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A La Vie : A Berck, l’histoire bouleversante et tendre de trois survivantes de la Shoah

Synopsis : 1960. Trois femmes, anciennes déportées d’Auschwitz qui ne s’étaient pas revues depuis la guerre, se retrouvent à Berck-Plage. Dans cette parenthèse de quelques jours, tout est une première fois pour Hélène, Rose et Lili : leur premier vrai repas ensemble, leur première glace, leur premier bain de mer… Une semaine de rires, de chansons mais aussi de disputes et d’histoires d’amour et d’amitié...

Suzanne, Rose et Lili: A la vie !

Lili, Suzanne et Rose : A la vie !

 

Critique : A la Vie est un film étonnant. Tragique et drôle, émouvant et caustique, classique et gonflé, calme et bouillonnant, alternant chaud et froid, noirceur et luminosité… Il s’agit du cinquième long-métrage réalisé par un cinéaste qu’on aime à Lille La Nuit, Jean-Jacques Zilbermann. L’homme a toujours signé des films très personnels: Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, L’homme est une femme comme les autres, Les fautes d'orthographeLa folle histoire d'amour de Simon Eskenazy.

A la Vie est un film qui aurait vraiment pu être raté tant le sujet -casse-gueule- est proche de Zilbermann. Rendez-vous compte : le cinéaste raconte l’histoire de sa mère et de ses deux copines de déportation, revenues de l’enfer des camps de la mort, et qui se retrouvaient chaque année dans des stations balnéaires. Cela aurait pu être tiré larmes, manichéen, pathos. C’est tout le contraire : déchirant, d’un humour revigorant et souvent vachard, mais jamais méchant.

A la Vie s’ouvre par l’évacuation du camp d’Auschwitz, le 17 janvier 1945. Comment trouver le ton juste pour filmer de telles images, quand on a connu les protagonistes de l’histoire qu’on raconte ? La question du regard se pose, forcément, pour le cinéaste et l’homme. Dès les premières secondes du métrage, le spectateur est rassuré. La mise en scène est simple, sans aucune afféterie. Des gros plans montrent la peur des femmes libérées. Il y a aussi ce plan séquence bouleversant -sur lequel débute le générique- de la terrible et longue marche qui commence pour les survivants. Et puis, le film se poursuit six mois plus tard, à Paris. La lumière a radicalement changé. Elle est solaire et le sera jusqu’à la fin du film, justifiant presque à elle seule le titre du film : A la Vie.

Madeleine, Rose et Lili: A la vie !

Julie Depardieu, Suzanne Clément et Johanna ter Steege: trois actrices au diapason.

 

Plutôt que de livrer une oraison funèbre, Zilbermann fait le choix gonflé et original de parler de la reconstruction de trois femmes. Il filme des moments de joie, de tendresse, de drôlerie plutôt que de s’appesantir sur la noirceur, le morbide. Oui, Zilbermann préfère célébrer la vie, plutôt que la mort et on lui en sait gré. Bien sûr, la douleur est présente ; mais elle passe toujours par le prisme d’un humour qui s’apprécie à différents degrés de lecture. Le désespoir de ces rescapées se traduit par des dialogues d’une grande justesse (c’est de la dentelle de Bruges) à la fois drôles et terrifiants. Quand on a vécu l’horreur, l’indicible, le summum de la barbarie humaine, comment résister, se tenir debout, affronter la vie, vivre tout simplement ?

Cela donne des dialogues inoubliables, souvent repris des véritables protagonistes de l’histoire. Un exemple : « -Tu peux me dire pourquoi on est allé épouser toutes les deux un ancien déporté ? - Je ne sais pas. L’attrait pour les pyjamas rayés ? »

Le reste du film est à l’avenant, disant ô combien l’humour et le second degré sont absolument indispensables si on veut prendre le chemin de la résilience. Elles étaient incroyables ces femmes. Elles sont incroyables. La mère de Jean-Jacques Zilbermann disait « Je vais à Auschwitz-les-Bains » quand elle allait retrouver ses amies, chaque année. Et cela faisait rire toute la famille. Oui, mieux valait en rire pour ne pas en pleurer. D’ailleurs, Auschwitz-Les-Bains fut le premier titre envisagé pour le film, mais déconnecté du contexte de l’histoire, de l’humour des personnages, plaqué sur une affiche ou une bande-annonce, on se dit que le réalisateur et la production ont fait le bon choix de le modifier. Certains n’ont malheureusement pas l’humour de la mère du réalisateur.

