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Le Théâtre de l’Aventure continue de faire vivre les créations comme « Têtes Rondes et Têtes Pointues »

En ces temps troublés d’un virus inédit et tragiquement numéroté, on empoisonne nos théâtres et nos cours de récréation en empêchant pièces et concerts d’avoir lieu. Cliché que de dire qu’on se rend compte de la valeur des « choses » à l’aune du manque qu’elles provoquent ? Peut-être. C’est un petit manque, une intersaison trop longue, et puis, finalement, une vraie douleur. En attendant les Têtes raides en concert, Lille la Nuit a eu la chance folle de pouvoir assister à la représentation de "Têtes Rondes et Têtes Pointues", de Brecht, mise en scène du Lillois Pierre Boudeulle, présentée par le théâtre de l’Aventure.

une bouffée d’oxygène proposée aux professionnels par Le Théâtre de l'Aventure

C’est dans le cadre poétique du Théâtre de la Verrière de Lille que nous avons eu la joie d’assister à la représentation de cette pièce, lancée en 2020 et stoppée net en mars 2020.

Cette proposition de faire vivre cette pièce un jour de plus, avec une autorisation légale pour les professionnels, a résonné comme un acte de résistance, un cri pour le monde de la culture en souffrance. Et quelle souffrance, on s’assiéra peut-être, cet été, devant des scènes de plein air, bouche fermée…

Tout a été réuni par Le Théâtre de l'Aventure pour que chacun puisse se sentir en sécurité, distanciation, protocole sanitaire ; tout pour nous faire vivre ce moment comme un « possible ». Le public guidé, alerté, et la mise en place de règles nous montrent que malgré la crise, le monde de la culture peut s’adapter, s’organiser, pour rouvrir les salles.

Oui nous sommes là pour Brecht, mais aussi pour dire que tout cela est réalisable et indispensable. MERCI, et notre soutien est total.

Lille la Nuit et les confrères ont vécu ce moment comme une bouffée d’oxygène infinie, avec une émotion palpable, un souffle de vie immense, une envie incommensurable de vivre la culture.

On ne pouvait pas rêver mieux, car le spectacle fut tout simplement bouleversant.

Têtes Rondes et Têtes Pointues

Têtes Rondes et Têtes Pointues - Jacob Vouters et Azeddine Benamara – © Christian Mathieu

"Têtes Rondes et Têtes pointues", un spectacle tout simplement bouleversant

« Têtes Rondes et Têtes Pointues » est une pièce militante. C’est une parabole engagée, une véritable farce qui dénonce clairement la stratégie raciste hitlérienne :  affaiblir la lutte des classes en valorisant la lutte des races.

Si la thématique de base évoque une révolte de pauvres paysans portant le nom de « La Faucille », paysans qui paient des fermages trop élevés à de vilains grands propriétaires, on y trouve aussi un vice-roi qui gouverne le pays, au tout début et à la toute fin. Entre les deux, un certain Ibérine reçoit les pleins pouvoirs pour mater « La Faucille ». C’est ce personnage mystérieux, froid et rigide, qui introduit dans l’affrontement ses idées racistes. Dans ce pays imaginaire « Yahoo », qui ressemble fort au nôtre, la société est séparée entre Têtes Rondes (les «Tchouches  ») et Têtes Pointues (les « Tchiches »), l’élite contre les rebuts…

Ce sont les aventures, parfois drôles et pittoresques, d’un fermier voulant récupérer des chevaux pour travailler ses terres, sur le point de se faire exécuter à la place d’un riche ; ou encore celles d’une prostituée ou d’une fille d’excellente famille, qui veut entrer au couvent pour sauvegarder sa vertu, d’une mère supérieure qui aime parler de Dieu mais, mais surtout d’argent …

Dans la version de Pierre Boudeulle, entre tirades, couplets chantés, ou autres jeux d’acteurs dramatiques, poétiques ou explosifs, on a pu se délecter d’une mise en scène ultra moderne et incisive. Il a fait le choix d’une troupe qui a su incarner avec passion tous les personnages, hauts en couleur. Quatre acteurs magistraux, burlesques, en jouent plusieurs en changeant simplement d’apparences. Un cinquième acteur prend toute sa place, c’est un DJ qui s’intègre et se déplace sur scène avec sa platine, ses samplers, partie intégrante du spectacle, lançant les sons de la pièce, les appels au peuple, faisant bégayer ou enrayer les appels radios, les messages du gouvernement comme les appels à la révolte.

