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« Profession du Père » : Benoît Poelvoorde comme vous ne l’avez jamais vu au cinéma

Profession du Père est l’Actu Ciné de cette semaine pour Lille La Nuit. Ce film de Jean-Pierre Améris (Les Émotifs Anonymes) marque les retrouvailles du cinéaste avec son acteur fétiche, Benoît Poelvoorde. Profession du Père est l’adaptation du roman autobiographique de Sorj Chalandon. C’est l’occasion de découvrir un Poelvoorde fantasque, mais aussi carrément flippant, et un comédien belge ultra doué,  le jeune Jules Lefebvre. Profession du Père risque bien de vous surprendre...

Le cinéaste Jean-Pierre Améris

Jean-Pierre Améris est étonnant. Le réalisateur est discret, mais construit, l’air de rien, l’une des filmographies les plus singulières du cinéma français actuel. Il s’inspire souvent de son passé, d’une partie de sa vie, ou de sujets qui le touchent, pour réaliser des films qui lui ressemblent : généreux, tendres (mais pas mièvres), éclectiques. Aussi, celui qui fut un timide maladif réalisa Les Emotifs Anonymes ou Je vais mieux (avec un Eric Elmosnino atteint d’un mal de dos terrifiant) …

Le choix d'adapter un livre

Avec Profession du Père, Jean-Pierre Améris adapte le livre puissant de Sorj Chalandon. Le réalisateur nous plonge dans le Lyon (la ville natale d’Améris) des années 60, mais l'histoire pourrait se dérouler dans n'importe quelle autre ville. On y fait la connaissance d’Emile, un gamin embarqué dans les délires d’un père aux graves problèmes psychologiques et psychiatriques. André est tout à la fois mythomane, histrionique, mégalomane. Il pratique les violences morales autant que physiques, sur sa femme Denise (merveilleuse Audrey Dana) et sur son fils. Lâche, il confie à son garçon des missions délirantes et dangereuses, toutes liées à son obsession d’une Algérie française, et à sa haine du Général De Gaulle. Encore une fois, Jean-Pierre Améris ne réalise pas ce film par hasard. Il fait le choix de l’adaptation du roman de Chalandon, car, comme l’auteur du bouquin, il a grandit dans une famille dysfonctionnelle, dominée par un père violent. Pour autant, Améris n’en fait pas un pensum tire-larmes et misérabiliste.

André (Benoït Poelvoorde) confie à son fils Émile ( Jules Lefebvre) des missions toutes plus délirantes les unes que les autres.

Style et ambiances

Jean-Pierre Améris aime traiter de tous les genres et sujets (L’Homme qui rit, d’après Victor Hugo, était sous les influences de Tim Burton et Tod Browning, le cinéaste de Freaks), adapte la forme de ses films aux thèmes qu'il aborde.  Ainsi, le réalisateur travaille les couleurs et tons de Profession du Père. La lumière y est souvent chaude, tout comme les décors. Rien n’est laissé au hasard : meubles, papiers peints, voitures (toutes américaines). Comme l’histoire est souvent noire, Améris ne la surligne pas au stabilo. Cela serait contre-productif. Dans ce film, filmé quasi intégralement à travers le regard de l'enfant,  Améris déréalise les ambiances. Les missions délirantes confiées par André au jeune Émile, sont tournées comme des films d’espionnage, avec un baroque qui renvoie au cinéma expressionniste.

Une séquence où le père dévoile toute sa lâcheté.

Etonnant et terrifiant Poelvoorde

La folie d’André, pourrait être celle d’un personnage de film d’épouvante. Benoît Poelvoorde, à sa façon, est un vampire, qui pompe l’énergie, aspire les fluides, de son épouse et de son gamin. La propension qu’à son fils de le suivre dans ses élucubrations les plus folles, le nourrit. On savait l’acteur (originaire de Namur) capable de nous inquiéter. Il l’avait déjà fait dans le rôle d’un tueur en série pour le film d’Anne Fontaine, Entre ses mains (2005). Mais il y était un poil monolithique. Dans Profession du Père, Poelvoorde, en confiance (il a tourné Les Emotifs Anonyme, et Une Famille à Louer avec Améris), se lâche, tout en dosant ses effets. Loin de certaines outrances et cabotinages dont il a le secret, Poelvoorde livre une composition toute en nuances. Qui est cet homme sur lequel le spectateur peut se projeter ? On ne sait jamais si on doit aimer ou détester André. C’est ce qui rend ce personnage inquiétant. Améris montre un Poelvoorde tel qu’on ne l’a jamais vu. Le comédien accepte de laisser filmer une part d’ombre qui l’habite sans doute. Dans le film, il est l’égal d’un Depardieu des grands jours.

L'amour de Denise (Audrey Dana) pour son fils Émile (Jules Lefebvre).

La révélation Jules Lefebvre

Devant un tel monstre, il fallait trouver le jeune comédien qui pourrait faire face à Poelvoorde, l’affronter (le film raconte l’amour contrarié d’un père et de son fils, mais aussi l’histoire d’une confrontation, puis d’un combat, avant une hypothétique réconciliation). Jules Lefebvre, qui incarne Emile, est impressionnant de maturité. Quand il met en joue son père avec un révolver, il sidère. Sûr qu’il faudra compter avec ce jeune acteur dans les années à venir.

Portrait d'une certaine France

Derrière le conte, la fable tragi-comique à l’italienne, il y a aussi, en creux, le portrait d’une France et de ses démons. L’air de ne pas y toucher, Jean-Pierre Améris nous parle d’une époque, dont les évènements continuent d’avoir des répercussions sur notre temps. La seconde guerre mondiale, la guerre d’Algérie, la place de la femme dans la société, nourrissent ce film. Dans chacun de ses longs-métrages, Jean-Pierre Améris évoque des thèmes graves. Profession du Père n'y échappe pas. Mais Améris a l’élégance de tirer ses personnages vers le haut, et de les raconter au sein d'une œuvre populaire. Contrairement à certains cinéastes, il ne les méprise pas. Cet homme est un humaniste. Profession du Père est sans doute son meilleur film.

Les infos sur Profession du Père

Synopsis : Emile, 12 ans, vit dans une ville de province dans les années 1960, aux côtés de sa mère et de son père. Ce dernier est un héros pour le garçon. Il a été à tour à tour était chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d'une Église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle. Et ce père va lui confier des missions dangereuses pour sauver l’Algérie, comme tuer le général.

Profession du Père de Jean-Pierre Améris
Scénario : Jean-Pierre Améris, Murielle Magellan

D'après le roman de Sorj Chalandon
Avec Benoît Poelvoorde, Audrey Dana, Jules Lefebvre...

Durée : 1h45
Sortie le 28 juillet 2021

Visuels : Ad Vitam / Photos : © Caroline Bottaro / Curiosa FIlms

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