Synopsis : Le conte de Charles Perrault, revu par Jacques Demy. Une princesse, conseillée par sa fée, refuse l’amour de son père en fuyant, cachée dans une peau d’âne, qu’elle quitte parfois quand elle est seule dans sa cabane. Un prince la découvre et en tombe amoureux.
© Ciné-Tamaris
Critique : Enfin ! Enfin, nous allons pouvoir nous émerveiller dès cette semaine avec la reprise en sortie nationale, et au Majestic de Lille jusqu’au 12 août, du film culte - pour une fois le terme n’est pas galvaudé- du regretté Jacques Demy : Peau d’Âne !
Connu de plusieurs générations de spectateurs, adulé par de nombreuses petites filles, Peau d’Âne se pare aujourd’hui de ses plus beaux atours pour cette nouvelle sortie en salles grâce à une superbe version restaurée en numérique.
Projet cher au cœur de Jacques Demy, réalisateur des Parapluies de Cherbourg et Les Demoiselles de Rochefort, Peau d’Âne fut réalisé en 1970 et deviendra son plus grand succès public avec 2 669 661 entrées. Peut-être est-ce dû au fait qu’il s’agit d’une adaptation du conte de Perrault ? Les spectateurs se pressant en salles afin de découvrir un grand film familial, pensé pour enchanter les petits comme les grands. Mais c’est oublier un peu vite qu'on trouve dans le film de Demy des thèmes adultes, très sombres, voire tabous. Exactement comme dans les contes de Perrault.
Pour ne citer qu’un exemple, il y a évidemment le sujet de l’inceste qui est abordé ouvertement dans le film puisque le personnage du Roi bleu veut épouser sa fille. Une thématique qu’on retrouvera par la suite dans le beau et dernier film de fiction de Demy, Trois Places pour le 26, qui fut hélas un cruel échec en salles.
Jacques Demy sur le tournage de Peau d'Âne © Ciné-Tamaris
Evidemment Peau d’Âne demeure avant tout une superbe féérie. Tout est extrêmement soigné. Jusqu'à l'affiche de Jim Léon, superbe création graphique comme on n'en fait plus. Comme dans tout film de Demy, les musiques de Peau d'Âne traversent le temps. On y trouve sept chansons composées par Michel Legrand (paroles de Jacques Demy lui-même) dont la fameuse Recette du Cake d’Amour, que vous ne pourrez vous retenir de fredonner après la projection du film. La photographie signée par le chef-opérateur Ghislain Cloquet est somptueuse. Les décors et costumes sont un véritable plaisir pour les yeux. La direction artistique est remarquable. Demy, on l’oublie un peu trop à force de ne retenir que l’aspect musical de ses films, avait aussi un grand sens de l’image, du visuel comme en témoigne la grande invention des effets spéciaux de son film.
Aujourd’hui, certains trucages paraitront sans doute un peu kitsch aux amateurs d’effets numériques. Mais Demy jouait déjà sans doute volontairement sur l’aspect désuet de ses effets en 1970. Homme de goût, véritable cinéphile, il n’oublie pas lorsqu’il réalise Peau d’Âne, qu’un grand poète l’a précédé au cinéma dans l’adaptation d’un conte. En effet, Jean Cocteau (assisté de René Clément) réalise en 1946 La Belle et la Bête. Peau d’Âne sera donc l’occasion pour Demy de rendre hommage à Cocteau, en retrouvant la naïveté et la poésie de ses effets spéciaux. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Jean Marais est présent dans la distribution du film.
Georges Méliès est bien évidemment l’autre référence qui vient aux esprits en voyant Peau d’Âne. Comment ne pas s’émerveiller devant la beauté et l’invention de certaines séquences du film de Demy ? Le moment où Catherine Deneuve revêt la robe de « Beau Temps » est un pur enchantement. On imagine mal comment on pourrait en 2014, avec les effets les plus avancés et dispendieux, retrouver autant de charme et de beauté ? Nous n’en dirons pas davantage afin de ne pas gâcher le plaisir des spectateurs qui ne connaissent pas encore le film.
S’il n’a pas vieilli, Peau D’Âne est marqué cependant du sceau de la fin des années 60 et annonce les années 70 à venir. Le film est très coloré. Demy n’hésite pas à convoquer les teintes les plus osées dans son film. On y retrouve du bleu, du mauve, du vert, du rose, … Un véritable festival de couleurs comme on n’en prendrait peut-être plus le risque d'en filmer aujourd’hui. Quel feu d’artifice ! C’est aussi ce qui fait la caractéristique du cinéaste Jacques Demy : voilà un artiste qui osait les trucs les plus dingues dans son art, parfois à la limite du mauvais goût, mais sans jamais y céder.
© Ciné-Tamaris
Cet arc-en-ciel cinématographique fait indéniablement partie du charme de Peau d'Âne lorsqu’on le revoit en 2014. On sent que Demy a fréquenté l’Amérique pré-seventies, les hippies, le flower-power ! Les Etats-Unis débarqueront d’ailleurs sur le tournage à Chambord en la personne de Jim Morrison himself, grand ami d’Agnès Varda la compagne de Jacques Demy. Une cinéaste qui veille amoureusement aujourd’hui au patrimoine de son compagnon et se bat avec la société Ciné Tamaris pour la restauration et la reprise de ses films.
N’oublions pas évidemment de dire à quel point la distribution de Peau d’Âne est éclatante. Catherine Deneuve n’a jamais été aussi belle (soyez attentifs aux superbes plans au ralenti lorsqu’elle court dans la forêt). Jean Marais impressionne dans le rôle du Roi bleu. Jacques Perrin est un Prince charmant, charmant. Micheline Presle est tout bonnement délicieuse. Et Delphine Seyrig est divine (pléonasme?) en fée de Lilas.
© Ciné-Tamaris
Autant d’atouts qui devraient achever de vous convaincre de vous rendre en salle pour voir ou revoir ce bijou de notre patrimoine cinématographique.
Mais le mieux, pour cela, est sans doute de laisser la parole à Jacques Demy : « Autrefois, quand j’étais enfant, Peau d’âne me plaisait particulièrement. J’ai essayé de faire le film dans cette optique, par mes yeux, comme ça, quand j’avais sept ou huit ans. »
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Peau D’Âne : Scénario, dialogues, lyrics et réalisation : Jacques Demy, d’après le conte de Charles Perrault (1715) Images : Ghislain Cloquet Bande originale : Musique écrite et dirigée par Michel Legrand Avec Catherine Deneuve : première reine, Peau d'Âne - Jean Marais : le premier roi - Jacques Perrin : Prince charmant - Micheline Presle : la deuxième reine - Delphine Seyrig : la fée des Lilas- 1970 - 85 minutes
