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Taj Mahal : Après les attentats, du cinéma qui console, captive et émeut

Synopsis :  Louise a dix-huit ans lorsque son père doit partir à Mumbai pour son travail. En attendant d'emménager dans une maison, la famille est d'abord logée dans une suite du Taj Mahal Palace. Un soir, pendant que ses parents dinent en ville, Louise, restée seule dans sa chambre, entend des bruits étranges dans les couloirs de l'hôtel. Elle comprend au bout de quelques minutes qu'il s'agit d'une attaque terroriste. Unique lien avec l'extérieur, son téléphone lui permet de rester en contact avec son père qui tente désespérément de la rejoindre dans la ville plongée dans le chaos.

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Taj Mahal : Un film de genre qui console de la barbarie.

 

Critique : Après Les Cowboys, nous tenions à évoquer cette semaine dans l’actu ciné de Lille La Nuit, un film se télescopant lui aussi aux récents évènements tragiques qui se sont produits à Paris et Bamako. Certains pourraient nous rétorquer qu’on parle déjà bien assez des attentats, des prises d’otages dans les médias, les journaux, à la TV, chaînes d’infos en continue.

Oui mais voilà, le cinéma ce n’est pas de l’info. Le cinéma c’est le regard d’un artiste sur les événements heureux ou tragiques de la vie, sa vision du monde. Le cinéma est aussi - quand le film et le cinéaste sont bons - un excellent moyen d’observer nos contemporains avec un peu de distance. Le cinéma aide également à échanger, partager, avec nos proches à l’issue d'une projection.

Présenté en avant-première au dernier Arras Film Festival, en présence du producteur Patrick Sobelman et du réalisateur Nicolas Saada, Taj Mahal est le second film de cet ex-critique de cinéma (notamment aux Cahiers du Cinéma, quand c’était bien), grand amateur de musiques de films - auxquelles il a consacré une émission de radio devenue culte : Nova fait son cinéma.

Mais Saada, c’est avant tout le réalisateur d’un premier long qui fit sensation auprès de la critique en 2009 : Espion(s), interprété par Guillaume Canet et Géraldine Pailhas. L’un des films de genre français les plus recommandables de ces dernières années, d’autant plus qu’il avait le bon goût de citer Hitchcock sans se fourvoyer dans une litanie de références mal digérées.

C’est à nouveau le tour de force que Saada parvient à accomplir avec Taj Mahal. Voilà un film qui convoque tout un pan du cinéma des années 50-60 / 70-80. Dans Taj Mahal vous allez découvrir Louise, - incarnée par la magnétique Stacy Martin -, une jeune femme qui ressemble à s’y méprendre à l’actrice Jessica Harper lorsque cette dernière était plus jeune. Si on ajoute à cela le décor baroque d’une chambre, des flammes, une mise en scène qui déréalise certaine situations au point de faire basculer le spectateur vers le fantastique, il n’est pas interdit de penser que Saada s’est inspiré pour certaines séquences de Taj Mahal - sans doute inconsciemment - du sublime Suspiria de Dario Argento.

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Taj Mahal : Stacy Martin dans un film qui évoque, par moments, le Suspiria de Dario Argento.

 

Taj Mahal est la preuve qu’un réalisateur peut s’emparer d’un sujet complexe - les attentats de Bombay en 2008 - et réussir à en faire un film digne, important, nécessaire, sans pour autant négliger la forme de son œuvre, remiser au placard sa culture ou ses ambitions esthétiques.

Saada aurait pu filmer Taj Mahal de mille et une façons. Aurait-il dû lui donner l’apparence du cinéma-vérité ? Mettre en scène une grande fresque épique se déroulant à l’intérieur du palace et au cœur de Bombay ? En cinéaste fin et responsable, il n’adopte pas ces choix qui auraient pu s’avérer casse-gueule.

Aussi, plante-t-il une partie de son récit dans la chambre de Louise. Elle ne verra rien. Et par conséquent, nous non plus. La violence des attaques est volontairement laissée hors champ (un traitement du hors champ exceptionnel, fait assez rare pour être signalé). Seuls les sons de l’attaque - impressionnant design sonore - sont entendus, perçus par la protagoniste principale de l’histoire et les spectateurs.

Saada sait très bien qu’il ne peut prétendre à une reconstitution objective de ce qui s’est passé lors de ces évènements. Si Taj Mahal ne trahit pas l’histoire vraie, le cinéaste prend le parti-pris de la filmer du point de vue de l'intime - il se consacre quasi exclusivement à la jeune femme et ses parents -. Option intéressante et même, passionnante.

D’aucuns reprocheront au cinéaste de ne pas filmer davantage les habitants de Bombay. Il est pourtant à bonne distance. Filmer les indiens, dans un film qui adopte la forme d’une œuvre à suspense aurait peut-être été de mauvais goût.

