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Saint Laurent : Bonello signe un anti-biopic somptueux avec Gaspard Ulliel

Synopsis de Saint Laurent : 1967-1976. La rencontre de l’un des plus grands couturiers de tous les temps avec une décennie libre. Aucun des deux n’en sortira intact.

Critique : D’emblée, évacuons les questions que spectateurs et cinéphiles se posent : Oui, Saint Laurent est le deuxième film consacré au créateur mythique de haute couture -mais le premier projet a avoir été initié-. Oui, cette deuxième version a sa place tant elle se situe aux antipodes du film de Jalil Lespert. Non, nous ne nous prononcerons pas sur la meilleur interprétation de Yves Saint Laurent, ni sur celle de Pierre Bergé. Après tout, nous ne sommes pas là pour mettre dos à dos le travail d’acteurs qui se sont lancés corps et âme dans une folle entreprise. On ne jouera pas non plus au jeu des sept erreurs. On ne débusquera pas les ressemblances entre les deux films. Il y en a quelques-unes forcément, puisque les deux longs-métrages parlent du même homme.

En revanche, allons-y pour parler du film de Bertrand Bonello, cinéaste estimé de beaucoup, qui nous a offert le très beau L’Apollonide - Souvenirs de la Maison Close. Saint Laurent est une commande qui a été soumise à Bonello par des producteurs. Le film est-il pour autant impersonnel ? Certainement pas, loin s’en faut. Comme tout vrai cinéaste, Bonello s’est lancé dans le projet Saint Laurent avec l’espoir de créer une œuvre personnelle, forte, qui dépasse le cadre du simple Biopic (dire qu’il n’aime pas le genre est un euphémisme). Avec l’espoir, aussi, de faire du CINÉMA qui raconte tout autant l’histoire d’un homme, d’un artiste, que celle de son époque.

Dès les tous débuts du film, Bonello casse les codes du Biopic, les fait voler en mille éclats. Nous n’assistons pas à un récit balisé, à l’écriture académique. Le cinéaste fait un sort aux figures imposées du genre : le récit n’est pas linéaire, le film n’est pas un défilé de sosies de personnalités qui apparaissent à intervalles réguliers pour flatter la fibre people des spectateurs. De tout cela, Bonello n'en a cure. Et très vite, on voit se dessiner sous nos yeux le projet intime du metteur en scène : se saisir de la vie de Yves Saint Laurent, de ses proches, de ses intimes, de la décennie 67-76 pour créer une œuvre romanesque, opératique, courageuse, sensuelle, brutale, violente, dure, émouvante, sensible, intransigeante, …

Bonello n’est pas cinéaste à faire de cadeaux à ses personnages. Il ne les déteste pas, on est même certain qu’il les aime. Mais complaisant avec eux, jamais il ne l'est. Aussi, ne fait-il pas de Saint Laurent une icône intouchable mais un homme avec ce que cela comporte de lâchetés, de faiblesses,  de bassesses, de forces, de trahisons aussi. Il en va de même pour Pierre Bergé qui apparaît tout autant dans le film comme celui qui a « fait » et soutenu Saint Laurent mais l’a aussi « exploité ». Tous les autres protagonistes du film sont traités de la même manière. Bonello n’élude pas les rapports  avec l'argent -très longue mais nécessaire séance de négociations entre Bergé et des investisseurs-, la décadence, les orgies, les perversions, la drogue, la déchéance physique et mentale… Mais jamais il n'est complaisant, s’arrêtant toujours à la limite de ce qui aurait pu virer au voyeurisme malsain. D’ailleurs, si Bonello est fasciné par la mort (elle plane sur tout le film, nous y reviendrons), il saisit aussi de merveilleux moments de vies, filme somptueusement les étoffes, le travail du créateur, celui des « petites mains ».

