L’actu ciné de Lille La Nuit vous invite cette semaine à découvrir Le Voyage au Groenland. Ce film très sympa de Sébastien Betbeder offre un ton original. Surtout, il confirme le talent d'un réalisateur qui s'exprime avec aisance dans un genre difficile à réussir : la comédie ! Critique du Voyage au Groenland et rencontre avec Sébastien Betbeder par Lille La Nuit...
Avec Le Voyage au Groenland, Sébastien Betbeder signe son cinquième long-métrage
Critique : Sébastien Betbeder - ancien étudiant du Fresnoy de Tourcoing - est un jeune cinéaste chaleureux, ouvert à la discussion, passionné. En gros : il ressemble à ses films.
Avec Le Voyage au Groenland, Betbeder, - âgé seulement de 41 ans - signe déjà son cinquième long-métrage après Nuage (2007), Les Nuits avec Théodore (2012), Deux Automnes Trois Hivers (2013), Marie et les Naufragés (2015).
En vrai cinéphile, Betbeder aime tous les genres cinématographiques. Notamment le fantastique qu’il aimerait de nouveau traiter dans un film (Nuage côtoyait déjà le genre).
En attendant, il aborde la comédie ! Seulement voilà, il ne le fait pas avec cette malhonnêteté intellectuelle qu’on trouve trop souvent, hélas, dans des comédies franchouillardes méprisantes (actuellement, seule sa comédie et celle de Nadège Loiseau, Le Petit Locataire, mérite le déplacement).
Si Sébastien Betbeder réalise des comédies, c’est un peu pour contrer ces produits cyniques et sans âme. Ses films sont fins, décalés, drôles, mélancoliques, parfois tristes. Pour Betbeder, le fou rire n’est pas une fin en soi.
Né de deux moyens métrages - Inupiluk et Le film que nous tournerons au Groenland - Le voyage au Groenland est une sorte d’ovni filmique non identifié. On y découvre deux amis, prénommés Thomas - attachants mais très « pieds nickelés » - qui se confrontent au Groenland à une culture qui n’est pas la leur.
Thomas Blanchard et Thomas Scimeca interprètent... Thomas et Thomas.
Le Voyage au Groenland est traversé de grands moments. Notamment, lors de scènes hilarantes, où nos deux Thomas - intermittents du spectacle - déploient une énergie folle afin de s'actualiser auprès de Pole Emploi. Une affaire qui n'est pas mince puisque, au Groenland, les connexions internet s’avèrent plus que capricieuses.
Si la comédie est totalement assumée par le réalisateur, elle est un véhicule pour parler de la génération des trentenaires/quarantenaires et de notre temps.
Sébastien Betbeder : « Je crois que j’ai trouvé mon chemin dans la comédie à partir du moment où c’était un genre qui me permettait d’être en emprise avec l’époque (…). C’est vrai que la scène des intermittents est essentielle. Pour moi, il y a plusieurs survies possibles dans le film. Je ne peux pas comparer la survie des habitants du village et celle des « Thomas » par rapport à la question de l’intermittence. Il n’empêche, je trouve que c’est aussi un geste de cinéma de se dire que, oui, on peut parler, en trimbalant les deux personnages que sont Thomas et Thomas au Groenland, du problème très contemporain, très social et presque politique qu'est l’intermittence. Quand j’ai discuté de cela avec les deux Thomas (ndrl : Blanchard et Scimeca, les deux acteurs du film), je me suis dit que c’était peut-être là qu’était l’un des enjeux narratifs du film. Il était peut-être dans la juxtaposition assez improbable entre cette question et celle de ces habitants. C’était un geste de comédie et c’était un motif politique dans le sens où (à ma connaissance) je n’ai jamais vu un film français dans lequel on traitait de l’intermittence, où c’était montré. C’est assez dingue ! (…) On montre des films, je fais des films, les comédiens font des films grâce à ce statut depuis des années et jamais un film n’a rendu hommage à ce statut de l’intermittent, qui fait que des gens peuvent être émus devant un film, que des œuvres d’art peuvent continuer à se faire et rencontrer un public ».
Betbeder observe avec finesse coutumes et croyances des Groenlandais.
Par ailleurs, Betbeder observe avec beaucoup d'humour et d’amour les Groenlandais, leurs coutumes et croyances. Il ne les filme pas de haut ! Son regard n'est jamais "ethnocentré". Et fait preuve d’une vraie intelligence en plongeant ces deux petits français - excellents Thomas Blanchard et Thomas Scimeca - au Groenland (splendides décors). Quoi de mieux pour que le spectateur s’identifie, s'attachent à ces deux personnages et à leur belle amitié ?
Sébastien Betbeder : « C’est un décor totalement inconnu pour moi. D’abord pour eux ! J’ai considéré ce décor comme une espèce de toile totalement vierge, blanche (c’est le cas de le dire) qui permettait de pouvoir aller beaucoup plus loin dans la caractérisation des personnages. De quitter un rapport à la réalité, un naturalisme presque obligatoire à Paris et en France, de pouvoir aller beaucoup plus loin dans la comédie, dans le côté lunaire des personnages, et d’aller aussi beaucoup plus loin dans l’émotion et le drame. Et sans avoir à en passer par quelque chose de trop psychologique. Mettre des personnages, les transporter dans un territoire absolument inconnu révèle des choses de l’âme de chacun ».
On aime bien Betbeder car il fait partie de ces artisans qui redonnent ses lettres noblesse à la comédie. On aime Le Voyage au Groenland car ce film confirme qu'on peut faire rire les spectateurs sans vulgarité, ni bêtise. Et en les faisant réfléchir un tout petit peu. Dingue, non ?
Le Voyage au Groenland de Sébastien Betbeder
avec Thomas Blanchard, Thomas Scimeca, François Chattot, Ole Eliassen, Adam Eskildsen.
Musique originale : Minizza
France / 1h38 / DCP / Sélection Cannes ACID 2016
Sortie le 30 novembre 2016
Projet transmedia autour du film
Synopsis : Thomas et Thomas cumulent les difficultés. En effet, ils sont trentenaires, parisiens et comédiens… Un jour, ils décident de s’envoler pour Kullorsuaq, l’un des villages les plus reculés du Groenland où vit Nathan, le père de l’un d’eux. Au sein de la petite communauté inuit, ils découvriront les joies des traditions locales et éprouveront leur amitié.
Affiche, photos et film-annonce © UFO Distribution