En revanche, c’est bien au premier degré qu’est abordé le thème de culpabilité des juifs qui ont survécu à la l'Holocauste, avec la scène où Rose raconte comment elle a pu survivre « grâce » à la perte de son enfant. Mais la classe de Zilbermann fait que cette scène très dure est immédiatement contrebalancée par de l’humour et des éclats de rire. Voilà toute l’élégance d’un cinéaste qui ne veut à aucun moment prendre les spectateurs en otage. C’est aussi pour lui, la plus belle façon de rendre hommage à ces trois femmes. Toujours cette belle et indispensable célébration de la vie. Il y a aussi beaucoup de tendresse dans A La Vie, de moments délicieux comme lorsque Lili et Madeleine comptent sur leurs doigts les secondes avant que leur amie, Rose, ne s’endorme sur la plage. C’est beau et touchant. C’est trois fois rien. Mais c’est ce qui fait la crédibilité et la justesse d’un film qui choisit d’être léger comme une bulle de savon, plutôt que d’avancer au pas de charge.

Zilbermann n'oublie pas non plus de faire du cinéma, livrant un bel objet esthétique (et non pas esthétisant, ce qui n’a rien à voir). Sa mise en scène est simple, classique. C’était le choix à adopter pour aborder un sujet si délicat. Le cinéaste a eu la sensibilité artistique pour trouver la forme qui colle à la force de son sujet et l’esprit de son scénario. Berck-sur-Mer où le film a été tourné, n’est pas filmé sous la pluie, par temps gris. L’image est lumineuse, solaire. Par moments, en regardant le film, on pense à certaines peintures de Norman Rockwell. La reconstitution des années 60, des trente glorieuses, est parfaite. N’oublions pas que la France d’avant-guerre avec ses voitures à chevaux, ses curés de campagne, est en train de disparaître. Les bases américaines de l'Otan ont fait leur apparition depuis le début des années 50 et c’est toute la culture du Nouveau Monde qui submerge notre beau pays. Zilbermann montre très bien tout ça avec le Club-Mickey, l’arrivée du Twist et pas mal d’autres petits détails savoureux. Et il aborde également les prémices de l’émancipation de la femme. Car ces femmes étaient libres.

L'apparition du Nouveau Monde dans les années 60, à Berck-sur-Mer.

L'apparition du Nouveau Monde, l'insouciance et la légèreté à Berck-sur-Mer dans les années 60.

 

Après la guerre, les gens ont envie de vivre, s’amuser, ont besoin de légèreté, à l’image de Rose, Madeleine et Lili. Belle reconstitution, donc, avec voitures d’époque, nombreux figurants maquillés, coiffés, habillés à la mode des sixties. Mais il y a surtout cette lumière, superbe, dû au talentueux chef-opérateur Rémy Chevrin. N'oublions pas non plus le travail très sensible de la chef-monteuse Joële Van Effenterre, ex-collaboratrice de Costa-Gavras et qui avait déjà travaillé avec Zilbermann sur Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes.

Un dernier mot sur les personnages de A La Vie : Les trois femmes sont brillamment interprétées par Julie Depardieu (bouleversante), Suzanne Clément que vous avez pu voir récemment dans Mommy, et Johanna ter Steege qui aurait dû être l’actrice principale d’un projet de Kubrick sur la Shoah, hélas abandonné : Aryan Papers. On est également heureux de retrouver le devenu trop rare Hippolyte Girardot, une fois de plus parfait, et de découvrir un jeune acteur prometteur : Benjamin Wangermee. Sans oublier deux personnages aussi inattendus qu’indispensables de A la Vie : La ville de Berck-sur-Mer (très présente) et la musique aussi émouvante qu’entêtante de Eric Slabiak, du groupe Les Yeux Noirs.

Jean-Jacques Zilbermann ne pouvait rendre plus bel hommage à ces trois femmes et toutes les victimes de la barbarie, d’où qu’elles viennent et quelque soit leur origine. Son film, modeste et simple, lui ressemble et atteint l’universel. D’ailleurs, le public du Arras Film Festival, bouleversé, ne s’y est pas trompé en lui réservant, ainsi qu’à Denis Carot le producteur du film, un superbe accueil. Plus de 900 spectateurs qui vous écoutent pendant une heure, très tard le soir, c’est un signe qui ne trompe pas.

L’air de ne pas y toucher, Jean-Jacques Zilbermann poursuit sa filmographie de fort belle manière, transformant sa vie et celles de ses proches en une véritable œuvre romanesque et cinématographique.  Allez : A LA VIE !

A la Vie. Un film de Jean-Jacques Zilbermann Avec Julie DEPARDIEU, Johanna TER STEEGE, Suzanne CLEMENT et Hippolyte GIRARDOT- Réalisation Jean-Jacques Zilbermann- Scénario Jean-Jacques Zilbermann, Danièle D'Antoni- Coproduction: Pictanovo. Durée: 1h44

Photos, affiche et film-annonce © Elzevir Films / France 3 Cinema

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