Le film d'un artiste sur un artiste © 2014 Mandarin Cinéma – Europacorp – Orange Studio – Arte France Cinéma – Scope Pictures / Carole Bethuel

Le film d'un esthète sur un esthète

 

Le film s’intitule Saint Laurent mais il pourrait tout aussi bien retracer le destin d’un personnage imaginaire. Ce n’est pas un défaut, au contraire. C’est bien la preuve que Bonello a transformé la commande en une œuvre personnelle et intime. Car au fond Saint Laurent est le film d’un esthète sur un esthète. Il y a sans doute un effet miroir dans cette réalisation. On se souvient de la fameuse phrase -paraît-il jamais prononcée- de Gustave Flaubert, « Emma Bovary, c’est moi ». Bonello pourrait dire la même chose : « Saint Laurent, c’est moi ». Il en va de même pour tous les grands créateurs. Un artiste se raconte tout autant par le sujet ou les thèmes qu’il aborde que par la manière qu’il a de les traiter.

La reconstitution de l’époque est parfaite, quasi chirurgicale. Le cinéaste va même jusqu’à la filmer avec de la pellicule 35mm, ce que la profession du cinéma ne fait quasiment plus. Il retrouve ainsi l’image, l'imagerie, les souvenirs, que nous avons d’une époque à jamais révolue. Rendons grâce à la superbe photographie de Josée Deshaies, aux décors de Katia Wyszkop, aux costumes d'Anaïs Romand (qui a dû reconstituer deux collections de Saint Laurent sans avoir accès aux archives de la Fondation Bergé Saint Laurent).

Bonello s’emploie à aborder différentes formes d’écritures cinématographiques, toujours cohérentes. L’utilisation du split screen - écran divisé en plusieurs parties comme dans L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison, L’étrangleur de Boston de Richard Fleischer ou Phantom of the Paradise de De Palma - n'est pas une coquetterie visuelle. Cette technique de réalisation très courante dans les années 60 et 70, a quasi disparu du cinéma d’aujourd’hui. Pour Bonello, cette confrontation de plusieurs images permet de montrer comment l’âge insouciant du Flower Power laisse peu à peu sa place à une époque noire, cruelle, violente, sanglante. Une façon de montrer aussi une maison Saint Laurent, en vase clos, qui se protège d’un monde au bord du gouffre. A moins que le cinéaste ne nous dise que derrière ces étoffes, cette perfection, la beauté des femmes, l’insouciance et la légèreté apparentes se dissimulent la violence, la solitude, le désespoir, la folie de Yves Saint Laurent.

D’autres idées géniales parcourent le film. Il y a celle qui associe Yves Saint Laurent à Marcel Proust. Le créateur est fasciné par l’auteur de A La Recherche du Temps Perdu. Comme lui, il est homosexuel. Comme lui, il porte un regard impitoyable, souvent cynique, sur ses contemporains. Comme lui, il est un artiste qui révèle au monde sa beauté. Bonello filme une époque qui s’achève et une autre, moins flamboyante, plus mercantile, cynique et vulgaire qui commence. A la fin du film, Saint Laurent ne lit plus Marcel Proust, il feuillette Voici, regarde des photos de Mylène Farmer...

Helmut Berger ou Saint Laurent? Saint Laurent © 2014 Mandarin Cinéma – Europacorp – Orange Studio – Arte France Cinéma – Scope Pictures / Carole Bethuel

Helmut Berger ou Saint Laurent ?

 

Une autre idée géniale de Bonello, est d’être allé chercher Helmut Berger pour interpréter Saint Laurent en 1989. L’acteur draine derrière toute la mythologie du cinéma de Luchino Visconti, auquel il a fait don de son aristocratique, androgyne et fantomatique silhouette dans des films comme Les Damnés (qui montre la décadence et la chute d’une grande famille allemande fascinée par le nazisme) ou Ludwig Le Crépuscule des dieux (qui évoque les destins tragiques de Louis II de Bavière et de L’Impératrice Sissi). Mais Berger n’incarne-t-il pas également la parabole d’un jeune Saint Laurent déjà mort ? Quelle terrible image, cruelle, que celle de Saint Laurent (ou de Helmut Berger, on ne sait plus) étendu sur son lit comme un gisant, visionnant Les Damnés sur une mauvaise copie VHS.

