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Terre Battue : Sur fond de tennis, le premier film d’un réalisateur originaire de Lille

Synopsis : Résolu à ne plus travailler pour d’autres, Jérôme cherche à monter sa société coûte que coûte, et ce malgré les réticences de Laura, sa femme. Ugo, leur fils de 11 ans, joue au tennis et veut devenir champion. Pour cela, il lui faut intégrer le centre national d’entraînement, à Roland Garros. Comme son père, il est prêt à tout pour arriver à ses fins. Ensemble, Ugo et Jérôme vont apprendre qu’on ne peut pas contourner toutes les règles pour réussir.

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Terre Battue : Le tennis comme métaphore de notre époque.

 

Critique : Lille la Nuit vous propose de découvrir cette semaine le tout premier long-métrage d’un p’tit gars de chez nous, né à Lille, Stéphane Demoustier, grand frère de la jeune actrice Anaïs Demoustier. Précédé de plusieurs courts-métrages récompensés dans de nombreux festivals et d’un documentaire (Les Petits Joueurs) qui décrivaient le parcours de trois enfants qui disputaient les Championnats de France de Tennis des 10-11 ans, Terre Battue se déroule comme son titre l’indique dans l’univers d'un sport que Stéphane Demoustier a bien connu : « J’ai été plusieurs fois champion de ligue et j’ai fait une demi-finale de championnat de France quand j’avais 12 ans. C’étaient les prémisses du haut niveau, avec la question-clé : persévérer ou pas ? Je n’ai pas continué. Pourtant je sais que cette période m’a forgé. » *1

Si le réalisateur s’inspire forcément d’ambiances, de sensations vécues lors de cette période de sa vie, il ne signe absolument pas un film autobiographique. On lui en sait gré. Trop de premiers longs-métrages de jeunes réalisateurs mettent en scène des portraits filmés de leurs auteurs, avec plus ou moins de bonheur. Non, Stéphane Demoustier s’inspire d’un fait divers incroyable survenu il y a quelques années. Souvenez-vous : un père de famille droguait les adversaires de son fils au tennis, pour que ce dernier gagne ses matchs. Un pauvre gamin en était mort et la terrifiante supercherie fut découverte.

Mais Stéphane Demoustier a la bonne idée de s’éloigner du fait-divers pour nous raconter une vraie histoire de fiction, un peu à l’image de ce qu’avait fait Laurent Cantet avec son remarquable L’Emploi du Temps, inspiré en partie de l’horrible et impressionnante affaire Jean-Claude Romand. « Le fait-divers n’a pas été davantage qu’un déclencheur et, surtout, je me suis tenu à distance du fait-divers (...). Je n‘avais pas grand chose à en dire. C’est à dire que le fait divers m’intéressait en cela qu’avec le tennis il se passait quelque chose qui dépassait le tennis et ça m’a conforté dans le fait qu’en parlant de ce sport, je pouvais ne pas parler que de cela (…). Mais je n’avais aucune question à poser autour du fait-divers parce qu’on connaît trop ce schéma-là : c’est un père qui veut réussir par procuration, qui pousse son fils outre mesure et il franchit la ligne. Je trouvais plus intéressant de raconter une autre violence, qui est la violence de parents qui ne partagent pas ou qui ne prennent pas conscience du rêve de leur enfant. (…) J’ai plutôt fait un effort sur ce que moi je connaissais, davantage que d’enquête ». *2

De fait, le cinéaste a la bonne idée d’aller filmer dans des lieux qu’il connaît bien, Villeneuve-d’Ascq principalement, où il a grandi. Ce qui procure un effet de proximité immédiat pour le spectateur. Et ce, même si ce dernier n’est pas originaire du Nord de la France ou n’a jamais mis les pieds dans notre région. Comme le personnage principal interprété par Olivier Gourmet travaille dans le secteur de la grande distribution, Stéphane Demoustier filme des centres commerciaux, parkings (souvent déserts), lieux prosaïques qui font intimement partie de notre vie. La force du premier film de Demoustier, c’est de nous faire pénétrer dans son univers par le décor. Que ce soit les terrains de tennis ou les paysages urbains, on sent qu’un cinéaste est en train de naître au fur et à mesure que le film s’invente sous nos yeux.

Terre Battue:  Jérôme (Olivier Gourmet): un homme, mais aussi un père.

Terre Battue : Jérôme (Olivier Gourmet) : un homme, mais aussi un père.

 

C’est d’autant plus marquant qu’on retrouve un type d’image qui a déserté nos écrans avec l’apparition du cinéma en numérique. Le choix du tournage en 35mm et Cinémascope apporte une densité et une réelle singularité au film. Terre Battue adopte de points de vues esthétiques marqués. L’idée est que nous nous sentions proches des décors, et des personnages. En un sens, Demoustier réalise un film qu’on peut qualifier de quasi « naturaliste ». Et ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si les grands Luc et Jean-Pierre Dardenne se sont intéressés au film et ont décidé de le produire. On pourrait d’ailleurs faire des comparaisons entre Terre Battue et les longs-métrages magnifiques des deux cinéastes belges les plus connus au monde. Ne prenons qu’un exemple : Terre Battue, à l’image du très beau Deux Jours, Une Nuit, est avant tout une œuvre qui décrit un environnement social (même si ce milieu, favorisé au départ, est bien différent de celui du film des Dardenne), la répercussion que peut avoir la perte d’un emploi sur la cellule familiale, l’énergie qu’il faut déployer pour se maintenir à flot, alors qu’on a déjà un genou à terre, et que peu de gens sont là pour vous tendre la main.

