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Sorties du 13 juin : A l’intérieur

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A l’Intérieur
Réalisé par Julien Maury, Alexandre Bustillo
Avec Alysson Paradis, Béatrice Dalle, Nathalie Roussel
Durée : 1h 20min

On le sait bien. Le cinéma d’horreur n’a jamais été un genre prolifique dans l’Hexagone. Les tentatives de percées sont rares et le bilan est souvent sans détour : ils sont ratés ou ne rapportent pas assez. Pourtant, les essais se multiplient et les essais sont transformés ! Saint-Ange et Maléfique. Calvaire et Haute Tension. Tous explorent des univers rarement foulés par le pied de réalisateurs gaulois. Les films sont remarqués, parfois encensés, mais souvent bouder par le public. Les metteurs-en-scène galèrent alors pour monter le projet suivant. Ou bien, ils s’en vont. Là où l’herbe est plus verte. C’est le cas d’Alexandre Aja, remarqué par Wes Craven après son corsé Haute Tension. En réalisant le remake de La Colline a des yeux, Aja prouve non seulement son savoir-faire mais que ses films peuvent être rentables.
Pendant ce temps… En France, deux jeunes réalisateurs s’inscrivent dans son sillon, secouant le pays de la comédie et du film d’auteur, avec A l’Intérieur…

Depuis la mort tragique de son mari dans un accident de voiture, Sarah vit sa grossesse dans la solitude et l’amertume. Malgré le soutien de ses proches, elle décide de passer Noël seule dans sa maison. Le lendemain, elle est supposée se rendre à l’hôpital pour provoquer l’accouchement car l’enfant ne veut pas sortir. Mais pour cela elle devra survivre à une nuit de terreur : une femme pénètre dans sa maison, prête à tout pour arracher le bébé qu’elle porte en elle…

Même si l’héroïne est une femme enceinte, A l’Intérieur n’a rien à voir avec le délire gore de Baby Blood, et ce n’est pas non plus le remake de Rosemary’s Baby. Mais c’est peut être un savant mélange entre gore et fantastique !
Comme beaucoup de films d’horreur, le scénario est un prétexte parmi tant d’autres pour déclencher la mise-en-scène de la peur. (D’où la répétition et la reprise systématique du même pitch pour un pan incalculable de ces films : le groupe de jeune qui se paume dans une campagne hostile pour ne citer qu’un seul exemple).
Ici, l’histoire d’une femme enceinte qui vit seule chez elle, loin de tout, et qui se fait agresser par une inconnue déterminée à lui dérober son enfant se traduit par la peur primale de l’autre qui s’introduit violemment dans notre intimité. Ce sentiment s’illustre à différents niveaux, un peu comme un jeu de poupées russes, puisque cette angoisse de l’intrusion se traduit d’abord par l’effraction de la maison avant de se prolonger à travers la volonté de cette femme à pénétrer le corps de Sarah en lui arrachant son enfant. L’intérêt de ce genre de films se trouve alors moins dans ce qui nous est montré, que dans la manière de nous le montrer.
Mais le pari est-il tenu ?

Pour nous raconter cette légende urbaine, Maury et Bustillo convoquent rapidement Béatrice Dalle (qui s’impose comme une évidence) avant de trouver leur héroïne-victime sous les traits d’Alysson Paradis dans son premier grand rôle.
Le risque d’interpréter un personnage comme celui de Sarah, c’est d’abord de jouer sur le terrain des grandes Scream Queens telles Jamie Lee Curtis (Halloween) : difficile de rester crédible en interprétant la peur sur tout un film sans être redondant. Si on ajoute à cela un handicap supplémentaire (sa grossesse) et un élément dramatique de plus (défendre la vie de son enfant en plus de la sienne), on comprend l’envergure que cela peut prendre ! Sans atteindre le charisme d’une Cécile de France (Haute Tension donc) Alysson se défend bec et ongles dans ce jeu éprouvant (courses, pleurs, combats…).
Pour ce qui est de Béatrice Dalle, elle joue du côté du croquemitaine, de Mickael Myers et de Dracula, et elle l’accomplit avec brio ! Sa folie se révèle aussi complexe que physique (crise de nerfs, de colère et de violence) sans pour autant sombrer dans la caricature. Béatrice Dalle doit faire peur et elle le fait en un regard.
Le bémol vient plutôt des seconds rôles, desservis par des dialogues fades et sans grand intérêt. Dans ce registre, François Régis Marchasson parvient à donner un peu de crédibilité à son personnage, contrairement à Dominique Frot qui cabotine en infirmière nihiliste. Nathalie Roussel dans le rôle de la mère de Sarah n’est pas suffisamment présente (dans tous les sens du terme). Quant aux flics, ils n’incarnent rien de plus qu’une fonction.
En toile de fond, et pour renforcer l’idée de cette angoisse claustro qui pousse les gens à s’enfermer chez eux, Bustillo choisi le contexte des émeutes des banlieues de 2005. Si le constat est le même pour le personnage d’Abdel que pour celui des policiers, il donne lieu malgré tout à une séquence digne d’Argento, où l’on nous montre l’un des visages oubliés des émeutes : celui d’un gamin.

