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The Voices : Marjane Satrapi, réalisatrice de Persepolis, a-t-elle réussi son film américain ?

Synopsis : Jerry vit à Milton, petite ville américaine bien tranquille où il travaille dans une usine de baignoires. Célibataire, il n’est pas solitaire pour autant dans la mesure où il s’entend très bien avec son chat, M. Moustache, et son chien, Bosco. Jerry voit régulièrement sa psy, aussi charmante que compréhensive, à qui il révèle un jour qu’il apprécie de plus en plus Fiona - la délicieuse Anglaise qui travaille à la comptabilité de l’usine. Bref, tout se passe bien dans sa vie plutôt ordinaire - du moins tant qu’il n’oublie pas de prendre ses médicaments...

Réduire ainsi Gemma Arterton, à Lille La Nuit on a du mal à s'en remettre.

Réduire ainsi Gemma Arterton, à Lille La Nuit on a du mal à s'en remettre.

 

Critique : On aime beaucoup Marjane Satrapi à Lille La Nuit ! On a adoré la transposition cinématographique de sa bande dessinée Persepolis, coréalisée par le talentueux Vincent Paronnaud. Et on a totalement craqué pour Poulet aux Prunes, superbe fable - cosignée par le même Vincent Paronnaud – qui fut hélas un cruel échec public. Gageons que le temps réhabilitera cette merveille. On passera en revanche sous silence La Bande des Jonas, potacherie narcissique épuisante, que Satrapi signe seule en 2012.

Cette semaine voit la sortie de sa dernière réalisation, The Voices, une coproduction entre les Etats-Unis et l’Allemagne interprétée par Ryan Reynolds et Gemma Arterton. Pour la première fois, Marjane Satrapi ne signe pas le script de son film, qu’on doit à Michael R. Perry, scénariste de Paranormal Activity 2 (au secours !) et de pas mal de séries US comme Dr House.

Il s’agit clairement d’une commande, le scénario ayant été envoyé à la réalisatrice. Précisons tout de suite que nous n’avons absolument rien contre les commandes. Certaines, d’ailleurs, ont stimulé de grands cinéastes comme Francis Ford Coppola (La trilogie du Parrain) ou Spike Lee (La 25ème Heure). Ils ont su s’approprier totalement le matériau de départ qui leur était proposé.

C’est avec pas mal d’impatience que nous pénétrons dans la salle, d’autant plus que The Voices est annoncé comme un croisement entre la comédie, le thriller, le cinéma d’horreur ; qu’il a obtenu les Prix du Public et du Jury à Gérardmer, ainsi que les Prix du Public et du Nouveau Genre à L’Étrange Festival. Beaux palmarès attribués par deux festivals de cinéma qui proposent des films sortant régulièrement des sentiers battus.

On s’installe, les lumières s’éteignent, la projection commence. Générique ! A vrai dire, The Voices commence bien : belle lumière de Maxime Alexandre - chef op’ attitré d’Alexandre Aja, réalisateur du remake de La Colline a des Yeux-, excellent rythme : Satrapi a eu le bon goût d’imposer son monteur Stéphane Roche.  Et disons le : c’est plutôt bien réalisé.

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Ryan Reynolds, acteur mésestimé, est le bonheur de The Voices.

 

Du côté des bonnes nouvelles, il y a aussi le plaisir de retrouver Ryan Reynolds, qui est clairement l’acteur le plus sous-estimé du moment. Considéré surtout comme une belle gueule un peu fade, le canadien en impose une fois de plus dans le rôle de ce gentil tueur en série schizophrène. Reynolds est drôle, inventif, émouvant, bouillonnant d’énergie. Voilà un gars à réhabiliter d’urgence (revoyez le flippant Buried et surtout Mi$e à Prix tuerie d’énergie et d’inventivité formelle). Ryan Reynolds est le bonheur de The Voices.

La première demi-heure apporte son lot de surprises, de retournements de situations (on ne spoile pas), de délires légèrement trash et gore. Marjane Satrapi va au charbon, joue le jeu, se coule dans le moule de la production US, s’amuse et nous amuse en faisant la description de cette petite communauté américaine à mi chemin entre Twin Peaks, Desperate Housewivesle cinéma de ce vilain garnement de John Waters ou de Tim Burton, quand c'était bien (il y a longtemps, dans une galaxie lointaine).
Et puis, patatras : le film s’écroule ! Certes, on s’amuse un peu en voyant le gentil chien Bosco et le chat cynique, M. Moustache, discuter avec le pauvre Jerry. Mais le procédé devient vite lassant. A vrai dire, après le premier meurtre, ça commence sérieusement à tourner en rond.

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Bosco et M. Moustache sont la bonne et la mauvaise conscience de Jerry. Rigolo cinq minutes. Mais au bout d'un moment, ça lasse.

 

Le hic, c’est que même en s’entourant de quelques-uns de ses techniciens habituels, Marjane Satrapi semble ne pas savoir par quel bout prendre The Voices. L'alchimie entre comédie, thriller et slasher fonctionne mal. Surtout, on n’a jamais l’impression que Satrapi dépasse le stade de l’illustration d’un scénario qui comporte certes de bonnes idées, mais qui est tout de même loin d’être éblouissant. On en vient même à se demander si cet univers n’aurait pas mérité d’être développé à la télévision, retravaillé, et pensé pour devenir une série barge comme peut en proposer la chaine US, AMC.

En fait, on cherche un peu en vain dans The Voices la personnalité de Marjane Satrapi. Le film est clairement une sorte d’objet filmique non identifié, mais dans une certaine limite. Du début à la fin, tout paraît trop calibré, pensé, marketé pour viser le public auquel il s’adresse : celui des films cultes, des amateurs des séances de minuit, de cinéma « déviant », dont nous faisons partie.

Le film manque de charme, d’aspérités, de surprises, de magie. Il ne décolle pas ! Parfois, il semble un peu forcé, aussi. Le générique de fin pourra sembler drôle à certains. Il nous a paru artificiel, faussement kitsch, réellement balourd. Pour tout dire : embarrassant.

Mais la grosse faute de goût du film est d’avoir réservé un rôle aussi peu consistant à Gemma Arterton. Voilà une actrice qui détonne dans le cinéma actuel. Arterton, est glamour, a du « chien », du peps à revendre. Elle s’inscrit davantage dans une certaine tradition des actrices des années 50. De plus, Arterton est une comédienne excellente - elle était clairement la seule bonne raison de voir le pantouflard Gemma Bovery -. On est assez gêné de la voir une fois de plus sous exploitée, malgré deux ou trois moments plutôt réjouissants.

The Voices n’est certes pas une catastrophe. Le film se regarde, comme on dit. Mais on est en droit d’en attendre beaucoup plus de la part de Marjane Satrapi.

Pour ne pas finir sur une note négative, saluons tout de même le courage de la réalisatrice d’avoir tenté une expérience américaine. D’autant que certains de ses petits camarades ont livré des films bien plus honteux dans de pareilles circonstances. Maintenant, c'est à vous de vous faire votre propre opinion... 

The Voices, un film de Marjane Satrapi Avec : Ryan Reynolds, Gemma Arterton, Anna Kendrick
Scénario : Michael R. Perry Directeur de la photographie : Maxime Alexandre Montage : Stéphane Roche Costumes : Bettina Helmi Musique : Olivier Bernet
Durée 1h43 Sortie le 11 mars 2015

Photos, affiche et film-annonce © Le Pacte

 

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