en a marre de toujours regarder les mêmes produits formatés et calibrés, on se réjouira à la vision de ce film radical et pas toujours aimable.

NDE c’est un peu le Into the Wild punk de Kervern et Delépine (la nature est très présente). Le film n’est jamais moralisateur, mais c’est un vrai pamphlet politique, au sens noble du terme, qui appuie là où ça fait mal. Tout en restant léger, énergique, poétique, dynamique, vivant !

© Ad Vitam

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Quant aux dialogues, ils sont d’une telle beauté qu’on croirait entendre du Houellebecq. Ils sont simples, ne se prennent pas le chou et disent des choses d’une grande justesse. On est scotché, sidéré, quand on entend l’auteur des Particules Élémentaires dire dans le film :

«Obsolète. Voilà. J’ai 56 ans et je suis obsolète.
56 ans. L’âge de mon grand-père quand j’avais 7 ans.
Avant on était un vieux, un pépé.
On attendait tranquillement la retraite. On vous demandait pas d’atteindre des objectifs. De les dépasser. On vous demandait pas d’être toujours séduisant. D’être habillé en jeune. D’être un homme viril, de baiser encore. De faire du sport. De manger équilibré. D’aimer sa femme comme au premier jour, d’être le meilleur copain de ses enfants... On vous demandait pas d’être créatifs. D’avoir de l’humour. Et des passions ! T’as eu de la chance pépé. T’as eu le droit de n’être qu’un pépé. Moi, tu vois, en étant comme t’étais, je suis devenu un pauvre gars. Obsolète.»

A ce moment du film, doit-on rire ? Pleurer ? Est-ce comique ou dramatique ? Un peu tout ça, sans doute. Et ça ressemble bien au cinéma que pratiquent Kervern et Delépine. Un cinéma qui refuse de choisir entre la tragédie et la drôlerie, le professionnalisme et une certaine forme d’amateurisme, l’écriture et l’improvisation, le beau et le laid, le vrai et le faux, le noir et le blanc, le fantastique et le naturalisme, …

Un cinéma qui refuse la démagogie, en somme.

 

* Il est l'auteur d'un essai sur Howard Phillips Lovecraft, H. P. Lovecraft : Contre le monde, contre la vie, paru en poche chez J'ai Lu.
Liste Artistique : Paul : Michel Houellebecq, Le vagabond : Bertram Marius, Le collègue, Orange n°1 : Benoit Delépine, Le collègue Orange n°2 : Gustave Kervern, L’automobiliste : Manon Chancé
Liste Technique : Image : Hugues Poulain, Son : Guillaume Lebraz, Montage : Stéphane Elmadjian

Durée: 1h25

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