Synopsis: Jean, électricien, pose des alarmes dans des demeures du sud de la France. Il y rencontre Aurore, célèbre pianiste. Malgré leurs différences, ils tombent immédiatement amoureux l’un de l’autre et envisagent ensemble une autre vie. Jean veut quitter Dolorès, sa compagne de toujours. Mais celle-ci est prête à tout pour le garder...
Photo © Pascal Chantier-Pyramide Films
Critique : Pour beaucoup, Emmanuel Mouret représente un cinéma quelque peu bourgeois. Il suffit de lire sur Facebook, les commentaires étranglés de certains cinéphiles (ou qui prétendent l’être) au sujet de son dernier long-métrage, Une Autre Vie. Mouret serait une sorte de parangon du cinéma intello-bobo français dans tout ce qu’il y a de plus caricatural. Funeste erreur ! Il ne faut pas que les défenseurs du cinéma de genre et de divertissement (dont nous sommes de farouches partisans) passent à côté de ce réalisateur foncièrement intéressant. Passionnant même ! Car depuis le début de sa carrière, Mouret réalise, lui aussi, du cinéma de genre. Oh bien sûr, il ne s’aventure pas dans le cinéma d’horreur, d’épouvante, de science-fiction, d’aventures, ... Mais il a réalisé des comédies efficaces et drôles (au ton souvent absurde) comme Un Baiser s'il vous plaît . Et prend le risque avec Une Autre Vie d’aborder un nouveau genre, hélas encore trop méprisé, le mélodrame. Voilà donc un cinéaste ouvert sur de nombreuses formes de cinémas. Peut-être que certains devraient arrêter de se fier aux bandes-annonces, à quelques critiques trop « orientés » ou de mauvaise foi. Mouret a compris qu’il n’y a pas de mauvais cinémas. Il n’y a que de bons ou mauvais films. Alors, de grâce, ne soyons pas sectaires.
Photo © Pascal Chantier-Pyramide Films
Avec Une Autre Vie, il quitte donc (provisoirement ?) ses délicieuses comédies de marivaudage pour traiter d’une histoire d’amour sous la forme d’un mélodrame que n’auraient pas renié certains grands maîtres du genre comme John M. Stahl ou Douglas Sirk (dont Mirage de la Vie, remake d’un film de Stahl, est un chef d’œuvre absolu).
Dans le dossier de presse de son film, Emmanuel Mouret explique son envie d’aborder le mélodrame: "Dans mes films précédents la gravité était cachée, déguisée, à peine suggérée, ici elle est beaucoup plus frontale. Au cinéma, selon moi, le problème de la gravité, c’est qu’elle impose le respect, elle demande au spectateur une bienveillance, et cette bienveillance il faut la payer en retour, c’est-à-dire donner quelque chose à voir qui ne soit pas un simple défouloir émotionnel."
Mouret a donc souhaité ne plus passer par le filtre de la comédie pour aborder le thème de l’amour de manière plus directe. Cela dit, il serait un peu faux de résumer Une Autre Vie au seul genre mélodramatique. Car Mouret fait sourdre une véritable inquiétude dans son film. A plusieurs reprises, on bascule dans le film noir. En un sens, le cinéaste a retenu les leçons d’Alfred Hitchcock et François Truffaut qui filmaient les scènes de meurtre comme des scènes d’amour. Et les scènes d’amour comme des scènes de meurtre. Comme eux, Mouret s'amuse à manipuler le spectateur. Il fait d’ailleurs le lien avec les deux cinéastes grâce à la très belle musique de Grégoire Hetzel qui rend hommage à Georges Delerue (compositeur de plusieurs grands Truffaut) et Bernard Herrmann (compositeur attitré d’Alfred Hitchcock). Lors de la projection d’Une Autre Vie, on pense parfois à La Femme d’à Côté, l’un des plus beaux Truffaut.