Impossible de prendre parti dans cette histoire. Tout le monde se reconnait, ou personne ne s’y retrouve. Brecht va bien au-delà de la critique acerbe et visionnaire de la politique de son époque, il rend intemporel toute lutte entre deux camps et dénonce les mauvais choix des uns ou encore les mauvais procès. Par sa proposition épurée, une direction d’acteurs engagée sensibilisée à leurs personnages, le choix du slam et l’intégration du son comme personnage lui-même, Pierre Boudeulle rend accessible et toujours aussi pertinent le propos de Brecht.

La salle était très émue et le besoin indéniable de spectacle flottait dans l’air. Les acteurs, l’ingé son et lumière, le personnel du théâtre, et nous, étions tremblants et heureux d’être là. L’opportunité nous a soudés, mais la pièce n’a pas besoin de cette émotion étrange de la rareté soudaine d’un événement commun pour nous transmettre à foison les frissons qu’elle porte en elle.

Nous n’attendons maintenant qu’une chose : pouvoir vivre de nouveau cela avec vous. Vous jugerez par vous-même cette proposition pour conclure probablement à un véritable bijou théâtral. L’écrin est prêt.

Ce que l'on peut souhaiter, c'est que notre spectacle trouve son public. Qu'il retrouve le grand public, pas seulement les professionnels mais aussi par son propos intemporel, par sa forme très actuelle, qu'il puisse toucher le plus grand nombre de gens [...]

Pierre Boudeulle

Une pièce mise en scène par le Lillois Pierre Boudeulle

Nous avons eu la chance de poser quelques questions au metteur en scène, et nous vous livrons ici ses impressions.

Quelle magnifique proposition moderne que vous nous avez offerte avec cette pièce, merci pour les belles émotions !  Quelles sont vos impressions à la suite de cette représentation ? 

C'est un mélange de sentiments de plaisir et de frustration. Le plaisir d'avoir pu retrouver l'équipe, ce sentiment que d'un coup nos métiers reprennent du sens parce que l'on peut jouer devant un public même restreint, mais en même temps une certaine frustration parce qu'on aurait été au début d'une série de représentations. Il y a donc cette impression que l'on retrouve un peu goût à ce métier mais qu'on doit de nouveau l'arrêter. Ce mélange de sentiments du plaisir des retrouvailles et la frustration de l'arrêt mais surtout l'envie de retrouver vite le spectacle.

Lille la Nuit soutient totalement le monde de la culture et du spectacle. Cette représentation a sonné comme un bel acte de revendication : on peut proposer des spectacles en respectant les consignes sanitaires, vous nous en avez donné la preuve. Qu'attendez-vous de l'écho de cette proposition ?  

Cette représentation s'est bien passée donc on espère qu'elle a pu toucher le public. C'était un public spécial puisque composé en grande partie de professionnels, de programmateurs et de journalistes. Là on commence à avoir des bons retours de la presse et on espère maintenant que ça va pouvoir permettre au spectacle de rejouer la saison prochaine. Plus largement, évidemment, c'est aussi prêcher par l'exemple et montrer que en effet on peut réouvrir les théâtres, accueillir un public avec une jauge réduite, en respectant un certain protocole et montrer que l'on peut jouer, retrouver du sens dans le métier tout en faisant attention et en n'étant pas dangereux pour le public. Au contraire, ça a d'ailleurs été prouvé dans pleins d'études, nous faisons partie des lieux publics les moins dangereux.

Que peut-on souhaiter à "Têtes rondes et têtes pointues" ?

Ce que l'on peut souhaiter, c'est que notre spectacle trouve son public. Qu'il retrouve le grand public, pas seulement les professionnels mais aussi par son propos intemporel, par sa forme très actuelle, qu'il puisse toucher le plus grand nombre de gens, que ce soit des collégiens ou des passionnés de théâtre. Qu'il puisse rebondir sur les prochaines saisons de théâtre et continuer d'exister.

Photo : Janie Follet et Julie Marichal – © Christian Mathieu

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