Le film se présente en trois actes assez distincts : le premier s’inscrit dans un contexte réaliste qui nous montre la manière dont l’héroïne vit sa grossesse tout en portant le deuil du père de l’enfant. Le deuxième s’appuie sur le mystère que dégage la femme qui cherche à entrer et ses apparitions fantomatiques. Le troisième laisse libre-court à la détermination refoulée de la femme qui explose en une fureur primaire, révélant le monstre qui se cache derrière ce visage humain.
Les réalisateurs ne reculent alors devant rien pour mettre en scène ce qu’il raconte. Il est question de faire un film d’horreur sans concession qui doit exténuer le spectateur et le pousser dans ses derniers retranchements. Ni humour vaseux distancié ni censure donc. Et Bustillo de dire : « Les producteurs avaient la même volonté que nous d’aller jusqu’au bout. Faire un film d’horreur totalement assumé… et qui ne se dégonfles pas à la dernière minute ! ». Forts de ce soutien, c’est avec une certaine jubilation que les deux compères rentabilisent les 400 litres de faux sang commandés par la production !
Le parti-pris de la photographie ne sera pas du goût de tout le monde : l’utilisation du vert et du blanc pour faire ressortir le sang crée notamment dans certains plans une atmosphère brumeuse, presque opaque. Pourtant, elle permet de créer un climat étouffant, faisant de cette maison un cocon aussi peu rassurant que le ventre d’une mère qui se fait agresser. Un lieu capable de dissimuler le mal dans chaque recoin : à ce propos, on observe un très joli plan où la silhouette fantomatique de la Femme apparaît mystérieusement en arrière plan de Sarah, par le biais d’un mouvement fluide, presque aérien de la caméra. L’idée de montrer le bébé dans le ventre de sa mère est également intéressante puisqu’elle désigne l’enfant comme la première victime du jeu de massacre des deux femmes (on comprend pourquoi l’enfant refuse de sortir du ventre de sa mère s’il pressent le destin qui lui est réservé !).

L’ultime chapitre bascule dans un autre registre et peut déstabiliser le spectateur : ce qui commençait comme un horrible fait divers se transforme alors en un conte macabre où Béatrice Dalle est plus proche de la sorcière d’Hansel et Gretel que du serial killer. Si la transition est un peu trop grand-guignolesque, on pardonne ces quelques minutes de flottement pour connaître la fin.
Autour de moi, les réactions sont aussi hétérogènes que le public : un groupe de jeunes rit et trouve ça « dégueulasse », d’autres sont outrés et ont de « vives réactions contestataires » (pour rester poli), et une mère de famille juste derrière moi dit avoir adoré !
L’expérience viscérale passée, les images « choc » digérées, le film laisse une empreinte dans l’esprit comme le souvenir d’un cauchemar. Pour ma part, je déconseillerai juste ce film aux jeunes parents qui attendent une naissance proche !
Si A l’Intérieur est un film qui divisera l’opinion, il s’inscrit sans conteste comme une œuvre majeure dans le cinéma de genre français, rejoignant le panthéon des films cités plus hauts. A bon entendeur…

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