Côté interprétation, on retrouve Virginie Ledoyen dans le rôle de la femme délaissée. Elle montre une palette de jeu rarement déployée. Elle bouleverse tout en faisant surgir une véritable inquiétude. Là aussi, on peut voir en son personnage une belle référence au cinéma noir des années 40 et 50, qui était parsemé de femmes fatales.
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Photo © Pascal Chantier-Pyramide Films
Jasmine Trinca, après le très intéressant Miele (réalisé par l’actrice Valeria Golino), confirme son grand talent. Elle déploie aussi une belle variété de jeu. Mais de manière moins impressionnante peut-être que Ledoyen car son personnage semble de prime abord plus effacé. Plus fragile.
Et puis il y a JoeyStarr, qui a l’air de s’orienter aujourd’hui d’avantage vers le cinéma que la musique, après ses rôles dans Polisse et Max. On peut en effet être surpris qu’Emmanuel Mouret abandonne le premier rôle de l’un de ses films (il est également comédien) au profit d’un acteur qui parait « plus viril ».
Dans le dossier de presse du film, il s’explique sur son choix : « Comme ce personnage est très sentimental, il fallait trouver un acteur qui n’ait rien de mièvre : JoeyStarr a une épaisseur à la Lino Ventura, et une pudeur aussi, qui correspond à l’essence du rôle. … Je n’ai pas cherché à le montrer ‘‘ différent ’’. C’est sa présence et son incarnation qui m’ont permis de donner chair au scénario. JoeyStarr a un physique qui me raconte un passé, un vécu, et une profonde sensibilité cachée. Lorsque je l’ai rencontré, il s’est montré très humble, m’expliquant que le projet le séduisait mais qu’il ne se sentait pas totalement ‘‘ acteur ’’. Cela fait de lui quelqu’un de malléable et d’ouvert sur un plateau. Il est arrivé sans aucune idée préconçue et avec du cœur à l’ouvrage.»
Photo © Pascal Chantier-Pyramide Films
Une épaisseur à la Lino Ventura? Restons mesuré tout de même. On a parfois du mal à croire que JoeyStarr puisse incarner un électricien. On est tellement « pollué » d’images, d’attitudes et de musiques du co-fondateur de Suprême NTM. Il faudra peut-être encore quelques films pour se débarrasser de clichés que nous avons sur le personnage. Voir JoeyStarr dans un rôle romantique étonne. A tort sans doute. A vrai dire, l’acteur n'est pas toujours à l’aise dans le rôle de Jean. Il est parfois « embarrassé » par son corps, a du mal à se mouvoir naturellement face à la caméra. Mais il y a une présence. Et surtout un travail sur la voix, toute en douceur, qui augure de belles surprises à l’avenir.
Une Autre Vie est un beau film. Parfois maladroit car trop sincère. Qui souffre de petits problèmes de rythme. On aurait aimé également que la photographie soit un peu moins terne. Mais voilà un film qui émeut car il est débarrassé de toutes formes de cynisme. En filmant le désir, l’amour et les sentiments au premier degré, en osant le lyrisme, Emmanuel Mouret fait preuve de beaucoup de courage. Voilà un cinéaste qui mérite donc toute votre attention. A Lille La Nuit, on souhaite qu'Une Autre Vie fasse une belle rencontre avec le public.
Une autre Vie de Emmanuel Mouret. Avec JOEYSTARR, Virginie LEDOYEN, Jasmine TRINCA, Ariane ASCARIDE, Stéphane FREISS. 95 mns.
Film-annonce et affiche © Pyramide Films
Rétrospectives et horaires Plan-Séquence.
Hommage à Eric Rohmer au Majestic de Lille.
Avant-premières avec équipes de films:
MEA CULPA en présence du réalisateur Fred Cavayé et des acteurs Vincent Lindon et Gilles Lellouche.-Vendredi 24 janvier à 19h15 à l'UGC Ciné Cité de Villeneuve d'Ascq et 20h15 à l'UGC Ciné Cité de Lille, à 20h30 au Kinépolis de Lomme.