La métaphore du match de tennis prend alors tout son sens lorsqu’on découvre le parcours de Jérôme –que Demoustier a eu la grande intelligence de ne pas rendre forcément très sympathique, ce qui en fait un personnage de chair et de sang, et non pas la caricature d’un demandeur d’emploi-, les épreuves qu’il doit affronter dans l’univers du travail, mais aussi dans son couple avec une épouse qui ne le comprend plus et perd pied. Nous suivons parallèlement, les parcours du père et de Ugo, ce fils qui rêve de devenir un grand champion de tennis et d’aller à Roland Garros. Un objectif, au passage, qui est aussi (surtout ?) l’échappatoire d’un gamin qui comprend que le couple de ses parents bat sérieusement de l’aile, que son père indécrottable optimiste -au point d’être parfois à deux doigts de perdre le sens des réalités- est en train de sombrer dans la dépression.

On comprend que le tennis n’est pas le sujet de Terre Battue, c’est une métaphore assez brillante de notre société d’aujourd’hui, souvent dure et cruelle. La métaphore d’un combat. Ce qui n’empêche pas Demoustier de très bien filmer les quelques scènes de matchs du film. Sans être tournées d’une manière trop elliptique, elles concourent à instaurer un climat de suspense, nécessaire à la bonne progression du récit et à la tension que le jeune réalisateur veut nous faire ressentir.

Valeria Bruni Tedeschi et Olivier Gourmet: deux grands acteurs au service d'un premier film.

Valeria Bruni Tedeschi et Olivier Gourmet : deux grands acteurs au service d'un premier film.

 

Un dernier mot sur les acteurs : Valeria Bruni Tedeschi, même si elle tient un rôle relativement « secondaire » en terme d’apparition à l’écran, est une fois de plus d’une grande justesse. Elle apporte fragilité et sensualité à un personnage bien plus complexe et important qu’il n’y paraît. Olivier Gourmet, monumental dans le rôle de ce type qui donne l’impression de courir dans le vide comme un hamster  dans sa roue, prouve une fois de plus qu’il est l’un des plus grands acteurs au monde !

Quant au jeune Charles Mérienne, champion de tennis de sa catégorie en Bourgogne et que Demoustier avait repéré lors du tournage de son documentaire, il est tout bonnement étonnant. Constamment juste, n’étant jamais un faire-valoir des acteurs adultes, il émeut mais surtout, apporte un véritable mystère au personnage de Ugo. Qui est cet enfant ? Que pense-t-il des adultes qui l’entourent ? D’où viennent cette maturité et cet apparent détachement -limite inquiétants- dont il fait preuve ?

« Charles a une vraie profondeur et une grande intensité. Moi c’est ce qui m’a frappé tout de suite quand je l’ai vu (…). Son personnage c’est un mélange de ce que j’ai écrit, mais aussi de ce que lui trimballait. C’est sa nature. Quand je l’ai vu, il avait la nature qu’il fallait. Mon seul enjeu c’est que quand je le filme, sa nature transparaisse. Après, quand vous dites qu’on a l’impression que les évènements glissent sur lui, c’est lié à deux choses. C’est lié à la pratique du tennis où on nous apprend la maitrise de soi, la concentration. Et lui, il a vraiment ça en lui. Dans le film, ce n’est pas parce qu’on apprend à l’enfant à ne pas montrer ce qu’il éprouve, qu’il n’éprouve pas. Au contraire ! On sent tout le temps que ça affleure, qu’il est d’une grande sensibilité mais il ne montre pas. Et puis, c’est le propre de l’enfance. Dans un premier temps, on les met devant les trucs les plus insolites et ils les acceptent. (…) Les gens qui ont vu Charles m’ont dit : « C’est incroyable : on dirait toi quand t’étais petit ! » Mais c’est moi en mieux. Il est plus rapide que je n’étais. Il est plus vif. Il est plus malin que je n’étais. Il a plus de charme. On s’est très bien entendus car je pense qu’on se ressemble un peu. On a des points communs dans le caractère. Moi j’étais comme ça : je gardais tout et pourtant, ça bouillonnait. Et puis j’explosais comme lui». *2

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Charles Mérienne apporte émotion et mystère à son personnage. La révélation du film !

 

Terre Battue est une fort jolie surprise du jeune cinéma français. Avec Stéphane Demoustier, le tennis a peut-être perdu un grand joueur ; mais le cinéma a gagné un auteur plus que prometteur. L’avenir nous le dira mais Lille La Nuit parie sur la belle progression de ce jeune cinéaste très sympathique. Bref, pour résumer, Terre Battue : on recommande !

1 - Propos issus du dossier de presse du film. 

2 - Propos issus de l'entretien accordé à Lille La Nuit par Stéphane Demoustier, le 11 décembre 2014 à Lille. 

Terre Battue : Réalisation : Stéphane Demoustier - Scénario : Stéphane Demoustier - Collaboration au scénario : Gaëlle Macé - Image : Julien Poupard Avec : Olivier Gourmet, Valeria Bruni Tedeschi, Charles Mérienne

Film-Annonce et affiche : © Diaphana Distribution - Photos : © Les Films Velvet

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