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Sonita : Quand une jeune rappeuse afghane se bat pour les droits des femmes !

Le choix cinéma de Lille La Nuit cette semaine se porte sur Sonita. Comment pouvait-il en être autrement ? Voilà un film lumineux et revigorant. Musical, féminin et féministe. Réalisé par la cinéaste iranienne Rokhsareh Ghaem Maghami, Sonita nous fait découvrir le combat en Iran d’une jeune rappeuse afghane pour avoir les mêmes droits que les hommes. Lille La Nuit vous livre sa critique du film et vous fait partager sa rencontre avec Rokhsareh Ghaem Maghami.

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Pour Sonita, il sera impossible de se taire !

 

Critique : Après la projection de Sonita, on a presque l'impression d'avoir vu un Rocky au féminin. Sauf que la boxe y serait remplacée par le Rap. Un vrai Feel Good Movie avec en lieu et place des décors de Philadelphie, ceux de l’Iran et de l’Afghanistan.

Or, tout ce qui est filmé dans Sonita est vrai puisqu'il s'agit d'un documentaire - même si la cinéaste nous livre forcément son regard subjectif de documentariste -.

Sonita Alizadeh a immigré en Iran. Son rêve est de faire de la musique et de chanter. Ses parents imaginaires sont Michael Jackson et Rihanna. Le hic, c’est que dans un pays islamiste comme l’Iran, l’adolescente n’a pas le droit de pratiquer son art. Il lui faudrait payer 1000 dollars pour interpréter une seule chanson et obtenir un permis pour avoir le droit de rapper. Mais cette règle ne s’applique qu’aux hommes, une femme n’ayant pas le droit de chanter en public.

Devant la caméra de Rokhsareh Ghaem Maghami, la gamine va se battre pour dénoncer dans ses chants le quotidien difficile de jeunes filles auxquelles les familles imposent des mariages forcés (avec des hommes parfois âgés de 80 ans).

Même si l’on sait que des femmes pratiquent le cinéma en Iran, on reste tout de même étonné que ce film soit réalisé par une iranienne (d’autant plus que Rokhsareh Ghaem Maghami s’attaque dans Sonita à des sujets extrêmement épineux en Iran).

Rokhsareh Ghaem Maghami : « Après le changement de Régime, la révolution islamique, les femmes ont pris beaucoup de place dans le cinéma iranien mais surtout dans un cinéma racontant des « histoires ». Parmi lesquelles Tahmineh Milani et Rakhshān Bani E'temād. Certains de leurs films furent projetés à l’étranger. En fait, 25 % de la production cinématographique iranienne est faite par des femmes. La première fois que j’ai eu l’occasion d’aller au cinéma, j’ai visionné le film Bashu, Le Petit étranger (Bahram Beizai – 1985). Ce film m’a donné une autre vision du cinéma et m’a fait comprendre que le cinéma peut être un art. Ensuite, je me suis familiarisé avec le cinéma étranger, les films de Bergman et Tarkovski. Le cinéma était divisé en catégories : « art et essai » et « cinéma populaire ». En Iran, on ne voyait pas trop le cinéma populaire, plutôt des films de ciné-clubs. Les films que les gens allaient voir étaient en dehors du marché américain, hollywoodien. J’ai décidé d’aller dans une école de cinéma à Téhéran ».

Aucun doute : Sonita est traversé par un vrai regard de cinéaste - le documentaire étant, rappelons-le, un genre cinématographique à part entière -.

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Sonita, porte-parole de jeunes filles réduites au silence.

 

Toujours pudique, avec un grand sens de l’écoute, Rokhsareh Ghaem Maghami fait de vrais choix cinématographiques. Et pose une question forte liée à sa déontologie de documentariste :

« Tout au long du tournage du film, la question principale était « Quelles sont mes limites d’interventions ? ». Si j’interviens dans la vie privée de cette jeune fille, où cela s’arrêtera-t-il ? C’était vraiment l’un de mes soucis constants. Fallait-il y aller ? Ou ne pas y aller ? » Questions que la cinéaste se pose ouvertement dans le film.

Nous ne dévoilerons pas les choix pris par Rokhsareh Ghaem Maghami. Tout juste pouvons nous dire qu’en sortant de son strict rôle de réalisatrice - en apparaissant dans le champ de la caméra - Rokhsareh Ghaem Maghami devient un personnage de son film. Situation qu’elle n’avait pas prévu au départ.

Mais Sonita est avant tout le portrait d’une jeune fille.

Il a fallu du temps à Rokhsareh Ghaem Maghami pour l’approcher, construire une relation de confiance 

« Au début de cette relation, Sonita voulait entrer dans une rapport de pouvoir avec moi. Il y avait un manque de confiance qui a disparu au fur et à mesure. La confiance s’est installée mais cela a pris du temps. »

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Sonita revient chez elle, en Afghanistan. L'une des scènes fortes du film.

 

Un travail payant à l’image puisque le spectateur devient le témoin de scènes intimes, émouvantes et fortes. Un exemple : lorsque Sonita rentre chez elle en Afghanistan, Nous sommes émus de voir un petit gamin chanter par cœur les textes engagés et féministes de la jeune rappeuse. Cette petite graine plantée va-t-elle germer ?

Rokhsareh Ghaem Maghami : « Je suis sûre qu’une évolution existe pour les femmes. Mais en Afghanistan, c’est très long, très long. Et il ne faut jamais négliger le pouvoir des médias dans ce pays qui fait barrage aux changements dans ces domaines. Mais cette évolution existe et ça continue ! »

Nous avons posé une dernière question à Rokhsareh Ghaem Maghami : Comment ces jeunes gens peuvent-ils écouter de la musique américaine dans des pays islamistes ?

« En Iran, les médias, internet, sont évidemment censurés, contrôlés ! Mais les gens qui ont envie d’écouter cette musique y arrivent de toute façon. Par l’intermédiaire de trafiquants qui ramènent les musiques étrangères. Pas seulement américaines : toutes les musiques étrangères ! Les films aussi. Cela circule. Celui qui a envie d’écouter quelque chose ou voir quelque chose en Iran, le fait ! »

Récompensé par les Prix du Jury et du Public au Festival 2016 de Sundance - créé par Robert Redford -, Sonita est un gros coup de cœur pour Lille La Nuit. Voilà un film d’utilité publique, qui peut également nous servir de miroir et faire réfléchir sur les trop nombreux combats que doivent encore mener les femmes en Occident.

Synopsis : Si Sonita, 18 ans, avait eu son mot à dire, elle aurait comme parents Michael Jackson et Rihanna. Réfugiée afghane clandestine en Iran, elle habite depuis dix ans dans la banlieue pauvre de Téhéran. Sonita rêve de devenir une artiste, une chanteuse en dépit des obstacles auxquelles elle est confrontée en Iran et dans sa famille. En effet sa mère lui réserve un tout autre destin : celui d’être mariée de force et vendue pour la somme de 9000 dollars. Mais Sonita n’entend pas se soumettre : téméraire et passionnée, elle bouscule les codes de cette culture conservatrice et décide de se battre pour vivre sa vie.

Sonita de ROKHSAREH GHAEM MAGHAMI
avec SONITA ALIZADEH
Allemand/Iranien/Suisse, 91 min
Sortie le 12 octobre 2016

Affiche, photos et film-annonce © Septième Factory

 

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