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« Numéro Une » : Une femme peut-elle exercer le pouvoir dans un monde machiste ? Rencontre avec la cinéaste Tonie Marshall

L’Actu Ciné de Lille La Nuit se porte cette semaine sur Numéro Une, le dernier film de Tonie Marshall - Venus Beauté (Institut), Au plus près du Paradis, Passe-passe… -. La réalisatrice, qui évolue souvent dans la comédie, change de registre pour nous présenter le combat d’une femme pour devenir dirigeante dans un monde de l'Industrie, majoritairement masculin. Interprété par Emmanuelle Devos, Suzanne Clément, Benjamin Biolay, Richard Berry, Sami Frey, Numéro Une dresse un état des lieux d’une société machiste, misogyne, phallocrate. Critique de Numéro Une par Lille La Nuit et rencontre avec Tonie Marshall.

Numéro Une de Tonie Marshall : Emmanuelle Devos est parfaite dans le rôle d'une femme qui doit s'imposer dans un monde d'hommes.

Critique de Numéro Une

Ce qui frappe en premier lieu dans Numéro Une, c’est la précision avec laquelle Tonie Marshall filme immeubles, tours (à Paris La Défense ou ailleurs), bureaux, salles de congrès… Dès les premières images de Numéro Une, la réalisatrice fait exister un univers en filmant (bien) des décors froids, glacés, limites anxiogènes.

On sait tout de suite qu’on va découvrir un film qui a été pensé du point de vue de sa mise en scène. Et l’on se dit que, si le même soin, a été apporté au script, à la direction d’actrices et d’acteurs, on va voir un bon film. Mais Numéro Une, c’est un peu plus que ça.

Certains trouveront peut-être que Marshall va un peu loin dans sa description du monde très machiste de l’Industrie (mais le film pourrait se situer dans un tout autre milieu). Qu'elle livre un film manichéen. Pourtant, la cinéaste a affirmé à Lille La Nuit qu’elle se trouvait en deçà de la réalité.

Une description du machisme dans le monde du travail en deçà de la réalité

Tonie Marshall : « J’ai fait une enquête. J’ai interrogé des femmes qui sont à des postes importants ou qui l’étaient. Et je suis en dessous de la réalité de ce qui m’a été raconté. Réellement ! Sur la violence verbale, par exemple, je suis mais très très très en dessous. Mais quand j’ai commencé à l’écrire, je me suis dit « Mais c’est pas possible de mettre ça dans un film ». Ça rendait les hommes caricaturaux, désagréables, ce que je ne voulais pas faire. Il est assez charmant, assez charismatique, il est misogyne mais misogyne culturellement (ndr : Tonie Marshall évoque Jean Beaumel, personnage campé par Richard Berry). Voilà, c’est comme ça ! Et c’est cette forme d’« Apartheid » là qui existe quand même beaucoup, beaucoup, beaucoup dans les entreprises. C’est réel et je n’ai pas forcé le trait. » *

Numéro Une de Tonie Marshall : La cinéaste et Emmanuelle Devos sur le tournage du film.

Si l’idée d’une description en noir et blanc (de façon métaphorique), binaire, nous effleure l’esprit quelques minutes, on considère vite que, si la charge se montre  virulente, elle n’en est pas moins juste et pertinente. Souvenez-vous des huées adressés par des députés à Cécile Dufflot lors de son arrivée à l'Assemblée Nationale, le 17 juillet 2012.

Numéro Une montre bien l’abnégation, le courage, l’investissement de chaque instant dont une femme doit encore faire preuve pour occuper en France (ou ailleurs) un poste stratégique. D’ailleurs, la journaliste (Grand Reporter au Monde) Raphaëlle Bacqué fut coscénariste et conseillère de Tonie Marshall sur le film, afin de garantir la vraisemblance de certaines situations.

Mais Numéro Une n’est pas un film documentaire. Cette œuvre de fiction est, avant tout, un beau portrait de femme.

Emmanuelle Devos fait un sans-faute dans le rôle de Emmanuelle Blachey

Emmanuelle Devos, l’une de nos grandes actrices, fait un sans-faute dans la peau de Emmanuelle Blachey. Devos ne joue pas un « archétype » mais donne chair à une femme qui doit affronter un environnement professionnel d'hommes, cruel et ultra-compétitif.

Les autres comédiens sont au niveau de la grande Emmanuelle : Suzanne Clément - actrice fétiche de Xavier Dolan -, qu’on peut toujours voir dans Le Sens de La Fête, est excellente. Benjamin Biolay est parfait en Rastignac. Richard Berry confirme (mais le faut-il ?) qu’il est un sacré acteur. Et on a le plaisir de revoir le trop rare Samy Frey dans le rôle de Henri Blachey, le père de Emmanuelle Blachey.

Numéro Une de Tonie Marshall : Benjamin Biolay et Richard Berry sont excellents dans des rôles pas faciles.

Un film qui se regarde comme un thriller, une œuvre romanesque

Du côté de la construction du récit et de sa mise en scène, Numéro Une peut se voir comme un thriller psychologique à l’américain ou une œuvre romanesque.

Tonie Marshall : « Jusqu’au dernier moment, dans ce genre de choses, il fallait ménager le fait qu’on ne sait pas si elle va gagner. Et c’est souvent comme ça. Sauf quand c’est arrangé à l’avance, bien sûr. Ce qui n’est pas réaliste et elle me l’ont toutes dit (mais je l’ai gardé puisque c’était l’histoire originelle) c’est la potentielle puissance de ce club de femmes présenté dans mon film. Ça, c’est absolument faux ! Et elles m’ont toutes dit : « Pour arriver à avoir cette puissance, cette influence, faut avoir des hommes derrière soi. Les clubs de femmes c’est sympathique, il y a de plus en plus de réseaux, il y a de l’entraide. Mais pour l’instant il n’y a pas la force. Mais je l’ai gardé car je me suis dit : « Peut-être que ça va arriver ! » » *

Lille La Nuit a pris beaucoup de plaisir en regardant Numéro Une. Voilà du cinéma intelligent, qui pose des questions essentielles sur le fonctionnement et l’évolution de notre société. Et qui a l’élégance de le faire sans oublier le spectateur.

Synopsis : Emmanuelle Blachey est une ingénieure brillante et volontaire, qui a gravi les échelons de son entreprise, le géant français de l'énergie, jusqu'au comité exécutif. Un jour, un réseau de femmes d'influence lui propose de l'aider à prendre la tête d'une entreprise du CAC 40. Elle serait la première femme à occuper une telle fonction. Mais dans des sphères encore largement dominées par les hommes, les obstacles d'ordre professionnel et intime se multiplient. La conquête s'annonçait exaltante, mais c'est d'une guerre qu'il s'agit.

Numéro Une de Tonie Marshall
Avec Emmanuelle Devos, Suzanne Clément, Benjamin Biolay, Richard Berry, Sami Frey
Production : Tabo Tabo Films, Véronique Zerdoun, Tonie Marshall
Scénario : Tonie Marshall et Marion Doussot - avec la collaboration de Raphaëlle Bacqué
Image : Julien Roux
Montage : Marie-Pierre Frappier

Durée : 1h50

Sortie le 11 octobre 2017

Affiche, photos, film-annonce © Pyramide Distribution
* Entretien avec Tonie Marshall réalisé le mardi 19 septembre 2017. Merci à UGC Ciné Cité Lille

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