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Nocturama : Après « L’Apollonide » et « Saint Laurent », Bertrand Bonello filme la jeunesse

Annoncé par une affiche superbe, une bande-annonce nerveuse autant que mystérieuse, Nocturama ne pouvait qu’intriguer Lille La Nuit. Pour vous, nous avons rencontré Bertrand Bonello - l’un des cinéastes les plus talentueux de sa génération - et vu son film. Verdict ! 

Avec Nocturama, Bonello signe son septième long-métrage.

 

Après avoir exploré le passé dans L’Apollonide Souvenirs de la maison close et Saint Laurent - que Lille La Nuit avait adoré -, Bonello s’attaque aujourd’hui avec Nocturama* à un sujet contemporain. Il filme la jeunesse d’aujourd’hui, avec son regard d’auteur singulier du cinéma français.

Abordons d’emblée la toile de fond de Nocturama pour nous pencher ensuite sur ses qualités cinématographiques.

Nocturama suit un groupe de jeunes gens perpétrant plusieurs attentats simultanés dans Paris. Mais on ne peut en aucun cas taxer d’opportunisme le cinéaste. D’autant plus que l’écriture de Nocturama est antérieure aux attentats de janvier et novembre 2015 à Paris. Par ailleurs, les motivations des personnages du film n’ont aucun rapport avec celles des terroristes qui frappent notre pays. Nocturama n’est pas un film sur l’islamisme.

Bertrand Bonello : « On va faire un petit peu de chronologie. On a commencé la préparation et le financement en janvier 2015. Donc, c’est le moment où il y a eu les assassinats à Charlie Hebdo. Evidemment, ça nous a troublés mais on a tout de suite dit qu’il fallait ne rien changer au projet. Ne surtout pas essayer d’intégrer une forme d’actualité dans cette fiction. Parce que l’actualité est de toutes manières plus rapide que la fiction. Que la fiction est à SON endroit et que c’est MON endroit. Sur le financement, à part peut-être l’avance sur recettes - enfin, le CNC - qui a eu un petit rejet, tous les autres financiers nous ont extrêmement suivis en disant qu’ils trouvaient le film d’autant plus nécessaire. Arrive le 13 novembre et j’avais une première version du montage. De la même manière, on s’est dit « Le film est à son endroit, surtout pas de panique ! ». On a quand même vérifié ici et là. Et en effet, il y a eu un changement sur le titre envisagé au départ puisque le bouquin (NDR : Paris est une Fête de Hemingway) est devenu un symbole du rassemblement post-13 novembre et qu’il était hors de question qu’on puisse penser que j’avais fait de la récupération ! »

Bertrand Bonello en interview à Lille avec Lille La Nuit le 23 août 2016. Photo Alexandre Marouzé.

Bertrand Bonello en interview avec Lille La Nuit le 23 août 2016. Photo : Alexandre Marouzé.

 

Cette toile de fond et le thème du terrorisme sont un moyen pour Bonello de faire le portrait d’une jeunesse française hétérogène qui ne se reconnaît pas dans la société et le monde dans lesquels elle évolue.

Mais Bertrand Bonello ne fait pas œuvre de sociologue. Encore moins de politologue. Il fait du cinéma ! Bonello raconte une histoire, avec un point de vue fort d’artiste, en utilisant les différentes techniques que le cinéma lui offre. Sans jamais être démago, ni complaisant (chaque mouvement de caméra, tous points de montage sont pensés), il fait basculer son film vers l’irréel et la fantasmagorie. C’est très intelligent car ce détachement du réel permet au spectateur de prendre du recul et mieux discerner les problématiques de Nocturama.

Bertrand Bonello utilise le split screen (plusieurs scènes montrées en simultané à l’écran), joue de la dilatation du temps, de l’espace en filmant, montant des scènes dans une chronologie bousculée et sous des angles différents. On peut voir Nocturama comme une réflexion sur le cinéma, l’image, ses dangers (le manque de recul des médias est suggéré à plusieurs reprises) et la mise en scène.

Bertrand Bonello : « Tout est pensé à l’écriture. Ce ne sont pas des choses qui viennent plus tard au tournage ou au montage. Il y avait l’idée de faire un film qui se déroule sur 24 heures. Donc, déjà dans le projet de base, le rapport au temps est très présent. Et après, il y a beaucoup de choses qui viennent de contraintes. Par exemple dans le grand magasin, comme j’ai beaucoup de personnages, beaucoup d’étages, etc… tout d’un coup je me suis dit « Oh là là, pendant qu’il se passe ça, le spectateur va oublier donc je vais reprendre un peu en arrière… » Donc, c’est aussi une manière de composer sa géographie. Plus le fait que, en effet, j’avais envie que plus la nuit avance, plus le temps se diffracte pour les personnages. Et que les spectateurs assistent à ça. Donc, le rapport au temps est très précis mais différent à chaque moment du film. Dans la première partie, c’est la précision du temps. La simultanéité. C’est aussi pour fabriquer une forme de tension qui est celle de personnages allant poser du plastique. Avec des gestes qui sont assez anodins. A savoir : prendre le métro par exemple. Dans la deuxième partie, le temps s’arrête. C’est presque le principe : « Nous avons dix heures à attendre ». Dans la troisième partie, le temps se bouscule. Ce sont des enjeux dramatiques et narratifs de travailler le temps de cette manière-là, sur ce film-là. »

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Face à une société globalisée, le combat est-il perdu d'avance ?

 

Mais Bonello n’oublie pas ses personnages (incarnés par des comédiens saisissants). Il leur offre de grandes scènes, n’en fait pas des pantins désarticulés. On retient cette scène impressionnante où l’un des jeunes découvre un mannequin - symbole de la déshumanisation et de l’effacement - habillé exactement comme lui. Moment effrayant où le jeune homme prend conscience qu’il est la victime d’une société globalisée. Le combat est-il déjà perdu ? Et les moyens utilisés, les bons ?

Nocturama est passionnant. Autant par les thèmes qu’il aborde, que par sa façon de les mettre en scène. A l’heure où la production hexagonale oublie un peu trop souvent que le cinéma, c’est aussi des images et du son (Bonello, en plus d’être auteur et réalisateur de son film, en signe la musique), il est du devoir de Lille La Nuit de signaler Nocturama comme un film français important.

Nocturama de Bertrand Bonello
Avec Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani, Manal Issa, Martin Guyot, Jamil McCraven, Rabah Nait Oufella, Laure Valentinelli, Ilias Le Doré, Robin Goldbronn, Luis Rego, Hermine Karagheuz Et la participation de Adèle Haenel

Sortie : Le 31 août 2016
Durée : 2H10

*Titre emprunté à Nick Cave.

Film-annonce et affiche © Wild Bunch Distribution Photos Nocturama © Carole Bethuel

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