En nous rendant spectateur des heures tragiques vécues par Louise, en nous enfermant avec elle dans sa chambre, Saada crée l’un des plus beaux films d’angoisse de ces dernières années. Cette quasi moitié du film, qui aurait pu sembler une éternité si elle avait été filmée par un tâcheron, est une pure leçon de mise en scène.

Du coup, le film fait peur, permet au spectateur de se confronter à ses propres terreurs, ses interrogations liées aux attentats. Comme un conte pour enfants - Taj Mahal  y fait d'ailleurs penser à plusieurs reprises -  le film propose une expérience cathartique.

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Taj Mahal : Un film esthétique mais jamais esthétisant.

 

Toute l’humanité de Saada se retrouve dans son film. On comprend alors mieux que le cinéaste ait voulu davantage réaliser un film de genre. C’était sans doute la meilleure option pour raconter cette histoire. Être à la lisière de l'épouvante, créer chez le spectateur un état basculant de la peur à la rêverie (le film y parvient) en nous confinant durant quasi cinquante minutes dans cette chambre d’hôtel qui représente clairement l’espace mental de Louise. Beau dispositif que ce huis-clos car il permet d’être en communion avec une victime du terrorisme.

De plus, Saada propose une réflexion passionnante sur le monde, les médias et le regard que nous portons sur eux. Sur le cinéma, aussi. Vous remarquerez dans Taj Mahal que les personnages sont souvent dissimulés derrière des simulacres d’écrans : lunettes de soleil, fenêtres, vitres de voitures. Ces personnages, c’est nous ! Bel hommage au 7ème Art. Et comme les protagonistes de Taj Mahal, nous assistons impuissants à la barbarie humaine.

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Le choix de bons acteurs, c'est déjà le début de la mise en scène : Louis-Do Lencquesain et Gina McKee

 

Enfin, cruelle ironie, alors que les parents (impeccables Louis-Do Lencquesain et Gina McKee) de Louise sont sur place, à Bombay, ils découvrent le déroulement des évènements en regardant une toute autre vitrine : la télévision. Ce n'est sans doute pas un hasard si, dans cette partie du film, Saada bascule dans le cinéma catastrophe. Taj Mahal atteint ici un degré de réflexion supplémentaire, qui en interrogera plus d’un sur le traitement médiatique spectaculaire des tragédies des dernières semaines.

Nicolas Saada a eu le courage de filmer Taj Mahal - une histoire dont on sait qu’elle est arrivée à une proche -. Bac Films, celui de maintenir la sortie du film à la date prévue. Avec cette production impeccable, ses décors de l’Inde filmés à bonne distance, une belle musique de Nicolas Godin - du groupe Air -, Saada signe un film important, qui se double d'un hommage sincère aux victimes de la barbarie et du fondamentalisme. Voilà du cinéma qui console.

*Tourné bien avant les évènements.

Trois questions à Nicolas Saada

- Pourquoi ce film, Taj Mahal ?

Nicolas Saada : « A l'origine du projet, il y a eu cette envie de faire un film tourné sur l'époque. La rencontre en 2011 avec une jeune française qui avait réchappé aux attentats de Mumbai a été déterminante. Je savais que ce récit me donnerait la bonne distance, le bon regard, en m'imposant un vrai point de vue cinématographique sur ce sujet. »*

- Pourquoi lui as-tu donné la forme d'un film de genre, d'un film à suspense ?

Nicolas Saada : « La forme, et les motifs du film se sont imposés d'eux mêmes à mesure que se préparait le film. Je voulais un film tendu, sans violence graphique, qui permettrait au spectateur de ressentir l'expérience que traverse Louise. Assez inconsciemment le style du film, que je voulais épuré, s'est inspiré de cinéastes que j'admire par dessus tout comme Hitchcock et Bresson. Je voulais donner au film une forme qui ne se démoderait pas avec le temps. »*

- Taj Mahal sort alors que viennent d'avoir lieu les attentats à Paris et la prise d'otages d'un hôtel international à Bamako. Comment aimerais-tu que le public reçoive ton film ?

Nicolas Saada : « La brutalité des évènements de ces dernières semaines m'a bouleversé. Taj Mahal n'est pas un docudrame, ni une reconstitution. A travers l'expérience de Louise, je voulais aussi parler du courage et de la détermination de cette très jeune femme. Il y a quelque chose d'universel dans son expérience. Son témoignage est comme celui de tout survivant, important à partager. Parce qu'au delà des débats publics et des joutes oratoires, il faut laisser un espace et donner une voix aux victimes, parfois oubliées ou perdues. »*

*Propos recueillis le mardi 24 novembre 2015

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TAJ MAHAL Un film de : Nicolas Saada
Avec : Stacy Martin, Louis-Do Lencquesaing, Gina McKee et la participation de Alba Rohrwacher
Musique : Nicolas Godin
Directeur de la photographie : Léo Hinstin
Montage : Christophe Pinel
91 minutes
Sortie le 2 décembre 2015
Affiche, Photos et film-annonce © Bac Films

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