Des formes de cinémas disparues, un cinéaste qui refuse le numérique pour retrouver la quasi défunte pellicule argentique, de petits chiens ridicules qui pourraient être les descendants des animaux de compagnie de lointains souverains d’Europe, la Haute Couture qui cède la place au prêt-à-porter, des « fins de race » perdues dans une époque qui n’est décidément plus la leur, des acteurs vieillissants, des créateurs et leurs "créatures" qui se meurent, la drogue qui transforme ses victimes en morts-vivants, le SIDA qui fait ses premiers ravages, ... Tristes lendemains de fêtes. On vous l’a dit, la mort plane sur tout le film de Bertrand Bonello, au sens propre comme au sens figuré.

Ainsi, Saint Laurent est un opéra baroque, une tragédie grecque morbide. La parenté avec Visconti n’en est d’ailleurs que plus forte : car le cinéaste de Mort à Venise, lui aussi obsédé par la figure de la mort, fut également metteur en scène d’Opéra et de Théâtre.

Gaspard Ulliel incandescent dans le rôle de Saint Laurent © 2014 Mandarin Cinéma – Europacorp – Orange Studio – Arte France Cinéma – Scope Pictures

Gaspard Ulliel incandescent dans le rôle de Saint Laurent

 

Un dernier mot, tout de même, sur les acteurs du film : Gaspard Ulliel est un incandescent et pathétique Yves Saint Laurent. Il agace autant qu’il émeut, scandalise autant qu’il apitoie. Ulliel sidère par la précision de son jeu. Jamais il ne fait une mauvaise imitation du couturier. Il ne tombe jamais dans l’outrance, mais incarne Saint Laurent avec fièvre. L'acteur est tout simplement prodigieux et semble avoir trouvé le rôle de sa vie (on lui en souhaite beaucoup d’autres). Quant à Jérémie Renier, en Pierre Bergé, et Louis Garrel, en Jacques de Bascher, ils impressionnent car ils échappent à la mauvaise caricature qu’ils auraient pu faire de leurs personnages. On ne tarira pas d’éloges non plus sur Amira Casar, éblouissante dans le rôle de Anne-Marie Munoz, la directrice du studio haute couture de Saint Laurent.

Bonello a fait de son film une grande fresque romanesque. Quoi de plus logique quand on se penche sur un personnage hautement romanesque, direz-vous. Encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions. A n'en point douter Bertrand Bonello était le bon choix. Le meilleur. Peut-on considérer son film comme un chef-d’œuvre ? Ne soyons pas présomptueux, l’avenir nous le dira. Mais à Lille La Nuit nous prenons le pari que Saint Laurent occupe déjà bel et bien une place à part dans l’histoire du cinéma français.

Gagnez des places et des affiches du film Saint Laurent sur Lille la Nuit.

Film-annonce et affiche © Europacorp
Photos : © 2014 Mandarin Cinéma – Europacorp – Orange Studio – Arte France Cinéma – Scope Pictures / Carole Bethuel

Saint Laurent - Sortie salles : 24/09/2014 Genre : Film biographique Réalisateur : Bertrand Bonello- Scénario : Bertrand Bonello et Thomas Bidegain - Musique : Bertand Bonello - Casting : Gaspard Ulliel, Jérémie Rénier, Louis Garrel, Léa Seydoux, Amira Casar, Aymeline Valade, Helmut Berger, Micha LescotValeria Bruni TedeschiValérie DonzelliJasmine TrincaDominique Sanda, ...-  Durée : 2h30

Saint Laurent a été pré-sélectionné par la France pour concourir à l'Oscar du meilleur film étranger. Souhaitons au film de Bertrand Bonello d'être retenu pour la cérémonie qui aura lieu le 22 février 2015 à Los Angeles. Fin du suspense: début 2015 !

Exposition Bertrand Bonello, Résonances au Centre Pompidou à Paris. 

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